Loi Bioéthique : Filiation, la pomme de discorde

Publié le 1 Juil, 2020

Mercredi 1er juillet, 3e jour d’examen par la Commission spéciale bioéthique des articles du projet de loi en vue du futur débat en séance la semaine prochaine. Et Patrick Hetzel (LR) renouvelle son appel à ne pas aller « à marche forcée » sur des sujets « lourds de conséquence », estimant que le débat est « déjà escamoté par le fait que le gouvernement ne daigne pas se présenter en commission ».

 

L’auto-conservation des ovocytes : un « leurre »

 

Après avoir voté l’article 1, la Commission spéciale bioéthique de l’Assemblée nationale se penche sur la question de l’autoconservation des gamètes. Avec un objectif affiché par les députés de la majorité : rétablir l’article 2 « en exacte conformité » avec ce qu’il était avant le vote du Sénat. Malgré les tentatives portées par Xavier Breton (LR), Patrick Hetzel (LR), Thibault Bazin (LR), ou Annie Genevard (LR), visant à amender cet article pour limiter l’autoconservation à une « finalité thérapeutique » et à une durée de cinq ans, à exclure les centres privés de cette pratique ou encore à introduire une disposition afin d’informer le conjoint, l’article 2 est rétabli. Au grand regret d’Annie Genevard qui estime que « l’auto-conservation n’est pas une avancée pour les femmes », ni « une réponse à l’infertilité ». Pour la députée qui rappelle que « c’est un marché », les priorités sont inversées. « Le prélèvement des ovocytes est un acte lourd, affirme Thibault Bazin. Faut-il inciter à un acte lourd sans raison médicale ? ». Patrick Hetzel considère que cette technique est « un leurre », étant données les « chances extrêmement minces » de concevoir un enfant au terme de ce parcours, s’étonne de « la légèreté [de Jean-Louis Touraine] à balayer des arguments de fond ».

Fruit d’un travail transpartisan, l’article 2bis qui vise à proposer une campagne d’information et de recherche sur les causes de l’infertilité suscitera moins de débats. Même si Patrick Hetzel estime que le travail autour de la restauration de la fertilité est aujourd’hui « négligé ».

 

L’introduction de l’accès aux origines : une mesure qui n’est pas sans conséquence

 

Sur l’article 3 relatif au don de gamètes, la rapporteur Coralie Dubost rappelle les grandes lignes : « maintien du principe de l’anonymat du don », mais, « en même temps », l’ouverture de l’accès aux origines pour les enfants issus de don. Et Thibault Bazin appelle à s’interroger sur les conséquences future de la loi en débat. L’accès aux origines vise à « corriger les effets négatifs » créés par l’autorisation de l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, estime-t-il. Mais qu’en sera-t-il des enfants nés au terme d’un parcours de PMA mené par une femme seule ? Ne chercheront-ils pas à reconstituer la branche manquant à leur parentèle ? Pour Patrick Hetzel, il s’agit d’une « bombe à retardement juridique ». Seule la levée du principe du double consentement, au moment du don et au moment où la demande d’accès aux origines sera formulée, sera adoptée. Le conjoint du donneur n’aura pas à être informé, et il sera possible de procéder à un don même sans être déjà parent soi-même. Dix enfants pourront naître des gamètes d’un même donneur. L’article 3 est lui aussi adopté.

 

Mais des questions demeurent. Coralie Dubost s’interroge : « peut-être qu’un jour il faudra faire quelque chose pour le donneur ? » Et l’introduction de l’accès aux origines n’est pas sans conséquence. Pour éviter la coexistence de deux régimes, antérieur et postérieur à la loi, 12 000 embryons devront être détruits. Pourtant « faire coexister deux régimes sera moins anxiogène pour les personnels des CECOS[1] que de procéder à cette destruction », estime Emmanuelle Ménard, députée non inscrite. Mais « je sais bien que vous faites la différence entre “avec” et “sans projet parental” », déplore-t-elle. Pour vous, dit-elle, « un embryon avec un projet parental est un sujet qui mérite de vivre. Sans projet parental, il n’est qu’un amas de cellules ». « Non, un embryon n’est pas un amas de cellules, affirme Emmanuelle Ménard, c’est un embryon. Un enfant à naître. » Sensible au sujet, Thibault Bazin demande à ce que soient distingués embryons et gamètes dans le texte, sauf à penser qu’ils méritent pareilles considérations éthiques. La rapporteur l’invitera à « soumettre [ses] observations au ministre en séance ».

