Ancien donneur de gamètes lui-même, Frédéric Letellier est le Président de l’association Dons de gamètes solidaires (cf. « L’AMP avec tiers donneur n’est pas quelque chose d’anodin » ni pour les receveurs, ni pour le donneur). Il est également membre titulaire de la Commission d’Accès des Personnes nées d’une Assistance Médicale à la Procréation (AMP) aux Données des tiers Donneurs (CAPADD), et membre de groupes de travail de l’Agence de la biomédecine (ABM) sur le sujet. Il analyse pour Gènéthique la décision du Conseil d’Etat suite au recours qu’il avait fait auprès de la Haute Juridiction.
Gènéthique : Vous avez déposé un recours auprès du Conseil d’Etat. Quel est son objet ?
Frédéric Letellier : Pour être exact, j’ai déposé 2 recours en septembre et octobre 2022.
Le premier recours concerne l’arrêté du 29 août 2022 fixant le contenu du formulaire de consentement du tiers donneur à la communication de son identité et de ses données non identifiantes aux personnes majeures nées de son don. Depuis le 1er septembre 2022, il est nécessaire de signer ce formulaire de consentement pour réaliser un don de gamètes ou d’embryons. J’estime qu’il est important que le consentement des donneurs soit éclairé, et c’est la raison pour laquelle je demandais qu’il soit fait mention que le consentement est irrévocable. Je demandais également qu’il soit inscrit sur le formulaire que les modalités du droit d’accès aux origines sont susceptibles d’évoluer avec le temps (il se peut par exemple que dans le futur, les personnes issues d’un don aient accès aux données personnelles non directement identifiantes du donneur dès 14 ou 16 ans). Dans sa décision du 31 mai 2024, le Conseil d’Etat a rejeté ces demandes.
Alors que la loi prévoit un droit de rétractation de 14 jours en cas de signature d’un abonnement téléphonique par correspondance (Internet, téléphone ou voie postale), je m’étonnais qu’il n’y ait rien de tel de prévu pour les anciens donneurs qui sont sollicités par la CAPADD[1] pour signer le formulaire de consentement. Comme les anciens donneurs peuvent être très âgés (certains ont plus de 80 ans), je m’inquiétais que des donneurs signent ce formulaire de consentement sous le coup de l’intense émotion, puis regrettent leur décision quelques jours plus tard.
Pour que les personnes issues d’un don puissent obtenir l’identité du donneur, il faut que le donneur ait signé le formulaire de consentement, et également que le donneur ait renseigné le registre des dons de gamètes et d’embryons tenu par l’Agence de la biomédecine (ABM). Je demandais que, quand dans la loi il est fait mention du consentement du donneur, cela signifie que le donneur a signé le formulaire de consentement, et qu’il ait renseigné le registre de l’ABM. Le Conseil d’Etat a rejeté ma demande.
G : Et pour le second recours ?
FL : Le second recours concernait le décret n°2022-1187 du 25 août 2022 relatif à l’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur.
Mon objectif principal avec ce recours était de permettre aux anciens donneurs de s’opposer aux sollicitations de la CAPADD. Il faut savoir que quand la CAPADD est saisie d’une demande par une personne issue d’un don, elle n’a pas connaissance de l’identité de son donneur, et elle va donc contacter un centre de don pour obtenir l’identité du donneur. J’estimais que cette transmission de données entre le centre de don et la CAPADD ne respectait pas le RGPD compte tenu que le donneur n’avait pas la possibilité de s’y opposer. Le Conseil d’Etat a rejeté ma demande au motif que le RGPD permet de s’opposer à cette transmission de données. C’est donc une très bonne nouvelle puisque cela signifie que si un ancien donneur ne veut pas être sollicité par la CAPADD, il lui suffit d’écrire à son centre de don pour s’opposer à ce que ses données personnelles soient communiquées à la CAPADD.
G : Aviez vous d’autres objectifs lors de ces recours ?
