Dans une tribune publiée le 27 mars dans le Figaro [1], Nicole Athea [2], Ghislaine Gendron [3] et Clémence Trilling [4] critiquent l’interprétation faite de la réforme du droit de la famille au Québec, entrée en vigueur le 6 mars dernier, qui reconnaît juridiquement la validité des conventions de gestation par autrui (GPA) (cf. « Ceux qui utilisent le mot éthique comme complément de la GPA sont des menteurs, des ignorants ou des candides »). « Non, le Québec ne vient pas de mettre en place une “GPA éthique” » expliquent-elles souhaitant rectifier « des inexactitudes et interprétations erronées de la loi québécoise [qui] ont été communiquées au lectorat français » dans une tribune du Monde en octobre 2023 [5].
« Un choix politique » imposé
Selon l’article 541 du code civil québécois, abrogé en juin 2023, les contrats de GPA contrevenaient à l’ordre public et étaient considérés « de nullité absolue ». Malgré cette disposition, une série d’arrêts reconnaissait depuis 2014 la filiation d’enfants nés par GPA au Canada ou à l’étranger. « Placée devant une situation de “fait accompli” dans une requête en adoption de la part de la conjointe du père, la cour avait jugé non pertinents les principes d’ordre public » expliquent les signataires de la tribune. Elles estiment que « la cour a imposé un choix politique à la société en motivant sa décision sur l’intérêt du droit individuel d’un enfant a posteriori tout en ignorant l’intérêt collectif des enfants a priori tel qu’exprimé clairement par le législateur dans l’article 541 : un refus de marchandisation ou de chosification de la personne humaine ».
Selon Chantal Collard et Geneviève Delaisi de Parseval, signataires de la tribune parue dans Le Monde, « aux termes de cette loi, les parents d’intention ainsi que la mère porteuse doivent être domiciliés au Québec depuis au moins un an avant de demander l’autorisation préalable ». Or, la loi adoptée le 6 juin 2023 continue de permettre aux Québécois d’avoir recours à des mères porteuses domiciliées en dehors du Canada. « L’éthique du législateur québécois concernant la marchandisation humaine semble s’arrêter à la frontière du Canada » s’indignent les signataires de la tribune du Figaro. A partir du mois de juin 2024, la liste de pays « désignés » sera communiquée, pays desquels le Gouvernement reconnaîtra la filiation des enfants issus de GPA.
Tous les risques sont pris par la mère porteuse
Les signataires de la tribune soulignent que certains frais ne sont pas obligatoirement inclus dans les contrats de GPA, notamment les primes d’assurances-vie ou d’assurances-invalidité. Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, estime en effet que le fait d’obliger les parents d’intention à souscrire une assurance-vie pour la famille de la mère porteuse en cas de décès survenu dans le cadre de la GPA ou une assurance-invalidité pour elle-même pourrait avoir « des enjeux financiers pour les parents prospectifs » (cf. Etats-Unis : une mère porteuse meurt en couches, laissant un mari et deux enfants). Ainsi, même si les risques encourus au cours d’une GPA sont plus élevés que pour une grossesse spontanée, le règlement québécois sur la GPA (Article 13, alinéa 2) stipule que la mère porteuse « sait que la personne seule ou les conjoints ayant formé le projet parental ne sont pas responsables de ces risques ». « Nous ne connaissons pas d’équivalent de contrats où une seule des parties en cause prend tous les risques et l’autre partie obtient la totalité des bénéfices » se scandalisent les signataires de la tribune du Figaro. « Ceci nous paraît aller à l’encontre du principe juridique d’ordre public » poursuivent-elles (cf. Québec : l’Assemblée nationale adopte une loi sur la GPA).
De plus, alors que Chantal Collard et Geneviève Delaisi de Parseval expliquent que selon la loi québécoise la mère porteuse « garderait la main » tout au long du processus, « comment peut-on prétendre qu’une femme dont les relations sexuelles sont assujetties à un contrat et pour qui le temps durant lequel il lui sera permis de tenir son enfant dans les bras après la naissance est minuté, qu’elle “garde la main tout le long du processus” ? » s’interrogent Nicole Athea, Ghislaine Gendront et Clémence Trilling.