 

L’article 4 relatif à la filiation cause une suspension de séance

 

Alors que les députés étaient en train de débattre des amendements relatifs à l’article 3, coup de théâtre : Patrick Hetzel demande la parole pour dénoncer le fait que Coralie Dubost « vient de proposer une réécriture totale de l’article 4 » relatif à la filiation. Le député ne cache pas son indignation : « C’est un scandale ! On ne peut pas travailler comme ça ! » Et Elsa Faucillon (GDR) suivra « ses camarades de l’autre côté » pour reconnaître que « le gouvernement ne soit pas là, ça commence à poser problème ». Au terme d’une suspension de séance et d’une réunion du bureau de la Commission, il est décidé que l’article 4 est réservé. Les débats continueront et l’article 4 sera débattu à 21h30.

 

Le don d’organes : un sujet plus consensuel ?

 

Les articles relatifs au don d’organes génèreront moins de débats, hormis une discussion autour de la limite à imposer en termes de paires donneur-receveur dans le cadre de dons croisés. L’autorisation du don du sang par les personnes homosexuelles suscitera également une discussion, bien que tous les députés semblent d’accord sur le sujet. Enfin, dans la ligne de l’affaire du don des corps à la science à l’Université Paris Descartes (cf. Scandale des corps donnés à la science : vers une réflexion bioéthique ? ), le sujet sera abordé pour la première fois dans le contexte des lois de bioéthique. Les articles seront votés sans remous.

Dans ce débat, Xavier Breton appelle à garder « l’exigence éthique qui fait la fierté de notre pays ». Les conditions des discussions en cours à la Commission spéciale bioéthique sont-elles en phase avec cette exigence ? Rien n’est moins sûr.

 

Une séance de nuit : des débats houleux et bruyants

 

La reprise des débats dans la soirée se fait attendre. Suite au remplacement de l’article 4 modifié par le Sénat par un amendement glissé en catimini par la rapporteur Coralie Dubost (LREM), les sous-amendements ont afflué et ont contraint la présidente de la commission spéciale bioéthique à reporter d’une demi-heure la tenue des débats. Pour une fois, la garde des sceaux s’installe à la tribune, « parce qu’il s’agit d’un sujet très sensible », explique-t-elle. Pour autant, ses interventions au cours de la soirée se feront rares. Très rares, elle laissera les coudées franches à la rapporteur.

 

 

Mais le retour en séance est houleux. Si les députés LREM sont bien sages « sous leur bannière », les autres députés s’insurgent. Elsa Faucillon (PCF) demande : « Que s’est-il passé entre la première et la deuxième lecture pour que vous présentiez cette réécriture dont vous savez qu’elle ne fera pas consensus à l’assemblée ? » quand Patrick Hetzel interpelle : « Le texte a été déposé le 5 février, nous sommes le premier juin et le sous-amendement a été déposé aujourd’hui à 16h50 alors qu’il s’agit du cœur juridique du projet de bioéthique sur la PMA ». Il ajoute agacé : « Je proteste, ce ne sont pas des conditions normales de débat qui touche des sujets de fond. Ca n’est pas à la hauteur des enjeux. La nation est bafouée ». Agnès Firmin le Bodo (LREM), présidente de la commission, peine à ramener le calme. Les débats se tiendront dans un brouhaha constant qui lui fera, à plusieurs reprises, perdre patience. Sur le fond, pour Thibault Bazin, « ce qui est ennuyeux avec ce nouvel article 4, on ne discute pas du texte adopté par le Sénat qui avait fait des propositions intéressantes. Et vous ouvrez la porte à la GPA ».

 

Reconnaissance conjointe vs adoption plénière ?

