Fin de vie : le débat va « fracturer les différents groupes politiques de l’intérieur, en plus de fracturer le société »

18 Mar, 2024

« Le débat sur la fin de vie va fracturer les différents groupes politiques de l’intérieur, en plus de fracturer le société » prévient François Braun, ancien ministre de la Santé et médecin urgentiste. « C’est un sujet grave qui va profondément modifier notre société. C’est le genre “d’avancée” qui ne souffrira, par définition, d’aucun retour en arrière possible » poursuit-il (cf. « Une forme de nihilisme désormais présent au sein même de l’Etat » : après l’IVG, Emmanuel Macron reprend le dossier de la fin de vie).

En effet, même au sein de la majorité, voter cette loi sociétale n’est pas une évidence [1]. « Je m’opposerai à l’évolution de notre législation sur l’aide active à mourir » a ainsi affirmé le député Renaissance Charles Rodwell après l’annonce d’Emmanuel Macron (cf. Projet de loi sur la fin de vie : soignants et parlementaires veulent faire entendre leurs voix). « Tout le monde n’a pas forgé sa conviction » indique Mathieu Lefèvre, député du même groupe avant de préciser qu’il n’a, pour sa part, aucun avis tranché sur ce « sujet très difficile ». Un dissensus confirmé par Marie Lebec, ministre des Relations avec le Parlement : « Oui, il y a des réserves dans la majorité ». Ni Jean-Paul Mattei, président du groupe Démocrate, ni Laurent Marcangeli, président du groupe Horizons, n’ont ainsi arrêté leur avis. Même au sein de l’exécutif, la position des ministres n’est pas claire. Alors que Gabriel Attal a apporté son soutien au projet de loi, l’un de ses ministres se dit « très réservé à titre personnel ».

Pas d’unanimité au sein des groupes politiques

« Dans l’aile droite, il y a des gens qui sont pour et dans l’aile gauche, des gens qui ont des réticences » souligne le député Renaissance de Saône et Loire, Louis Margueritte. A l’approche de l’examen du texte, en mai prochain, « une critique anticapitaliste, marxiste et écologiste de l’euthanasie et du suicide assisté » voit le jour. Et ce malgré « un rouleau compresseur politique et médiatique du progressisme qui considère tous ceux qui s’opposent à cette loi comme des réactionnaires arriérés » dénonce Dominique Potier, député PS de Meurthe et Moselle (cf. Projet de loi sur la fin de vie : « une voie pavée de tromperies »). Défendre le refus de donner la mort, c’est à la fois « s’affranchir de la dictature de l’opinion et du dogme du marché » assure-t-il (cf. Euthanasie : « plus nous parlons de la fin de vie et des soins palliatifs, moins les Français adhèrent »).

« Aujourd’hui, il m’apparaît très clairement que le vrai combat de la gauche, cela devrait être de donner des conditions de vie dignes aux malades, aux vieux, aux personnes vulnérables et à ceux qui s’occupent d’eux » souligne Sara Piazza, psychologue clinicienne en réanimation et en soins palliatifs. « La gauche est toujours du côté de la protection des plus fragiles, c’est dans son ADN » abonde le député communiste Pierre Dharréville (cf. « Aide active à mourir » et soins palliatifs doivent être dissociés exhortent des députés). « Ces propositions font abstraction des rapports sociaux, des inégalités de l’existence et du contexte culturel. Il ne faut pas oublier que l’on nous explique depuis des décennies que nous coûtons trop cher à la Sécurité sociale. Cela induit l’idée qu’il ne faut pas trop dépenser pour les personnes en fin de vie » analyse-t-il.

Eliminer pour économiser ? 

