« Aide à mourir » : première étape pour le projet de loi, le Conseil d’Etat

19 Mar, 2024

Une semaine après l’entretien d’Emmanuel Macron pour La Croix et Libération (cf. « Une forme de nihilisme désormais présent au sein même de l’Etat » : après l’IVG, Emmanuel Macron reprend le dossier de la fin de vie), la première mouture du projet de loi est prête. Le texte « relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie » a été transmis au Conseil d’Etat [1], avant d’être présenté en Conseil des ministres au mois d’avril.

Le refus des termes euthanasie et suicide assisté

Le projet de loi entérine l’usage du terme « aide à mourir » qui consiste en « l’administration d’une substance létale, effectuée par la personne elle-même ou, lorsque celle-ci n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, par un médecin, un infirmier ou une personne volontaire qu’elle désigne ». Autrement dit, il s’agit d’autoriser le suicide assisté et l’euthanasie (cf. Projet de loi sur la fin de vie : « une voie pavée de tromperies »).

Exit donc le « modèle français » sur la fin de vie, ou plutôt pas tout à fait. Ce qui est ici proposé se démarque des pratiques existant à l’étranger, que ce soit en Belgique, aux Pays-Bas, au Canada ou ailleurs, en cela qu’un proche pourra procéder à l’euthanasie. Il est des exceptions françaises dont on se passerait volontiers.

Cinq critères et l’abandon de la collégialité

Le projet de loi précise les cinq conditions à remplir pour être autorisé à être « aidé » à mourir. Seules les personnes majeures, de nationalité française ou résidant « de façon stable et régulière en France », « en capacité de manifester sa volonté de façon libre et éclairée », atteintes « d’une affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme », et présentant « une souffrance physique ou psychologique réfractaire ou insupportable liée à cette affection » pourront y accéder.

Il reviendra donc au médecin de définir si le pronostic vital du patient est engagé à « court ou moyen terme ». A moins que ce flou soit levé par les parlementaires lors de l’examen du texte.

Le projet de loi précise qu’il revient au patient d’effectuer la demande d’« aide à mourir ». Toutefois, même si le médecin qui la reçoit doive recueillir d’autres avis [2], il sera seul à trancher. Il aura 15 jours pour décider du sort d’un être humain. S’il refuse, le patient, et lui seul, pourra saisir la justice administrative. Une fois l’accord du médecin obtenu, le patient aura 48h pour confirmer sa décision, et trois mois pour la mettre à exécution.

Le texte prévoit par ailleurs qu’un médecin ou un infirmier soit présent au moment de l’acte [3], même en cas de suicide assisté. Il pourra alors se tenir dans une autre pièce. La clause de conscience prévue est a minima, car le praticien sera tenu d’orienter le patient vers un confrère non objecteur.

L’enseignement des « exemples » étrangers

Les conditions s’affichent strictes, en excluant les mineurs et les patients souffrant de démence. Pour le moment. Car tous les pays qui ont dépénalisé l’euthanasie ou le suicide assisté ont « élargi » les conditions initiales, toujours prétendument strictes. La seule inconnue étant la vitesse adoptée pour emprunter cette pente glissante.

Ainsi, comme en témoigne Léopold Vanbellingen, chercheur à l’Institut européen de bioéthique, lors d’un colloque organisé par l’association Alliance Vita [4], l’euthanasie, dépénalisée en Belgique en 2002 « comme une solution d’exception »[5], a depuis été autorisée aux mineurs « au nom du principe de non-discrimination ». « Désormais, c’est ce que le patient dit de sa souffrance qui fait loi », résume-t-il (cf. Les dérives inquiétantes de la pratique de l’euthanasie en Belgique). Et « l’euthanasie est une proposition comme les autres dans la planification des soins », déplore Catherine Dopchie, une oncologue belge en soins palliatifs. Le médecin raconte ainsi qu’une patiente atteinte d’un cancer ORL a été informée par son médecin du diagnostic de sa maladie, tout en lui proposant une radiothérapie « qui ne la guérirait pas » et lui indiquant un possible recours à l’euthanasie.

