Nombre d’IVG : la France en tête des pays européens

Publié le 5 Mar, 2024

Le débat sur la constitutionnalisation de l’avortement est étrangement faussé, comme si l’essentiel de la question ne devait pas être posé. Du côté des partisans de la constitutionnalisation, on avance le besoin de se prémunir contre une hypothétique menace de remise en cause de l’IVG. Du côté des opposants, on avance des arguments juridiques.

Mais ces arguments omettent l’essentiel. Ils omettent le fait même de l’avortement, et l’objet qui en est la victime. Mais cette réalité-là, il est convenu de ne plus en parler. Ils omettent aussi la réalité matérielle de l’avortement, que nous devrions pourtant pouvoir regarder en face : quelles sont les causes et les conséquences de l’avortement, quelle est notre situation par rapport aux autres pays européens ? Nous verrons alors que la France fait figure d’exception, pour le pire.

Deux fois plus d’avortements en France qu’en Allemagne

Selon Eurostat, la France détient le record de l’Union européenne en nombre d’avortements pratiqués chaque année. En 2022, on compte 320 avortements pour 1000 naissances selon la DREES (cf. France : 234 300 avortements en 2022), ce qui place la France en tête des pays européens, largement devant l’Allemagne ou la Suisse qui comptaient respectivement 129 et 125 avortements pour 1000 naissances (Eurostat, 2020).

Non seulement le recours à l’avortement en France est le plus élevé d’Europe, mais il ne diminue pas. Nous sommes passés de 202 180 en 2001 à 234 300 avortements en 2022, soit le maximum jamais atteint. À l’inverse, le recours à l’avortement a diminué considérablement chez la plupart de nos voisins. Selon les dernières données de Eurostat disponibles, le recours à l’IVG baisse dans tous les pays européens sauf en France, au Royaume Uni et en Espagne. Cette baisse n’est pas due au seul vieillissement de la population car le taux d’avortements par naissance a baissé considérablement.

Seule la Bulgarie a encore un taux d’avortements équivalent à celui de la France

Il a baissé dans les anciens pays communistes. La Roumanie est ainsi passée de 400 IVG pour 1000 naissances en 2014 à seulement 160 en 2020. De même, en Europe de l’Ouest : de 2001 à 2021, le taux d’avortements est passé de 151 à 119 pour 1000 naissances en Allemagne et de 266 à 159 avortements pour 1000 naissances en Italie (selon les instituts nationaux de statistiques d’Allemagne et d’Italie). Ainsi, depuis 2000, le nombre total d’IVG a été réduit de moitié en Italie pour atteindre 63 653, et de 30 % en Allemagne, où il n’est plus que de 94 596 en 2023, selon Eurostat.

La comparaison avec nos voisins européens démontre que la France pourrait faire bien mieux, sans même modifier la loi. C’est d’ailleurs ce que veulent les Français puisque 73 % d’entre eux estiment que la société devrait aider les femmes à éviter l’IVG, selon un sondage de l’IFOP de 2020. C’est aussi ce à quoi la France s’est engagée. Lors de la Conférence sur la Population et le Développement de 1994, qui est restée une référence en droit international, la France s’est engagée, avec les autres membres des Nations Unies, à « réduire le recours à l’avortement » et à « prendre des mesures appropriées pour aider les femmes à éviter l’avortement ».

L’IVG n’est plus « compensée » par les naissances

Longtemps, les responsables politiques ne se sont pas inquiétés de cette exception française, car le taux élevé d’avortements était compensé, disait-on, par un taux également élevé de la natalité. Ce n’est plus le cas : les naissances diminuent alors que l’IVG augmente. Depuis 2010, les naissances ont baissé de 20 % pour atteindre 678 000 en 2023, tandis que le taux de fécondité recule encore à 1,68 enfant par femme. Il est globalement inférieur à deux enfants par femme depuis 1975, année de légalisation de l’avortement. A présent, c’est l’immigration qui contribue « pour près des trois quarts à la hausse de la population » en France selon l’INSEE.

L’IVG causée par la pauvreté

Plutôt que de glorifier l’avortement dans la Constitution, il faudrait s’interroger sur les causes de son augmentation en France. L’une d’entre elles, généralement ignorée, est l’accroissement de la pauvreté. Toutes les études sociologiques le démontrent : plus une femme est pauvre et isolée, plus elle est exposée au risque de subir un avortement. Selon la DREES, les femmes seules ont un risque supérieur de 37 % à celui des femmes en couple de subir un avortement. Quant aux femmes faisant partie des 10 % les plus pauvres, leur risque de subir un avortement est supérieur de 40 % par rapport aux 10 % des femmes les plus riches, à groupe d’âge et situa­tions conjugales identiques. Ce déterminisme social de l’avortement est confirmé encore par le sondage de l’IFOP dont il ressort que la moitié des femmes françaises estime que la « situation matérielle » constitue « l’influence principale qui pousse une femme à recourir à l’IVG ».

Lorsque l’on prend conscience que l’avortement est souvent causé, et même contraint, par la pauvreté et la solitude, on comprend alors qu’il puisse causer de réelles souffrances chez celles qui le subissent. Ici encore, les études le démontrent. L’avortement est lié à un risque accru de dépression, d’addictions à la drogue ou à l’alcool, d’idées suicidaires, etc. [1] 92 % des femmes déclarent d’ailleurs que l’avortement laisse des traces difficiles à vivre, elles sont 96 % chez les 25-34 ans (IFOP).

Face à un tel tableau, l’attitude des responsables politiques est difficilement compréhensible. Comment la gauche fait-elle pour ignorer la réalité sociale de l’IVG, pour ne pas voir cette misère ? Et pourquoi la droite est-elle si timorée alors qu’il y a tellement de bien à faire ? C’est peut-être cela la plus grande exception française en la matière : le « tabou de l’avortement », ce tabou qui nous empêche de réfléchir et d’agir de façon raisonnable. Et c’est ce tabou que l’on a gravé dans la Constitution, pour en faire un principe indiscutable (cf. La France inscrit l’avortement dans sa Constitution. Et ensuite ?).

 

[1] Voir notamment l’étude de P. K. Colman, « Abortion and Mental health: quantitative synthesis and analysis of research published 1995-2009, The British Journal of Psychiatry, Vol. 199, no. 3, 2011.

Cet article de Grégor Puppinck a initialement été publié par l’ECLJ.

Grégor Puppinck

Grégor Puppinck

Expert

Grégor Puppinck est Directeur de l'ECLJ. Il est docteur en droit, diplômé des facultés de droit de Strasbourg, Paris II et de l'Institut des Hautes Études Internationales (Panthéon-Assas).

Partager cet article

[supsystic-social-sharing id='1']

Experts

[authoravatars page_size=6 order=last_name,asc show_name=true roles=contributor avatar_size=160]

 

Textes officiels

 

Fiches Pratiques

Bibliographie

Lettres