 

Les discussions sont longues, argumentées. Sans cesse, « puisqu’il y a une différence entre les deux femmes », les députés plaident pour que l’adoption, qui ne bouleverse pas le droit de la filiation, soit préconisée plutôt que le statut de reconnaissance conjointe. Cette nouveauté législative veut que les deux femmes déclarent ensemble vouloir être mères avant la naissance. « La mère qui accouche étant toujours certaine », le dispositif doit permettre l’inscription « automatique » de l’autre femme à l’état civil dès la naissance de l’enfant. Cette reconnaissance n’est plus basée sur la réalité biologique mais sur le projet parental qui consacre la volonté des femmes et relègue la réalité biologique. Tant la rapporteur que la ministre justifient l’abandon du régime d’adoption parce que celui-ci implique un délai entre le moment de l’accouchement et le moment où la seconde femme, à l’issue du processus d’adoption, devient mère. Mais aussi, parce qu’elles estiment que ce régime ne correspond pas à la réalité : les deux femmes sont parents à égalité et doivent donc être parents en même temps. Sauf que de toutes façons, cette configuration est un affront à la vérité de la filiation qui implique pour la conception d’un enfant : un homme et une femme. Et jusqu’ici la science n’a jamais réussi à faire que deux hommes ou deux femmes puissent concevoir ensemble. La loi maquille la vérité pour satisfaire au désir d’enfant.

 

L’éviction du masculin

 

Plusieurs fois au cours de la soirée, Thibault Bazin s’étonne : « Je suis à la recherche de l’homme dans la modification que vous proposez. Il n’y a plus de référence à l’homme ou à la paternité. Je ne vous parle pas du père qui a disparu ». De fait, en entendant les débats, on a la curieuse impression que le droit de la filiation est réécrit pour satisfaire aux exigences de couples de femmes et que la filiation hétérosexuelle devient quelque chose d’inexistant ou de marginal, ce qui est assez déroutant.

 

La recherche en paternité

 

Une autre question récurrente est celle de la reconnaissance en paternité, qui est un droit consacré par le droit européen. Or, comme l’explique, par exemple, Patrick Hetzel : « Les enfants nés de PMA avec tiers donneurs sont privés du droit d’avoir accès à leur origine. Ils sont victimes d’une discrimination entre les enfants en raison de leur mode de conception ». Si Coralie Dubost réagit en affimant qu’il n’y a « pas de recherche en paternité puisqu’il s’agit d’un don », Xavier Breton pour sa part interroge : « Comment apporter la preuve que le père légal n’est pas le père biologique : il faut apporter la preuve que le père donneur n’est pas le père légal…. ? ». Emmanuelle Ménard ajoute : « Vous ne pourrez jamais empêcher à un enfant né d’un don de retrouver son géniteur. Et certains les reconnaitront comme père et on ne pourra pas dire que c’est juste un don ». Patrick Hetzel quant à lui rappelle que la France a recensé des erreurs dans les affectations d’embryons. Ils ont été implantés par erreur dans l’utérus de femmes qui n’étaient pas leur mère biologique et l’avortement a été proposé au motif justement que l’embryon n’avait pas de lien biologique. « Le lien biologique n’est pas si anodin que cela », conclut le député. Enfin, « pour vous, constate Xavier Breton, la filiation comme reconnaissance anticipée est un engagement contractuel ». Il interroge : « L’enfant serait donc un produit ? »

 

La pomme de la discorde

 

Les députés multiplient les interrogations, montrant chacun à son tour, le casse-tête juridique auquel vont conduire ces arrangements législatifs, essayant, sans y parvenir, de faire évoluer la rapporteur et la ministre pour les inviter à revenir à établir la filiation de la deuxième mère selon un dispositif d’adoption plénière. La proposition du Sénat méritait de faire l’objet d’un vrai débat sur des propositions très abouties qui n’aura pas lieu. Annie Genevard reprend : « Tout le débat tourne autour de la filiation de la femme qui n’accouche pas et vous ne pouvez pas établir de parallélisme entre l’homme et la deuxième mère. Améliorez la question du délai et gardons l’adoption. Vous savez qu’il n’y aura pas de Commission mixte paritaire conclusive si vous gardez la reconnaissance conjointe plutôt que l’adoption et il faudra une troisième lecture à l’Assemblée nationale pour conclure. Il serait préférable d’arriver à une solution qui satisfasse nos exigences respectives ». Mais sur ce point, il est à craindre que la député ne sera pas entendue.

 

Pour aller plus loin :

Loi de bioéthique : no limit

Loi de bioéthique : l’aliénation aux lois du marché de la procréation

Loi de bioéthique : vers la GPA ?

Loi de bioéthique : précipitation et silence du gouvernement

 


[1] Centres d’Etudes et de Conservation des Ovocytes et du Sperme.

 

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