FL : Mon second objectif était de sauver de la destruction des embryons surnuméraires conçus grâce à un tiers donneur. Il faut tout d’abord savoir que les couples de femmes et les femmes célibataires qui font un parcours AMP ont nécessairement recours à un don de spermatozoïdes, et s’il y a une FIV, il peut y avoir des embryons surnuméraires. Il faut également savoir que les centres de don doivent prioritairement utiliser les gamètes de donneurs n’ayant pas signé le formulaire de consentement (cf. PMA : du sperme utilisé sans consentement). Enfin, il faut savoir que depuis le 1er septembre 2022, il n’est pas possible de faire un don d’embryons si tous les donneurs n’ont pas signé le formulaire de consentement.
Lors du dernier projet de loi bioéthique, il y a eu un débat pour savoir si le donneur de spermatozoïdes devait ou non être considéré comme un donneur dans le cas d’un don d’embryons conçu grâce à lui. Il avait alors été décidé que le donneur de spermatozoïdes ne devait pas être considéré comme le donneur de l’embryon conçu par lui. Mais le gouvernement a finalement décidé, avec le décret que les donneurs de spermatozoïdes devaient être considérés comme les donneurs des embryons conçus grâce à eux. La raison de cette mesure est de permettre aux personnes issues d’un don d’embryons de connaître l’identité de leur géniteur. Son aspect négatif est que, depuis le 1er septembre 2022, les couples de femmes et les femmes célibataires ne peuvent plus faire don de leurs embryons surnuméraires si le donneur de spermatozoïdes n’a pas signé le formulaire de consentement. Si les embryons surnuméraires ne peuvent pas être donnés, cela signifie qu’ils doivent être détruits. Le Conseil d’Etat a rejeté ma demande.
G : Vous aviez également soumis deux QPC [2] au Conseil constitutionnel. Quels étaient leurs objets ? Cette démarche était-elle complémentaire de vos recours auprès du Conseil d’Etat ? Quelle a été la décision du Conseil ?
FL : Je n’étais pas capable de faire mes recours seul, et j’ai donc sollicité une juriste habituée aux recours devant le Conseil d’Etat qui m’a très aimablement apporté une aide précieuse.
Mes recours devant le Conseil d’Etat visaient certains articles de loi publiés dans le décret et les arrêtés d’août 2022. Mes QPC visaient elles des articles de la loi relative à la bioéthique du 2 août 2021 (cf. PMA avec tiers donneur : deux QPC sur les nouvelles dispositions).
La problématique des liens de filiation est très importante en matière d’AMP avec tiers donneur. Le projet de loi relatif à la bioéthique prévoyait plusieurs évolutions significatives qui étaient la « PMA pour toutes », ainsi que le droit d’accès aux origines pour les personnes issues d’un don. Lors de l’examen du projet de loi, des parlementaires se sont interrogés sur la possibilité pour la personne issue du don d’établir un lien de filiation avec son donneur. La rapporteure, Coralie Dubost, a répondu que la loi ne permettait pas d’établir un lien de filiation, car même s’il existe un lien biologique entre le donneur et la personne issue du don le lien de filiation doit être établi au moyen d’une adoption (cf. « Des enfants livrés aux aléas des volontés des adultes » : « la rançon d’une filiation fondée sur la seule volonté »).
Cette déclaration de la rapporteure a été contestée par certaines personnes qui estimaient qu’aucun lien de filiation n’était possible, même par adoption. J’ai fait un recours quelque peu « fictif » devant le Conseil d’Etat afin de pouvoir déposer ma première QPC. L’objectif en interrogeant le Conseil Constitutionnel était de savoir si oui ou non, l’établissement d’un lien de filiation était possible entre la personne issue du don et son donneur.
J’ai présenté pour cela des situations réelles qui se sont produites à l’étranger.
La première situation était celle d’une femme célibataire qui a un enfant grâce à une AMP avec don de spermatozoïdes, et qui parvient à identifier l’homme à l’origine du don grâce à un test ADN réalisé sur son enfant. La femme et l’homme ont un coup de foudre et se marient. L’homme se met à élever l’enfant de sa femme comme s’il s’agissait de son propre enfant, et ils décident tous ensemble que l’homme devienne officiellement le père de son enfant.