L’illusion d’une GPA non « commerciale »
La loi québécoise prévoit que « le lien de filiation avec la femme qui a porté [l’enfant né par GPA] “est réputé n’avoir jamais existé” ». L’identité de la mère porteuse ne sera pas inscrite sur le certificat de naissance de l’enfant mais dans un registre distinct auquel il pourra accéder à ses 14 ans s’il connaît les circonstances de sa naissance (cf. Née après une GPA, elle combat sa légalisation). « Si sa mère porteuse a disparu, est décédée ou ne souhaite pas être contactée, l’enfant devra s’en accommoder » déplorent les signataires. De plus, la loi maintient la possibilité de recourir à des gamètes anonymes lors de la conception de l’embryon rendant impossible l’accès aux origines génétiques de l’enfant issu de cette pratique. Il pourrait donc être privé d’informations sur sa filiation maternelle et paternelle, qu’elle soit biologique ou génétique.
« Il est raisonnable de constater que l’application concrète de la loi ne correspond pas à l’intention du législateur d’éviter la GPA “commerciale” » soulignent en outre Nicole Athea, Ghislaine Gendront et Clémence Trilling, pointant l’absence de mécanismes de contrôle. En effet, les parents d’intention doivent payer les avocats, les cliniques de fertilité, les assurances, les prêteurs, la banque de gamètes, la pharmacologie, les agences, les psychologues et les notaires. En outre, « comme la loi [canadienne] ne s’applique pas aux actes commis à l’extérieur du pays, les parents d’intention étrangers peuvent offrir de l’argent ouvertement [aux mères porteuses], à condition qu’il change de mains ailleurs ». Dès lors, « il est concevable que, si elles ont le choix entre être payées et ne pas être payées, les mères porteuses canadiennes – qui sont légalement autorisées à accepter l’argent – choisissent d’être payées ».
« Nous suggérons au public français d’éviter de considérer la loi québécoise comme un exemple », concluent Nicole Athea, Ghislaine Gendron et Clémence Trilling. « Cette loi est dans les faits très permissive et ne protège pas les mères porteuses et les enfants comme elle prétend le faire » (cf. Les dessous inavoués de la GPA « éthique »).
[1] Le Figaro, GPA: «Non, le Québec ne vient pas de mettre en place une “GPA éthique”», Nicole Athea, Ghislaine Gendron, Clémence Trilling (26/03/2024)
[2] Nicole Athea, gynécologue et endocrinologue, membre du collectif pour le respect de la personne et coauteur – avec Martine Ségalen – de l’essai Les marchés de la maternité (Odile Jacob, 2021).
[3] Ghislaine Gendron, coordonnatrice pour le Québec du Women’s Declaration International.
[4] Clémence Trilling, membre fondatrice du collectif « pour les droits des enfants du Québec ».
[5] Le Monde, « La loi innovante adoptée au Québec montre qu’il peut exister une grossesse pour autrui éthique », Chantal Collard, anthropologue, et Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste (24/10/2023)
Complément du 30/05/2024 : A partir du 6 juin 2024, les Québécois pourront avoir recours à des mères porteuses résidant en Ontario, en Alberta, en Colombie-Britannique, au Manitoba, au Saskatchewan, sur l’ Ile-du-Prince-Edouard ou en Nouvelle-Ecosse. Selon le gouvernement, seules ces 7 provinces canadiennes remplissent les critères permettant une GPA « sécuritaire ». Les Etats-Unis ne font pas parti de la liste. « Dans certains états américains, la rémunération de la mère porteuse est permise » explique le ministre de la justice, Simon Jolin-Barette.
Source : Le Figaro, Nicole Athea, Ghislaine Gendron, Clémence Trilling (26/03/2024); Journal du Québec, Geneviève Lajoie (29/05/2024)