« On met les vieux dépendants dans des Ehpad ghettoïsés (…). Et en parallèle, on légalise la mort donnée » poursuit Sara Piazza (cf. Fin de vie : une « loi de rassemblement » qui suscite la colère). « Sous la pression économique, nos sociétés ne visent-elles pas, plus ou moins consciemment, à éliminer les formes de vies qu’elle juge les plus coûteuses et les plus inutiles ? » s’interrogent Bruno Dallaporta et Faroudja Hocini, deux philosophes auteurs de l’essai Tuer les gens, tuer la terre. De son côté, Dominique Bourg, également philosophe, ironise : « Vous avez aimé la réforme des retraites ? Alors vous adorerez le projet de loi gouvernemental sur la fin de vie. Il est le parfait complément de la première, tous les deux étant liés au vieillissement prolongé de la population (…) Difficile d’imaginer sortie plus brutale du paradis productif » (cf. « La fin de vie n’est pas avant tout un sujet de liberté individuelle mais de solidarité collective »).

En plus de se sentir comme un « poids » pour la société, « en fin de vie, on voit en tant que médecin des personnes regretter de causer, par leur état de santé, de la souffrance et des inquiétudes à leurs proches » constate en outre l’ancien ministre de la Santé François Braun. « Est-ce que ces personnes ne seraient pas tentées d’en finir si elles en ont la possibilité, non pour elles, mais par peur d’être un poids pour leur famille ? Voudront-elles abréger leur propre souffrance ou celle de leurs proches ? » s’interroge-t-il.

« Ecoutez les soignants »

« Arrêtons de tout légiférer, surtout sur des questions aussi périlleuses, et faisons confiance aux médecins (…). De grâce, écoutez les soignants. Ecoutez leurs arguments. Ne faites pas de l’acte de tuer un acte médical ! » implore l’ancien ministre de la Santé François Braun (cf. Projet de loi fin de vie : les soignants ont l’impression de se « faire marcher dessus »Projet de loi sur la fin de vie : « le mépris affiché à l’égard de soignants désormais qualifiés de “secouristes à l’envers” »).

« Il faut traiter cette question avec ceux qui ont les mains dedans, ceux qui connaissent ces problématiques et pas seulement sur un unique exemple. Ecoutez les soignants, spécialement sur cette question » insiste-il. « Le politique doit porter tous ses efforts [sur le développement des soins palliatifs], car c’est là-dessus que les soignants exercent pleinement leur rôle » intercède le médecin (cf. « On ne peut pas développer tout un discours sur les soins palliatifs et fermer une unité »).

« Quelles que soient les circonvolutions, à la fin, il s’agira de donner ou non la mort »

« La mort est toujours un traumatisme, rappelle François Braun. Qu’elle soit prévue ou non. Chaque vie qui s’arrête est différente d’un autre. » « J’ai l’habitude de dire que “la fin de vie” n’existe pas, explique-t-il. Il y a autant de fin de vies que d’individus ».

En outre, « je crois qu’on ne peut effectivement pas se cacher derrière la sémantique, juge le médecin. On parle de mort. Quelles que soient les circonvolutions, à la fin, il s’agira de donner ou non la mort ». Un groupe de travail sur le choix des mots présidé par l’écrivain Erik Orsenna a renoncé à sa mission, indique au passage l’ancien ministre (cf. Fin de vie : un nouveau groupe d’experts pour “travailler sur les mots”). « Lui-même a baissé les bras et a déclaré que “cela n’aboutissait à rien” », indique-t-il (cf. Euthanasie : « ce n’est pas le mot qui est violent, c’est bien l’acte qu’il désigne »).

« J’ai l’impression que notre société entretient un rapport d’évitement de la mort et de la souffrance, regrette François Braun. L’éviter jusqu’à ce qu’elle devienne inéluctable et les tentations d’euthanasie ou de suicide assisté interviennent comme une illusion de contrôle ».

 

[1] Le projet de loi, encore en cours d’élaboration, « comprendrait à ce stade deux parties, «Droits des patients et soins d’accompagnements-paliatifs » (sept articles) et « Aide à mourir » (huit articles) ».

Sources : Valeurs actuelles, Marc Eynaud (15/03/2024) ; Le Figaro, Agnès Leclair (16/03/2024) ; Le Parisien, Pauline Théveniaud (18/03/2024) – Photo : Marcela Bolivar de Pixabay

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