Le second scénario était un jeune adulte, issu d’un don de spermatozoïdes, qui ne possède un lien de filiation qu’avec sa mère. Grâce à un test ADN ou au droit d’accès aux origines, il retrouve son géniteur, et leur relation s’apparente à celle d’un enfant avec son père. Ils font donc les démarches afin que le donneur soit officiellement reconnu comme le père du jeune adulte.
Compte tenu de la manière dont était posée ma question, l’établissement du lien de filiation n’était possible que si la personne issue du don n’avait qu’un seul lien de filiation. Il fallait que l’adoption soit désirée par le donneur, ainsi que par la personne issue du don (voire également de sa mère si la personne issue du don est mineure). Ce lien de filiation entre le donneur et la personne issue de son don reposait sur le fait qu’il existait une relation père-enfant entre les 2 individus, et c’était donc sans lien avec leurs liens biologiques.
Enfin, il était important que cette adoption soit dans l’intérêt de la personne issue du don et ne porte pas préjudice à son donneur, ce qui est garanti dans le cadre d’une adoption, car il s’agit d’une procédure très encadrée et qui doit être validée par un juge.
Le Conseil Constitutionnel a refusé de répondre à ma QPC en expliquant qu’il revenait à un tribunal de niveau inférieur de se prononcer dans l’hypothèse où un contentieux se produirait.
Pour qu’un contentieux se produise, il faudrait qu’une personne issue d’un don et son donneur fassent une demande d’établissement d’un lien de filiation par adoption et que cela soit refusé par le juge au motif que selon lui, la loi l’interdit. Une telle situation me parait peu probable, car si une femme célibataire fait une AMP, l’acte de naissance de son enfant ne fera pas mention du fait qu’il a été conçu dans le cadre d’une AMP avec tiers donneur. Il me semble assez probable que si un donneur et une personne issue de son don font une démarche pour établir un lien de filiation, ils ne feront pas mention de leur lien biologique, et le juge en charge des adoptions n’aura aucun moyen de le savoir.
G : Sur quoi portait l’autre QPC ?
FL : Ma seconde QPC portait sur une disposition qui avait fait débat. Dans la première version du projet de loi bioéthique, les anciens donneurs pouvaient se manifester d’eux-mêmes pour consentir à la communication de leur identité aux personnes issues d’un don. Certains députés ont toutefois estimé qu’il fallait aller plus loin en sollicitant les anciens donneurs pour obtenir leur consentement à la levée de leur anonymat. Cet amendement avait été rejeté en première lecture, mais il a été adopté de justesse lors de la deuxième lecture, et ceci contre l’avis du Gouvernement.
Ma QPC faisait notamment remarquer que la loi ne prévoyait pas de limite au nombre de sollicitations pouvant être reçues par le donneur. Mon souhait avec cette QPC était que les anciens donneurs aient la possibilité de « préventivement » informer la CAPADD qu’ils s’opposent à des sollicitations de leur part.
Le Conseil Constitutionnel a estimé que le principe de sollicitation des anciens donneurs était conforme à la Constitution, mais a ajouté une réserve d’interprétation pour limiter le nombre de sollicitations reçues par les donneurs.
J’étais globalement satisfait par cette décision du Conseil Constitutionnel, même si j’ai regretté que toutes mes demandes ne soient pas satisfaites. En effet, le Conseil Constitutionnel a estimé qu’il revenait au Conseil d’Etat de se prononcer sur les modalités de ces sollicitations. Un an plus tard, le Conseil d’Etat m’a finalement donné pleinement satisfaction, puisqu’il est accordé aux anciens donneurs de s’opposer « préventivement » aux sollicitations de la CAPADD. Pour cela, les donneurs doivent écrire à leur centre de don qui possède leur dossier médical et s’opposer à ce que leurs données soient communiquées à la Commission.
[1] Commission d’Accès des Personnes nées d’une Assistance Médicale à la Procréation (AMP) aux Données des tiers Donneurs
[2] Lors d’un procès devant une juridiction judiciaire ou administrative, il est possible de contester la loi qui est appliquée si on estime qu’elle est contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution. Cela s’effectue en posant une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) avant que l’affaire ne soit jugée. Si toutes les conditions sont réunies, c’est le Conseil constitutionnel qui va examiner la loi contestée et décider si elle ne doit plus être appliquée. (Source : Service public)