Inscription de l’IVG dans la Constitution : quelles implications pour le gynécologue obstétricien ?

Publié le 1 Mar, 2024

Alors que le projet de loi visant à inscrire la « liberté garantie » de recourir à l’IVG dans la Constitution est renvoyé devant le Congrès suite à son adoption par le Sénat le 28 février (cf. IVG dans la Constitution : le vote téléguidé des sénateurs), le Dr Patrick Leblanc, gynécologue obstétricien, s’inquiète des conséquences pour sa profession. Les médecins seraient-ils les grands oubliés de ce projet de loi constitutionnelle ?

Inscrite dans la Constitution, la « liberté de recourir à l’IVG » sera gravée dans le marbre. Ainsi en décideront certainement les deux Chambres réunies en Congrès à Versailles le 4 mars prochain. La France sera le second pays au monde à le faire, après l’ex-Yougoslavie de Tito (cf. « Aucun État n’a inscrit un droit à l’IVG dans sa Constitution, sauf l’ex-Yougoslavie »). Si la « liberté » des femmes est en passe d’être inscrite dans la Constitution, il n’en est pas de même de la liberté des médecins. L’amendement défendant la clause de conscience des médecins a été largement rejeté par le Sénat. Un déséquilibre qui menace l’exercice de la gynécologie obstétrique.

La loi Veil dénaturée

Initialement voulue par Simone Veil afin de lutter contre les redoutables complications, parfois mortelles, des avortements clandestins, la loi dépénalisant l’IVG a subi d’importantes modifications durant ces 25 dernières années pour ne cesser de s’étendre. Au fil des ans, elle a connu l’allongement progressif de sa durée légale, la suppression du délai de réflexion, de la notion de détresse, ainsi que de la consultation psychosociale… (cf. Avortement : Les députés adoptent définitivement la PPL Gaillot). Ainsi, cette loi fut progressivement « dépouillée » de certaines dispositions et conditions qui délimitaient son cadre d’exception voulu par ses rédacteurs. Mais ces changements majeurs vont totalement à rebours de l’esprit initial de la loi (cf. Constitutionnalisation de l’avortement : le « mensonge qui tue » en « étendard »).

Simone Veil avait aussi intégré dans son texte le respect de la liberté de conscience du personnel soignant et du médecin. Charge incombait alors à ce dernier d’orienter sa patiente vers un autre confrère, non objecteur. Mais la clause de conscience est également remise en question depuis quelques années : il existe une demande récurrente pour la supprimer, demande soumise par des députés aussi bien au Parlement européen qu’à l’Assemblée nationale (cf. Supprimer la clause de conscience ? Des questions juridiques et éthiques).

La raison principale invoquée serait la difficulté d’accès des femmes à l’IVG du fait de la diminution du nombre de gynécologues obstétriciens, et de l’augmentation de celui des médecins objecteurs. Pour y pallier, en 2021, le législateur a décidé d’élargir les compétences des sages-femmes afin de les autoriser à pratiquer des IVG instrumentales, des actes bien éloignés de ce qu’elles ont coutume de réaliser en salle d’accouchement (cf. IVG instrumentales par des sages-femmes : encore une « expérimentation » pérennisée).

A aucun moment, les gouvernements successifs ne se sont en revanche attaqués aux causes de l’avortement pour essayer de les prévenir.

Non-dits et mensonges

En dépit des moyens de contraception actuellement disponibles, le nombre d’IVG en France demeure très élevé, aux alentours de 234 000 interruptions pour 700 000 naissances (cf. France : 234 300 avortements en 2022). Ces chiffres font dire à ses partisans, comme à certaines associations, qu’au cours de sa vie « une femme sur trois a eu, a ou aura au moins une IVG ». Des chiffres parmi les plus élevés d’Europe, mais cette donnée ne serait-elle pas biaisée par les non-dits, voire les mensonges ?

Il nous faut reconnaître que l’IVG est devenue, dans la mentalité de nombre de nos concitoyens, une méthode de contraception « comme une autre ». Ainsi, une même patiente peut faire pratiquer deux, trois, et même jusqu’à huit IVG comme j’ai pu l’observer.

