Existe-t-il un eugénisme lié au diagnostic prénatal (DPN) en France ? Comment garantir l’autonomie reproductive de la femme fondée sur une information médicale supposée de qualité quand tout s’accélère avec l’irruption des tests sanguins précoces ? Le médecin a-t-il droit à la clause de conscience ? Ces questions furent débattues lors de la XXVIème Semaine de la Science à St-Michel-sur-Orge le 28 janvier 2016[1].
Comment informer les patientes sur les tests de dépistage ?
Début 2011, lors de la révision de la loi bioéthique, le Comité pour sauver la médecine prénatale (CSMP) fut seul à dénoncer le projet de loi gouvernemental qui faisait du médecin un prescripteur automatique de tests : « … des examens… sont proposés à toute femme enceinte… »[2]. Un médecin peut-il prescrire sans information préalable ? Certes non ! Mais cette information est-elle toujours neutre et de qualité ? Le législateur se dédouane et reporte la responsabilité sur le médecin puisqu’il décrit l’information exigée à la fois « loyale, claire et adaptée », ceci à chaque étape du dépistage puis du diagnostic invasif par amniocentèse. Mais nous en connaissons les facteurs limitatifs voire négatifs : les mots utilisés, la durée de la consultation prénatale bien trop courte, l’incompréhension fréquente du couple devant un calcul de risque mais aussi le contexte sociétal, le regard porté sur le handicap, l’absence de financement public pour la recherche thérapeutique et l’accueil du handicap… conditions qui rendent très inconfortable la mission du médecin chargé d’éliminer les imperfections de la nature par ailleurs soumis à une forte pression médico-légale. Parce qu’il sait que sa prescription du dépistage aboutit dans 96% des cas diagnostiqués à une interruption médicale de grossesse (IMG), le médecin peut vivre un réel conflit intime, oscillant entre éthique de conviction et éthique de responsabilité… qui a ses limites. Ne nous étonnons donc pas que des praticiens abandonnent l’obstétrique pour ne plus être impliqués dans la gestion du DPN, du banal dépistage jusqu’à l’acte de l’IMG.
La France en tête du dépistage de la T21
Pour quelles raisons focaliser l’information sur le dépistage de la T21 et non sur tous les risques liés à la grossesse ? Le rapport Européristat[3] publié en 2013 illustre l’incohérence de notre politique de santé périnatale : cette étude classe la France en tête des pays européens pour sa politique très active d’interruption de grossesse et à un très mauvais rang (le 10ème) pour le taux de prématurité qui a augmenté en 10 ans à l’inverse de ce qui se passe chez nos voisins. Ainsi il naît en France bien plus de prématurés avec de lourdes conséquences neuroencéphaliques – en dépit des considérables progrès de la réanimation néonatale – que d’enfants porteurs de la T21.
Le test sanguin maternel (DPN avancé non invasif ou DPANI) avec l’étude du caryotype fœtal dès la 11ème semaine d’aménorrhée est supposé éviter à terme toute amniocentèse à visée diagnostique, en raison de sa grande fiabilité. Il marque une nouvelle accélération dans le temps du DPN. Ses promoteurs en vantent la précocité et son « innocuité » par l’absence de fausses couches sur fœtus normaux (l’amniocentèse étant devenue inutile) qui permettraient une interruption dans le cadre légal de l’IVG avec – l’affirment-ils ! – un moindre retentissement psychologique. « Avantages éthiques » exclusifs considérables à leurs yeux ! Pour ces raisons, en 2013, le Collège des gynécologues obstétriciens (CNGOF) et le Comité d’Ethique (CCNE) ont recommandé la généralisation du DPANI à toute la population en lieu et place des tests probabilistes classiques, préjugeant de la prochaine révision de la loi bioéthique…
Information : incitation ou injonction ?
Si la prescription du DPANI devait être proposée en 1ère intention à toutes les femmes enceintes et non uniquement réservée aux femmes dites à risque, l’information préalable en serait simplifiée puisque réduite à la question de la conservation ou non de la grossesse si le fœtus est détecté porteur de la T21… Information sous forme d’incitation ou d’injonction, ceci dès la 1ère consultation et bien avant toute échographie ! Cette éventualité interviendrait dans le cadre du délai légal de l’IVG, sans référence nécessaire aux médecins experts des Centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN), seuls habilités à valider l’acte d’IMG. D’autre part cet amalgame entre l’IMG et l’IVG deviendrait possible par l’absence de motif à invoquer et la suppression du délai de réflexion après les récentes modifications apportées à la loi Veil.
Le taux d’élimination des fœtus passerait alors de 96 à 100%, élimination radicale d’une population selon des critères chromosomiques et première étape vers le transhumanisme comme le démontre Jean-Marie Le Méné dans son dernier livre[4]. N’en doutons pas ! L’objectif de la firme américaine Sequenom qui fabrique le test sanguin précoce est de rendre encore plus performante sa technique et utilisable bien plus précocement, c”est-à-dire avant 63 jours d’aménorrhée, date limite pour une IVG médicamenteuse en ambulatoire, à domicile.
Contrairement à ceux qui ont abandonné l’obstétrique en raison d’un conflit intime, refusant de devenir les morticoles[5] modernes de la médecine prénatale au service d’enjeux financiers colossaux, d’autres confrères, lassés des contraintes du DPN, espèrent la mise en place rapide de ce dispositif généralisé qui faciliterait leur tâche… Attitude à laquelle nous ne pouvons nous résoudre !
Pour un véritable dispositif d’information
Pour tenter d’enrayer cet engrenage totalement déraisonné et très néfaste pour l’avenir de notre société et de notre spécialité, nous réclamons un projet public d’investissement dans la recherche thérapeutique ainsi qu’un véritable dispositif d’information des patientes et des couples qui ne reposerait pas exclusivement sur les « épaules » du médecin et de la sage femme. Ce pourrait être un site internet officiel, contrôlé, regroupant les expertises et paroles de médecins : obstétriciens, pédiatres, généticiens mais aussi associations de parents de handicapés… Ce site serait recommandé aux femmes et aux couples au tout début de leur grossesse, voire avant de préférence. Il ne serait alors plus question d’information automatique, non neutre, suscitant la prescription au cours d’une consultation bien trop courte. Médecins et sages femmes auraient pour rôle de s’assurer de la bonne compréhension du contenu du site, de répondre aux questions, d’orienter vers un conseil génétique ou de prescrire certains examens ou tests selon les cas.
Depuis 2011, nous réclamons ce dispositif d’information qui est déjà une réalité pratique au Japon tout comme un débat national le plus large possible sur le dépistage prénatal dont nous n’avons plus le droit de faire l’économie !
Il s’agit d’une véritable urgence de santé publique !
[1] XXVIème Semaine de la Science, St-Michel –sur-Orge, Espace Marcel Carné : « les dépistages prénatals peuvent-ils déboucher sur un certain eugénisme ? » Débat animé par Antoine Spire (journaliste et écrivain), Intervenants : Catherine Dekeuwer (Lyon3) et Jean-Paul Thomas (Paris-Sorbonne), philosophes, et Patrick Leblanc, gynécologue obstétricien, coordinateur du Comité pour sauver la médecine prénatale.
[4] J-M Le Méné. Les premières victimes du transhumanisme. G. de Roux. 2016.
[5] Référence au monde médical exerçant une science sans conscience décrit par Léon Daudet dans son roman satirique : Les Morticoles publié en 1894.