Près d’un an après son autorisation, la pratique des avortements entre 14 et 16 semaines d’aménorrhée (SA) peine à se répandre en France, et continue de poser question[1].
Démarrage dans l’urgence
La loi Gaillot (cf. Avortement : Les députés adoptent définitivement la PPL Gaillot ), qui a notamment allongé le délai légal de l’IVG de 12 à 14 semaines de grossesse (14 à 16 SA), a été rendue applicable dès le lendemain de sa publication, le 3 mars 2022, sans que les textes réglementaires précisant l’organisation et les protocoles n’aient été prévus. Un démarrage dans l’urgence qui a pris au dépourvu les professionnels de santé concernés indique le Dr Karima Bettahar qui exerce au CHU de Strasbourg. « Il fallait s’organiser tout de suite dans les services ».
Six à neuf mois après la promulgation de la loi, plus de 1.000 IVG ont été réalisées entre 14 et 16 SA, selon un état des lieux présenté lors du congrès Paris Santé Femmes organisé fin janvier à Lille.
La méthode change en fonction du stade de la grossesse : IVG le plus souvent médicamenteuse jusqu’à 9 SA, en établissement de santé ou en ville, et IVG instrumentale jusqu’à 16 SA. Le Dr Karima Bettahar précise toutefois que « des équipes n’ont pas les moyens de faire une prise en charge chirurgicale et ce sont les femmes qui paient les pots cassés, les médecins étant obligés de choisir une technique par rapport à une autre ».
Des problèmes majeurs, des difficultés psychologiques, des questions éthiques
Le Dr Nathalie Trignol du centre d’orthogénie du CHU de Tours, coprésidente de l’Association nationale des centres d’IVG et de contraception, rappelle les problèmes majeurs liés à la pratique de l’IVG entre 14 et 16 SA : devenir du corps du fœtus, absence de circuit formalisé, d’obsèques, de déclaration à l’état civil, mais aussi le fait que les fœtus sont nés « vivants » pendant quelques minutes, ou encore les difficultés psychologiques pour les équipes, sans oublier les questionnements éthiques quant au respect du corps ou au fait que les femmes voient le fœtus quand elles expulsent.
D’autres problèmes importants sont aussi soulevés selon elle par l’IVG instrumentale avec dilatation/extraction. Ils concernent « la formation des professionnels, la peur du geste, des morcellations, perforations ou hémorragies, le manque de matériel spécifique, la clause de conscience sélective entre 14 et 16 SA, le côté chronophage, l’accès au bloc, l’échoguidage qui peut être difficile à regarder, la nécessité d’une hospitalisation la veille en cas de passage au bloc tôt le matin, pour la prémédication » résume-t-elle.
Pour une fois, l’horreur de l’acte est reconnue au grand jour et pose question (cf. Loi Gaillot : réaction d’un gynécologue).
Par ailleurs, la tarification de l’IVG médicamenteuse non revalorisée et la difficulté de respecter le forfait IVG normalement inextensible, sans cotation anesthésiste, sans cotation d’hospitalisation sont également des difficultés soulevées.
Enfin, le Dr Nathalie Trignol rappelle que « la salle de naissance représente un lieu et un terme assez inadaptés à l’IVG, il va falloir trouver quelque chose si on veut que les IVG médicamenteuses se fassent avec une péridurale » .
Un allongement imposé malgré les réticences
L’allongement du délai légal de l’IVG a été imposé aux médecins qui n’en voulaient pas et qui l’avaient largement récusé (cf. Extension du délai légal pour avorter : Avis du CCNE, opposition du CNGOF, le texte sera discuté demain), même si le gouvernement s’était empressé de le rendre applicable.
Peu de temps après la loi Gaillot, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) avait déjà fait part de ses inquiétudes face aux « difficultés techniques et/ou organisationnelles » comme aux « risques médicaux » (cf. Allongement du délai d’IVG : l’inquiétude des gynécologues) .
Manifestement, près d’un an après, rien n’est encore résolu et les difficultés persistent. « On est en cours d’analyse de la situation » expliquent certains professionnels.
Allongement du délai, constitutionnalisation, toutes les opportunités semblent bonnes pour promouvoir à tout prix le « droit à l’avortement » et le banaliser, mais cela sert-il vraiment les femmes ? Ne pourrait-on pas plutôt agir par la prévention pour éviter ces situations dramatiques pour elles comme pour les soignants ?
[1] Dépêche APM, IVG entre 14 et 16 SA: des questions pratiques encore à régler après un démarrage dans l’urgence (01/02/2023)