Dépistage prénatal ? Toujours plus

Publié le 12 Oct, 2021

L’Agence de la biomédecine a publié son rapport médical et scientifique pour l’année 2020. Les chiffres des activités de l’agence en matière de dons d’organes, PMA, diagnostic prénatal, diagnostic préimplantatoire sont recensés (cf. Médecine fœtale, dépistage prénatal et IMG : les tendances)

En matière de diagnostic prénatal, les domaines sont divers. En effet, cette « activité » regroupe aussi bien des dépistages réalisés au cas par cas comme pour détecter une maladie génétique en raison d’antécédents familiaux [1], qu’un dépistage quasi-systématique comme c’est le cas pour les aneuploïdies [2].

L’agence signale un changement de méthodologie qui a conduit à « une rupture dans la continuité du recueil entre 2018 et 2019 » de certaines données.

Un dépistage de la trisomie 21 toujours plus systématique

Le dépistage de la trisomie 21 n’est pas semblable aux autres. De l’aveu même de l’ABM, il « fait l’objet d’une attention particulière ».

Dosage des marqueurs sériques maternels, l’une des deux parties du dépistage combiné avec la mesure de la clarté nucale de l’embryon, dépistage à partir d’ADN libre circulant dans le sang maternel, caryotype du fœtus. Peu de place est laissée au hasard.

En 2020, 660 590 dosages des marqueurs sériques maternels ont été effectués. Un chiffre en hausse par rapport à l’année 2019. L’ABM évalue le taux de dépistage à 89,8% en 2020 en rapportant le nombre de dosages réalisés par rapport au nombre de naissances vivantes[3]. Il était de 85% l’année précédente.

Le dépistage est toujours plus systématique. Selon l’ABM, « toute femme enceinte reçoit, lors d’une consultation médicale, une information loyale, claire et adaptée à sa situation sur la possibilité de recourir, à sa demande, à des examens de biologie médicale et d’imagerie permettant d’évaluer le risque que l’embryon ou le fœtus présente une affection susceptible de modifier le déroulement ou le suivi de sa grossesse ». Mais est-ce vraiment à la demande de la femme ? N’a-t-elle pas plutôt à se justifier quand elle choisit de refuser ce dépistage ? (cf. Tests sanguins précoces de dépistage : Comment préserver l’autonomie de décision de la femme ?)

Une stratégie de dépistage « clairement établie »

Le dépistage d’aneuploïdie à partir d’ADN libre circulant dans le sang maternel est proposé à l’issue du dépistage combiné quand le risque est supérieur à 1/1000[4] et inférieur à 1/50. Ce dépistage prénatal non-invasif (DPNI) a commencé en 2013 en France et il est remboursé depuis le 18 janvier 2019. Quand le risque est supérieur ou égal à 1/50, « la réalisation d’un caryotype fœtal est d’emblée proposée ». Le DPNI peut aussi être recommandé d’emblée en cas de grossesse multiple ou d’antécédent de grossesse avec trisomie 21.

En 2020, 16,9% des dépistages des marqueurs sériques ont indiqué un risque supérieur à 1/1000. 117 756 dépistages d’aneuploïdie à partir d’ADN libre circulant dans le sang maternel ont été effectués cette même année. Et 1,2% des DPNI étaient « positifs ». Par la suite, 756 trisomies 21 ont été diagnostiquées par des caryotypes fœtaux réalisés après le DPNI. Soit 0,1% des dépistages entrepris initialement.

L’agence de la biomédecine se félicite de l’augmentation du « rendement diagnostic » puisque 24,9% des caryotypes réalisés ont conduit à identifier « une anomalie déséquilibrée », contre 16% en 2016.

Le DPNI : un dépistage infaillible ?

