« Ceux qui utilisent le mot éthique comme complément de la GPA sont des menteurs, des ignorants ou des candides »

Publié le 5 Jan, 2022

Formée en histoire et en philosophie et diplômée de l’Essec, Céline Revel-Dumas est journaliste. Alors que des voix continuent à promouvoir une GPA « éthique », l’auteur de GPA, Le Grand Bluff répond aux questions de Gènéthique.

Gènéthique : Vous publiez votre premier essai intitulé GPA, Le Grand Bluff, un essai extrêmement fouillé et documenté. Pourquoi vous être intéressée à ce sujet ?

Céline Revel-Dumas : J’ai découvert le sigle « GPA » dans les médias dans les années 2010. J’avais une vingtaine d’années. Il ne signifiait rien qui faisait sens. Alors j’ai cherché. La première définition que je trouvais sur internet indiquait qu’il s’agissait d’une femme mettant au monde un enfant pour le donner à un couple infertile. C’est l’altruisme qui était mis en exergue. Mais cette entente entre adultes m’a mise mal à l’aise tant le sort de l’enfant et ses besoins étaient mis en jeu sans prévention possible. Je me suis très rapidement demandé : « Et l’enfant dans tout cela ? ». La question du sort de la femme, de son corps, de l’ambiguïté d’un tel engagement est venue plus tard. Mais à force d’entendre des voix favorables à une « GPA éthique », notamment celle d’Élisabeth Badinter dès 2013, je me suis résolue à écrire sur ce sujet que je trouvais essentiel tant il conduisait à redéfinir les fondamentaux de notre société. J’ai commencé à écrire pour défendre l’idée d’une GPA légale qui empêcherait l’éclosion de dérives majeures et choquantes, comme en Inde et plus globalement dans l’Asie du Sud Est. Pourtant, la rédaction de ce livre a rapidement tourné court. En étudiant au plus près du terrain – c’est à dire en recensant un très grand nombre de travaux de journalistes et de sociologues du monde entier qui ont vu, écouté, vécu au plus près les expériences des « mères porteuses » et des modèles de GPA se présentant comme éthiques – j’ai abouti à la conclusion qu’il était intenable d’un point de vue à la fois pratique et moral de défendre quelque GPA que ce soit. Il est essentiel de comprendre que les femmes n’acceptent désormais d’être mères porteuses qu’à la condition qu’elles n’aient pas de lien génétique avec l’enfant – de peur de s’attacher. Or, la médecine et la loi seules peuvent le permettre, en légalisant la pratique. Et dès lors que la pratique est autorisée, rien n’empêche les dérives marchandes. Au Canada ou au Royaume-Uni, les deux « modèles » des partisans français de la GPA, les paiements sont monnaie courante. Et qui sont les femmes qui mettent leur santé en jeu ? Pas les plus aisées… Loin de là. Ceux qui utilisent le mot éthique comme complément de la GPA sont des menteurs, des ignorants ou des candides. Je sais de quoi je parle, j’étais moi-même dans l’ignorance avant d’entamer cette enquête de fond.

G : Alors que les promoteurs d’une GPA prétendument éthique veulent habituellement mettre l’argent en dehors de l’équation, vous rapportez le témoignage de femmes qui, au contraire, se félicitent de « changer la vie » de mères porteuses au Mexique, ou encore en Ukraine, grâce à l’argent qui leur est versé. Comment comprendre cette nouvelle « éthique », cet altruisme inversé ?

CRD : En effet, c’est un discours qui relève du cynisme le plus absolu. C’est une « éthique » purement utilitariste. Là où les arguments moraux désertent, on les construit de toutes pièces, quitte à créer cahin caha une sorte d’impunité moralisée. Un discours performatif vient corriger une réalité profondément choquante. Lorsqu’il est évident, même éclatant, que la seule motivation des mères porteuses est financière – c’est le cas dans les pays tels que le Mexique et l’Ukraine où les niveaux de vie sont bas – la GPA est présentée comme une pratique qui relève du « gagnant-gagnant ». « Tu améliores mon existence en me donnant un enfant qui me manque – et moi je te donne de l’argent sans lequel tu ne peux pas bien vivre ». Cela en dit malheureusement long sur la valeur que l’on accorde à l’enfant… Il est estimable, dans le sens purement financier du terme. La logique du gagnant-gagnant typiquement américaine relève d’un logiciel de pensée typiquement commercial, qu’on ne peut décemment pas appliquer froidement à l’individu. Ni à l’enfant, ni à la femme. N’oublions jamais que nous ne faisons pas deux avec notre corps. Le vendre, c’est se vendre, et donc devenir objet dans le regard de l’autre. Faire de la grossesse et de l’arrivée au monde d’un enfant une opportunité pour des femmes précaires est inacceptable. Et présenter cette supercherie comme un nouvel humanitaire proposant un « travail social » aux femmes les plus pauvres, une indignité.