En outre, allant de pair avec le devoir d’information du médecin qui est inscrit dans le Code de la Santé Publique (CSP), le consentement éclairé du patient est, quant à lui, exigé avant tout acte médical. Il est pourtant formellement déconseillé à l’obstétricien de décrire les images d’échographie fœtale, ou d’évoquer les risques éventuels (hémorragie, rétention, retentissement psychologique…) inhérents à toute interruption de grossesse, sous peine d’être accusé de culpabiliser, voire d’influencer sa patiente. A l’opposé, après un accouchement prématuré dont on effectue le bilan étiologique, il est essentiel de savoir si la femme a subi un éventuel avortement tardif provoqué, possiblement responsable d’une béance anormale du col. Des obligations à double vitesse selon les sujets, ou la volonté de ne pas dire la réalité de l’avortement ? Dans ces conditions comment le recours à l’IVG peut-il être réellement une « liberté » consentie ? (cf. IVG : une femme témoigne « ce n’était pas “mon choix”, mais “ma peur” »)

Une spécialité menacée

Depuis son vote, la loi Veil a subi de notables transformations, qualifiées par certains de progrès sociétaux. L’évidente banalisation de l’acte d’interruption de grossesse sera encore accentuée par son inscription dans la Constitution. Devant ce constat, le gynécologue obstétricien est en droit de s’interroger sur l’évolution de sa pratique, mais aussi sur la pression médico-légale exercée dans son métier (cf. Allongement du délai d’IVG : l’inquiétude des gynécologues).

Le gynécologue-obstétricien, spécialiste de la grossesse et de la naissance, est le témoin privilégié de la vie intra-utérine dès son début. Déceler, dès 15 jours de retard de règles, une activité pulsatile deux à trois fois plus rapide que le rythme cardiaque de la gestante au sein d’un petit écho embryonnaire, mesurant à peine 1,5 mm, suscite constamment un nouveau regard sur cet être en devenir. Même si notre société ne lui accorde pas le statut juridique lié à la personne, il ne s’agit ni d’un objet, ni d’un animal. Aussi, interrompre une grossesse, même précocement, ne peut pas être un geste anodin pour le médecin. Il est même psychologiquement difficile à réaliser, qu’il soit médical ou chirurgical, car cet acte va à l’encontre de la mission essentielle de l’obstétricien qui est d’accueillir la vie, non de l’éliminer. Sans parler des avortements tardifs qui peuvent, dans certains cas, nécessiter un écrasement puis un morcellement du fœtus à l’aide d’une pince (que penseraient les membres de l’association L 214 d’une telle pratique chez les animaux ?) (cf. IVG entre 14 et 16 SA : une pratique qui continue de poser question).

Quel avenir ?

Que le médecin puisse faire valoir librement sa clause de conscience est une condition essentielle, respectée jusqu’à présent dans la loi Veil. Mais, à compter du 4 mars, en faire état pourrait être soupçonné d’être un obstacle à la « liberté de la femme de recourir à l’avortement », et pourrait même un jour être dénoncé par un texte de loi, car la liberté de conscience du médecin n’est pas inscrite dans la Constitution. Une loi peut-elle contraindre la conscience du médecin ?

Quel avenir pour la gynécologie-obstétrique ? L’absence de liberté de conscience, jointe aux contraintes inhérentes à la spécialité, ne risque-t-elle pas d’en détourner nos jeunes internes ? Et que resterait-il comme solutions au médecin objecteur ? Abandonner sa spécialité ? Démissionner de son poste hospitalier tandis que nos hôpitaux en crise sont déjà en manque cruel de gynécologues obstétriciens (cf. IVG : « la disparition de la clause de conscience conduirait des soignants à démissionner ») ? Exercer le droit de grève ?… un droit qui a valeur constitutionnelle puisqu’il est inscrit dans le préambule de la Constitution.

 

Patrick Leblanc

Patrick Leblanc

Expert

Le docteur Patrick Leblanc est gynécologue obstétricien à Béziers. Depuis 2011 il coordonne le Comité pour Sauver la médecine prénatale, qui regroupe plus d’un millier de professionnels de la grossesse (gynécologues et obstétriciens, sages femmes, généticiens…). Ce Comité s’est créé en 2010 afin que le corps médical puisse prendre la parole sur le sujet du diagnostic prénatal qui impacte structurellement les métiers de la grossesse. Le dépistage précoce et systématique de certaines pathologies, ainsi qu’une responsabilité accrue des professionnels de la grossesse conduisent à poser des questions éthiques importantes quant à l’avenir de la médecine mais aussi de la société. Au nom de ce comité, le Docteur Patrick Leblanc alerte sur l’évolution eugénique de la médecine prénatale en France et dans le monde.

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