« PMA pour toutes » : le lien de filiation à l’épreuve des séparations conflictuelles

Publié le 7 Sep, 2021

Sacha[1] est né le 2 décembre 2014 à Toulon, après une procréation médicalement assistée (PMA) réalisée en Belgique. Sa mère, Sonia[2], est alors pacsée avec une femme, Agnès depuis 2011. Elles souhaitent « fonder une famille ». Les deux femmes se marient et le 24 septembre 2015, Agnès qui a entamé des démarches d’adoption avant même la naissance de l’enfant, obtient le prononcé de l’adoption qui lui permet d’être déclarée « mère » du petit garçon.

Au printemps 2019, Agnès donne naissance à une petite fille, elle aussi issue d’un parcours de PMA en Belgique. Une petite fille que Sonia n’adoptera pas. Elle demande le divorce en février 2020. Agnès obtient d’un juge aux affaires familiales un droit de visite et d’hébergement sur Sacha, au nom de « l’intérêt de l’enfant [à] maintenir des liens avec son autre parent ». Mais Sonia demande que soit révoquée l’adoption de son fils.

« Dans les cas d’une famille recomposée, l’adoption de l’enfant du conjoint prend des années. Il y a une enquête, on vous pose des questions… Elle est accordée à quelqu’un qui s’est impliqué dans l’éducation, quand il y a un attachement », explique Me Cyrille La Balme, l’avocat de Sonia, au journal Var Matin. « Est-ce que c’est dans l’intérêt de l’enfant d’être adopté alors qu’il n’a pas un an ? C’est une vraie question de société… », souligne l’avocat qui juge l’adoption « trop rapide ». Une question de société que l’Etat a amalgamée à la loi de bioéthique 2021, promulguée au cœur de l’été[3].

Une histoire singulière ?

La révocation de l’adoption ne peut être prononcée qu’en cas d’adoption simple. « Elle doit se justifier par des motifs graves et si elle est prononcée, elle fait cesser pour l’avenir tous les effets de l’adoption antérieurement prononcée », précise Olivia Sarton, directrice scientifique de l’association Juristes pour l’enfance. « Lorsque l’adoption est plénière (elle est notamment ouverte vis-à-vis de l’enfant du conjoint lorsque cet enfant n’a de filiation légalement établie qu’à l’égard de ce conjoint), elle a un caractère définitif et ne peut faire que l’objet d’une nullité pour vice du consentement du ou des parents biologiques. »

« Si l’histoire de Sonia et Agnès semble un peu particulière puisque la mère de l’enfant demande la révocation de l’adoption, il existe en réalité de très nombreux cas de couples de femmes qui, après avoir obtenu un enfant par PMA dans un pays étranger, se séparent et se déchirent ensuite certes sur la garde de l’enfant, ou le droit de visite et d’hébergement (comme peuvent le faire des parents biologiques), mais surtout sur la reconnaissance d’un lien de filiation », affirme Olivia Sarton.

La loi au service de désirs d’adultes ?

Au début de l’année 2020, avant l’entrée en vigueur de la loi de bioéthique, à l’occasion des débats parlementaires visant à réformer l’adoption[4], la députée Coralie Dubost a introduit un cavalier législatif pour imposer à une mère biologique l’adoption par sa conjointe de son enfant né par PMA à l’étranger. Et ce sont ces situations conflictuelles qui ont motivé ce cavalier législatif explique la directrice scientifique de Juristes pour l’enfance.

« La situation envisagée est celle où deux femmes en couple ont réalisé ensemble les démarches de PMA avant de se séparer une fois l’enfant né, explique Olivia Sarton. Il est alors fréquent que la mère biologique seule désignée dans l’acte de naissance s’oppose à l’établissement d’un lien de filiation (par l’adoption) à l’égard de l’autre femme. L’amendement ajouté à la proposition de loi (qui n’a pas encore été définitivement votée) veut permettre à la seconde femme de demander l’adoption et de l’obtenir y compris si la mère biologique s’y oppose. » Un « bricolage juridique idéologique » qui constitue « une violation aussi bien des règles relatives à l’autorité parentale que des règles relatives à l’adoption » affirme l’avocate.

Quand la filiation devient fiction

Selon Olivia Sarton, ces séparations conflictuelles entraînant un refus par la mère biologique du maintien d’un lien entre la seconde femme et l’enfant ont sans doute également été à l’origine du refus obstiné des parlementaires d’envisager, dans la loi de bioéthique adoptée cet été, l’établissement du lien de filiation vis-à-vis de la seconde femme par l’adoption[5]. Ils ont préféré créer une filiation légale fictive incontestable (à moins que l’enfant ne soit pas issu de la PMA).

Mais ce faisant, ils n’ont résolu aucune des incohérences que l’histoire de Sonia et Agnès met en exergue et qui se traduit par le fait que la mère biologique se considère bien souvent comme la seule et vraie mère, et dès lors qu’elle est séparée de sa compagne, ne veut plus lui donner aucune place ni aucun rôle auprès de l’enfant.

Sonia aura-t-elle gain de cause ? On ne voit guère en l’espèce comment l’argumentaire de l’avocat de Sonia relatif à l’absence de « démonstration des capacités aimantes » d’Agnès pourrait prospérer puisque ce qui compte désormais aux yeux de la loi, c’est seul le projet parental à l’origine de la conception de l’enfant.

[1] Le prénom de l’enfant a été modifié.

[2] Les prénoms ont été modifiés.

[3] Promulgation de la loi de bioéthique le 2 août 2021

[4] Adoption : une proposition de loi vide « de l’essentiel pour sécuriser un enfant » et Proposition de loi sur l’adoption : vers « la suppression de garanties essentielles pour les enfants »

[5] Loi Bioéthique : Filiation, la pomme de discorde

Photo : Freeimages

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