G : Avec la GPA, ne sommes-nous pas face à un paradoxe qui consiste à nier l’importance du biologique en laissant une femme porter l’enfant d’une autre, tout en lui accordant une importance centrale quand il s’agit de la dimension génétique ? 

CRD : La négation du biologique et l’hyper-valorisation du génétique sont permis par la division du processus procréatif. Faisons un peu d’Histoire. En 1986, une jeune femme américaine, Mary-Beth Whitehead, décide de porter un enfant en vue de le remettre à un couple infertile. Elle est inséminée avec le sperme du mari et payée 10.000 dollars. Le processus mime alors le processus naturel. C’est comme si le futur père et celle qu’on désigne comme la « mère porteuse » – c’est en réalité un pléonasme – avaient eu une relation sexuelle. Mary Beth est la mère – biologique, génétique – du bébé qu’elle porte. Mais rien ne se passe comme prévu. La jeune femme ne veut pas rendre l’enfant à sa naissance. Elle retrouve les traits du visage de sa première fille. Elle fuit alors avec l’enfant, donnant lieu à une course poursuite à travers les États-Unis qui va tenir en haleine l’opinion plusieurs semaines durant. En deuxième instance, la jeune maman réussit finalement à conserver ses droits parentaux. Mais l’industrie de la procréation et le marché naissant doivent contourner une jurisprudence qui protège la « mère porteuse » et n’offre pas les garanties nécessaire à ses futurs clients, les parents infertiles. Mais « miracle ! » pour les téméraires, une nouvelle pratique est mise au point : les scientifiques réussissent à implanter un embryon – que l’on sait depuis les années 70 concevoir in vitro – dans l’utérus d’une femme qui n’a rien de commun avec lui. La GPA vient d’être inventée. La femme qui porte l’enfant – la « mère porteuse » – est considérée comme un lieu provisoire pour le développement de l’enfant, quitte à nier les liens multiples et mystérieux qui se nouent entre l’enfant et sa mère pendant la grossesse. Le biologique est bel et bien destitué au profit du génétique. Le règne croissant du génétique est démontrable de nombreuses manières. Prenons-en ici deux. En premier lieu, des études sociologiques auxquelles je fais référence dans mon essai ont montré que les parents infertiles privilégient majoritairement la possibilité d’avoir « leur propre enfant » – ce sont leurs mots, c’est à dire un enfant génétique. L’adoption est une option secondaire. Les partisans de la GPA vantent une parentalité sociale qui n’est qu’un paravent pour mieux dissimuler leur profond besoin de se reproduire. D’autre part, c’est au travers du choix de la donneuse d’ovocyte que l’on mesure l’attention démesurée accordée au génétique. Rappelons-le, puisque la « mère porteuse » n’est pas la mère génétique, il faut un ovocyte pour concevoir l’embryon. Et lorsque la future mère – en général arrivée à un âge où sa fertilité a baissé – ne peut pas apporter ses ovocytes, il faut choisir une « donneuse ». Pas d’ambiguïté – à part en France – la généreuse contributrice de gènes est toujours payée ou « indemnisée » (pour les âmes sensibles). Ce choix se fait sur catalogue. Physique, capacités intellectuelles, tests génétiques, généalogie médicale… Beaucoup (trop) est pris en compte. Il faut choisir les options du bébé à naître. Autant dire qu’avec la mise sur un piédestal de la génétique on entre pieds et poings liés dans l’eugénisme.