Mais il faut aussi noter que seuls 742 des 880 DPNI qui se sont avérés positifs ont été confirmés par l’analyse du caryotype fœtal. Ainsi, dans 14,4% des cas, le DPNI est un « faux positif ». Ce qui souligne pour l’ABM « l’importance de la réalisation d’un diagnostic prénatal invasif de confirmation du dépistage utilisant l’ADN libre circulant ». Une amniocentèse dans 68% des cas en 2020. A l’inverse, l’ABM indique qu’aucun enfant porteur de trisomie 21 n’est né, après un DPNI négatif. L’agence recense pourtant 6 faux négatifs, c’est-à-dire que pour 1% des DPNI « négatifs », le fœtus était porteur de trisomie 21. Des chiffres qui paraissent se contredire mais qui semblent plutôt indiquer que ces “faux négatifs” ont été in fine dépistés et les grossesses interrompues.

Alors que le DPNI est vendu comme un dépistage fiable à 99% (cf. La fiabilité du DPNI en question), les chiffres de l’agence montrent une toute autre réalité. Le test est loin de l’infaillibilité et l’ABM semble s’en inquiéter : « Ces données feront l’objet d’un suivi », précise l’agence.

L’agence de la biomédecine explique que « l’activité prénatale évolue progressivement » avec « une augmentation du nombre d’examens non invasifs », c’est-à-dire réalisés à partir du prélèvement de sang maternel, et « l’utilisation plus importante de technologies ayant une résolution diagnostique plus précise comme l’ACPA[5] ». En ce qui concerne le DPNI, l’activité a « considérablement augmenté au cours des dernières années ». Une hausse qui s’élève à 456% entre 2016 et 2020 d’après les chiffres de l’ABM, « probablement expliquée par la clarification du parcours de soins et sa prise en charge par la sécurité sociale ».

L’agence indique par ailleurs que 30 laboratoires réalisent des DPNI en France. Mais parmi eux, plus des deux-tiers des examens sont effectués par deux laboratoires privés seulement. Une “privatisation” de cette activité de dépistage qui donne des indices quant à sa rentabilité (cf. DPNI : Bataille juridique et financière autour d’un brevet).

Un dépistage pour soigner ou pour éliminer ?

En 2020, 389 diagnostics de trisomie 21 ont été posés alors que l’enfant était né. Un nombre en nette baisse : ils étaient 488 en 2016. Parmi les femmes ayant donné naissance à un enfant porteur de trisomie 21, 96 femmes n’avaient pas subi de dosage des marqueurs sériques maternels.

L’ABM explique qu’« à la suite des difficultés rencontrées par les laboratoires pour obtenir des informations exhaustives, les issues de grossesses ne sont plus documentées ». C’est à présent le rapport d’activité des Centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN) qui produit ces informations. Mais dissocier les informations permet-il de masquer les faits ? En effet, ce rapport indique que les CPDPN ont délivré, en 2019, 7 067 attestations de « particulière gravité » autorisant la femme à recourir à une « interruption médicale de grossesse » (IMG) pour « motif fœtal ». 44,5% le sont en raison d’« indications chromosomiques », 1 785 fœtus étaient porteurs de trisomie 21. L’ABM indique que 96,9% des attestations se « concrétisent » par une IMG.

Un constat qui interroge : à longueur de rapport, l’Agence de la biomédecine mentionne que les femmes, et même les fœtus, « bénéficient » de ce dépistage minutieux. Avec, pour leurs grossesses, les issues que l’on sait (cf. Les Nations Unies reprochent à la France sa politique de dépistage prénatal de la trisomie 21). De quel bénéfice s’agit-il pour l’enfant à naître et sa mère ?

[1] En 2020, 2712 fœtus ont subi un tel dépistage qui avait trait à 402 maladies génétiques différentes.

[2] Anomalie du nombre de chromosomes chez le fœtus

[3] Les chiffres de l’Insee recensent 736 000 naissances en 2020, 753 383 en 2019

[4] Un seuil de risque qui a évolué : fixé à 1/250 auparavant, il est passé à 1/1000 en 2018 suivant les recommandations de la HAS

[5] Analyse chromosomique par puce à ADN, elle peut être réalisée seule ou en complément d’un caryotype. « L’intérêt de cet examen est d’identifier des anomalies chromosomiques de petite taille non décelables par le caryotype. »

Photo : iStock

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