La société DeepMind, rachetée par Google il y a dix ans, affirme avoir formé une intelligence artificielle capable de prédire quelles mutations dans nos génomes sont bénignes et quelles variantes sont « probablement pathogènes »[1]. Leur outil, baptisé AlphaMissense, fait l’objet d’un article publié par la revue Science [2]. Au terme de trois ans de projet, les chercheurs ont publié [3] les prévisions correspondant à 71 millions de variantes possibles [4].
Améliorer le diagnostic de maladies rares
Grâce à l’essor du séquençage génétique, les médecins peuvent désormais décoder le génome des personnes et rechercher les « coupables éventuels ». Or, « dans environ 25% des cas où un séquençage génétique approfondi est effectué, les scientifiques trouveront une modification suspecte de l’ADN dont les effets ne sont pas entièrement compris », indique Heidi Rehm, chercheur au Broad Institute, à Cambridge, dans le Massachusetts.
Les scientifiques appellent ces mutations mystérieuses des « variantes de signification incertaine ». Elles peuvent concerner des gènes ayant fait l’objet d’études approfondies, comme le BRCA1, mis en cause dans des cancers héréditaires.
La multiplication des prévisions
Au-delà des résultats de DeepMind, les efforts pour anticiper de futures pathologies se multiplient. Ainsi, des chercheurs de l’université nationale australienne ont mis au point un test sanguin « simple, bon marché et non invasif » qui « pourrait permettre de prédire le risque de développer la maladie d’Alzheimer jusqu’à 20 ans avant l’apparition des symptômes »[5]. Leurs résultats sont publiés dans la revue Small Methods[6].
Mais quel est l’objectif de ces prévisions ? Une meilleure prise en charge ? Plus précoce ? Récemment, des scientifiques ont montré que le dépistage d’un variant pathogène des gènes BRCA1 ou BRCA2 peut conduire à surestimer le risque de cancer, et donc à des interventions inutiles (cf. Cancer du sein : des tests génétiques alarmistes ?).
Une volonté de maîtriser la vie ?
Un chercheur de l’Université de Pennsylvanie a quant à lui publié dans le Journal of Orthopaedic Research [7] un modèle, « basé sur l’intelligence artificielle », destiné à « prédire le risque de décès d’un patient dans les 1, 5 et 10 ans suivant une fracture de la hanche »[8]. S’agira-t-il toujours d’améliorer la prise en charge du patient ou d’évaluer un coût pour la société ? (cf. Canada : 1200 euthanasies en plus, 149 millions de dollars de frais de santé en moins)
A l’autre extrémité de nos existences, des chercheurs pourraient avoir des velléités de nous prémunir de futures pathologies, par exemple via l’édition génétique des embryons. C’est le projet décrié, pour le moment, du scientifique He Jiankui (cf. CRISPR : He Jiankui veut s’attaquer à la maladie d’Alzheimer).
[1] MIT Technology review, Antonio Regalado, DeepMind is using AI to pinpoint the causes of genetic disease (19/09/2023)
[2] Jun Cheng et al, Accurate proteome-wide missense variant effect prediction with AlphaMissense, Science (2023). DOI: 10.1126/science.adg7492
[3] DeepMind affirme avoir fourni un accès gratuit à toutes ses prédictions pour les gènes humains, ainsi qu’à tous les détails nécessaires pour reproduire entièrement le travail, y compris le code informatique. Cependant, elle ne publie pas l’ensemble du modèle, invoquant « un risque de biosécurité » qui pourrait résulter de l’application du modèle à l’analyse des gènes d’espèces autres que l’homme.
[4] Des mutations « faux-sens », « une seule lettre de l’ADN qui, si elle est altérée, modifie la protéine produite par un gène ».
[5] « Une puce de silicium ultra-mince contenant des “nanopores” – de minuscules trous de la taille d’un nanomètre – analysent les protéines une par une avec l’aide d’un algorithme d’intelligence artificielle », Medical Xpress, The Australian National University, Simple test could help predict risk of Alzheimer’s disease 20 years in advance (19/09/2023)
[6] Shankar Dutt et al, High Accuracy Protein Identification: Fusion of Solid‐State Nanopore Sensing and Machine Learning, Small Methods (2023). DOI: 10.1002/smtd.202300676
[7] Journal of Orthopaedic Research, Machine Learning-Based Mortality Prediction in Hip Fracture Patients Using Biomarkers DOI : 10.1002/jor.25675
[8] EurekAlert, Can artificial intelligence predict the risk of dying in the years following a hip fracture? (20/09/2023)
Photo : iStock