L’histoire est la même en Suisse qui a dépénalisé le suicide assisté. « De la maladie incurable en fin de vie, nous sommes passés à la maladie incurable, puis à la polypathologie invalidante liée à l’âge, puis aux souffrances insupportables, celles-ci étant comprises dans un sens très large comme l’a montré le cas de Jacqueline Jencquel qui, par crainte de devenir dépendante, a mis fin à ses jours en 2020 », détaille Steve Bobillier, docteur en philosophie et éthicien (cf. Une française de 74 ans annonce avoir planifié sa mort, des médecins dénoncent “une inquiétante mise en scène du suicide”). Désormais « se pose la question de l’accès au suicide des personnes lourdement handicapées et des mineurs ».

Les « soins d’accompagnement », l’abandon des soins palliatifs ?

Au Canada, outre le « manque de ressources adéquates en soins palliatifs à domicile », la terminologie adoptée – « aide médicale à mourir » – « provoque une confusion permanente entre euthanasie et soins palliatifs », déplore le docteur Léonie Herx. « Des patients craignent les services de soins palliatifs parce qu’ils ont peur d’y être euthanasiés sans leur consentement ».

Ignorant l’avertissement canadien, le projet de loi français sur l’« aide à mourir » prévoit de « renforcer les soins d’accompagnement »[6]. Un nouveau concept pour inclure l’euthanasie comme un « soin » de fin de vie comme un autre ? D’ailleurs le texte précise que la personne souhaitant recourir à l’« aide à mourir » sera « accompagnée » « jusqu’au bout » par un soignant [7].

Des soignants sont ainsi mis à contribution pour donner la mort alors qu’ils ont été écartés de la préparation du projet de loi, en dépit de la « co-construction » tant promise (cf. « Dans ce débat, les médecins n’ont pas une opinion mais une compétence »). Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) indiquait ainsi sur X avoir eu un premier rendez-vous avec Catherine Vautrin, ministre de la Santé et des Solidarités, sur le « projet de loi que nous découvrons dans la presse ».

Ils pourront y lire que le texte « jette les bases juridiques pour créer des “maisons d’accompagnement” », « l’une des priorités du plan décennal pour renforcer les soins palliatifs que l’exécutif doit dévoiler d’ici fin mars »[8]. Mais il ne fait pas mention de la « “stratégie décennale” promise de longue date par le gouvernement et qui doit être annoncée séparément dans les prochaines semaines » (cf. Fin de vie : « Ce n’est pas en baptisant stratégie ce qui était auparavant appelé plan que se fait une politique volontariste »).

La ministre « soigne » en revanche son camp : elle sera aujourd’hui devant les députés Renaissance pour répondre à leurs questions. Une commission spéciale devrait par ailleurs être mise en place, le 10 avril. Son rapporteur pressenti : le député MoDem Olivier Falorni (cf. Mission parlementaire sur la fin de vie : un président qui fait débat).

 

[1] Il a été consulté par l’AFP lundi

[2] Celui d’un « spécialiste de la pathologie concernée », qui ne connaît pas le patient, et un « soignant non médecin, qui aura lui de préférence accompagné le malade »

[3] C’est lui qui retirera en pharmacie la substance létale, et la préparera au moment de l’acte.

[4] Le Journal du dimanche, Fin de vie : des experts étrangers tirent la sonnette d’alarme, Elisabeth Caillemer (18/03/2024)

[5] Initialement « seules pouvaient y recourir les personnes majeures atteintes d’une affection grave et incurable dont les souffrances physiques ou psychiques étaient persistantes, insupportables et inapaisables ».

[6] Le texte les définit comme la « prise en charge globale de la personne malade pour préserver sa qualité de vie et son bien-être et par un soutien à son entourage ».

[7] Néanmoins, « avant toute chose », le médecin « proposera forcément une prise en charge en soins palliatifs ». Comment sera-t-elle présentée ?

[8] AFP (18/03/2024)

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