Patrick Leblanc, gynécologue obstétricien, réagit au vote de la loi Gaillot, qui a étendu le délai légal pour avorter de 12 à 14 semaines de grossesse (cf. Avortement : Les députés adoptent définitivement la PPL Gaillot). Ce texte, voté en dernière lecture le 23 février par l’Assemblée nationale, suscite de nombreuses inquiétudes parmi les professionnels de santé souligne-t-il.
En raison de la pandémie et du confinement, les conditions d’accès à l’IVG auraient été entravées. Aussi le législateur a voulu renforcer l’effectivité du “droit à l’avortement” en proposant principalement l’allongement du délai de 14 à 16 semaines d’aménorrhée (SA) — c’est-à-dire au-delà du 1er trimestre. Est-ce sans risque sur le plan médical ? D’autres mesures ont été retenues telles que la suppression du délai de réflexion et l’autorisation accordée aux sages-femmes de réaliser des IVG chirurgicales. Ces dispositions sont-elles réellement de nature à améliorer la prise en charge des femmes faisant le choix d’interrompre leur grossesse ?
Une interruption tardive réellement sans risque ? Tel est l’argument principal de ses partisans qui ne sont pas des opérateurs. Quel gynécologue-obstétricien peut affirmer réaliser une IVG de gaieté de cœur à la différence d’un accouchement ? Plus cet acte est tardif dans la grossesse, plus il est malaisé et donc à risque. Résumons la technique : parce qu’il faut, sous anesthésie générale, saisir le col utérin à l’aide d’une pince, le tracter puis le contraindre à se dilater de manière mécanique (en dépit d’une préparation médicale), il existe un risque notable de déchirure du col et de saignement; pour obtenir une vacuité utérine, l’aspiration peut ne pas suffire en raison des dimensions du fœtus trop grandes à ce terme pour le diamètre du col : aussi, après rupture de la poche amniotique, il faut introduire une autre pince dans l’utérus, saisir le fœtus, l’écraser afin de réaliser son morcellement et extraire progressivement le crâne, les membres, le thorax… Que pensent les militants de l’association L214 d’une telle mise à mort ?… Le gynécologue est seul devant le spectacle de son acte tandis que l’anesthésiste et l’infirmière de bloc évitent de regarder la scène ou « tentent de se distraire » en parlant de tout autre chose dans l’attente des mots de l’opérateur : « c’est fini »… Jusqu’à la patiente suivante… Ce geste, en raison de sa difficulté, peut être anormalement long et pourra même nécessiter une reprise chirurgicale toujours sous anesthésie générale car, malgré l’échographie concomitante, il existe un risque de rétention de placenta ou de « débris » fœtaux eux-mêmes à risque d’hémorragie secondaire et d’infection. Toutes ces manœuvres sur un utérus fragilisé peuvent favoriser perforation utérine, accolements de la cavité utérine (synéchies) responsables de stérilité… mais aussi d’accouchement prématuré ultérieur en raison d’un col utérin devenu anormalement béant, incompétent car forcé. Nous n’évoquons pas ici d’autres conséquences possibles plus tardives, psychologiques.
Le législateur prend l’exemple de nos pays voisins autorisant les IVG jusqu’à 22 semaines d’aménorrhée et prétexte leur « absence de mortalité » accentuée… Mais il n’évoque pas leurs complications. N’y en aurait-il pas ? La technique utilisée est pourtant la même chez tous les gynécologues du monde entier.
Interruption sans délai ? Après la suppression du délai de réflexion d’une semaine, jugée « infantilisante pour la femme » puis celle, voulue dans cette dernière loi, du délai de 48h après la consultation psychosociale, la précipitation est-elle garante d’une bonne prise en charge de la femme sur le plan psychologique ? Nous avons vu des femmes consulter en urgence en regrettant leur décision quelques heures à peine après leur première prise médicamenteuse… hélas, trop tard ! Le processus d’interruption était en marche. Un processus qui n’est pas forcément stoppé quand le protocole médicamenteux est interrompu…[1]
Pourquoi des IVG tardives ? Dans son argumentaire, le législateur souligne aussi : « Les femmes les plus précaires font des IVG plus tardivement, à cause d’un manque d’accès à l’information et de grandes disparités territoriales ». Est-ce au gynécologue d’assumer les carences de l’État tant au niveau social qu’au niveau d’une réelle politique de prévention de l’IVG tandis que le même médecin constate, par son activité, une paupérisation accentuée d’une certaine partie, la plus jeune, de la population ?
Une présentation orientée ou tronquée avec un argument fallacieux mis en exergue : des médecins feraient volontairement obstruction à l’IVG en faisant « traîner » leurs patientes… Ceci est pour le moins surprenant ! Y-a-t-il eu des plaintes déposées contre ces praticiens par le Planning familial, mouvement particulièrement actif ? Nul d’entre nous n’ignore en effet le fameux délit d’entrave à l’IVG puisque nous exerçons notre métier sous la pression très prégnante du risque médicolégal. Les femmes sont systématiquement orientées vers des médecins non objecteurs. Autre prétexte pour banaliser l’IVG : une femme sur trois a eu, a, ou aura recours à l’IVG dans sa vie. Ce chiffre est manifestement manipulé puisque, dans les faits, plus d’une femme peut subir plusieurs IVG… 2, 3 jusqu’à 9 comme nous l’avons personnellement observé !
Changer les mentalités. Tel est l’objectif du rapporteur du projet de loi. Une loi peut-elle contraindre la conscience du médecin ? Que feront les médecins qui répugneraient à réaliser de tels actes ? Se détourneront-ils de la spécialité ? Le risque n’est-il pas une diminution accentuée du nombre de gynécologues-obstétriciens en France ainsi qu’une aggravation de l’inégalité dans leur répartition territoriale ? Reporter ces tâches « ingrates » sur les sages femmes — qui ne les réclament pas — est-ce vraiment la solution ? Supprimer la vie débutante à un terme encore plus avancé permet-il de supprimer les problèmes liés à la vie ?
[1] La prise de progestatif comme « antidote » n’est pas inscrite dans les recommandations en France.