G : La GPA peut conduire à une maternité éclatée, partagée entre la mère porteuse, la mère génétique (qui peut être une donneuse d’ovocyte) et la mère commanditaire, quand elle existe… La GPA met-elle fin définitivement à l’adage « mater semper certa est » ? 

CRD : La GPA met non seulement fin au mater semper certa est mais plus encore au mater tout court. La division du processus de la grossesse met fin à une cohérence physiologique et juridique qui a existé de tout temps, à tout le moins dans notre civilisation occidentale. Celle qui porte l’enfant et le met au monde a toujours été la mère. Quand elle ne pouvait ou ne voulait pas éduquer son enfant, elle n’en restait pas moins celle qui était à l’origine de son existence. Et c’est toujours le cas, contrairement à ce que les partisans de la parentalité sociale voudraient nous faire croire. Si le statut de mère est relativisé par le fait que la maternité peut être uniquement réduit à son versant social, c’est compter sans les besoins de l’enfant de connaitre ses origines. L’enfant s’interroge toujours sur le récit de sa venue au monde. La « mère porteuse », quand bien même on voudrait en faire « une cigogne », une « fée » ou un « sac » qui n’interviendrait que de manière provisoire, sera à jamais la créatrice d’un individu, et ce tout au long de son existence, qu’il la considère ou non comme sa mère. D’ailleurs selon moi, les partisans de la gestation pour autrui se trompent lorsqu’ils avancent des arguments favorables à une parentalité culturelle qui commencerait à compter de la naissance de l’enfant. La culture débute avant même la naissance. Elle pénètre l’in utero. Pendant les trois derniers mois de la grossesse, le fœtus perçoit des voix, entend des sons, des goûts. Le monde arrive à lui avant qu’il n’arrive au monde, de concert avec sa mère. À cet égard, c’est un nouvel argument contre la GPA. Séparer le nouveau-né de celle qui l’a porté dès la naissance, c’est permettre un « chaos » écrivent plusieurs spécialistes, dont le professeur René Frydman, dans un essai passionnant intitulé GPA ou l’abandon sur ordonnance. À sa naissance, le nouveau-né que l’on sépare de celle qui l’a porté perd tout repères, provoquant chez lui une détresse psychique, qui pourra potentiellement s’exprimer de manière latente à tout moment de sa vie au travers de maux divers et variés. Les auteurs préviennent que cette rupture originelle pourrait s’exprimer sous forme de dépressions, d’angoisses, de somatisations et parfois d’envies suicidaires. Dès lors, si la souffrance des parents infertiles nécessite d’être reconnue et considérée, celle de l’enfant ne peut être ignorée, et doit être privilégiée. La GPA ne peut être une option respectueuse. Ni pour l’enfant, ni pour la femme. Je tiens à rappeler ici que des « mères porteuses » ukrainiennes – une cinquantaine en deux ans- qui ont remis un enfant ont voulu le récupérer, en vain. Et qui se préoccupera des potentiels regrets plus tardifs d’autres femmes ?

G : Vous soulignez comment la technique et les avancées des sciences (Internet, PMA…) ont permis le développement de la GPA. L’homme ferait-il les frais de la « modernité » ?

CRD : L’homme est fidèle à lui-même. Dans son essai magistral Le voile d’Isis, Pierre Hadot montre que l’attitude prométhéenne – celle désireuse d’ « arracher à la Nature ses secrets » – est discernable dès l’Antiquité. La place considérable accordée à la technique, notamment au XXème siècle, a suscité nombre de craintes parmi les savants : celles d’Heidegger, Huxley, ou Georges Duhamel par exemple. Et pour cause, le siècle précédent a constitué la réalisation d’une accélération considérable et notamment technique, ainsi que l’a explicité le sociologue et philosophe contemporain allemand Hartmut Rosa, au point d’investir l’homme lui-même. Les procédés biomédicaux et les valeurs productivistes qui les accompagnent, développés et utilisés à grande échelle dans le cadre de l’élevage, ont ainsi investi le domaine de la procréation humaine dès les années 1970. En ressort aujourd’hui des possibilités techniques aux conséquences potentiellement vertigineuses : celles permettant de façonner, de fabriquer l’être humain. C’est en tout cas une des possibilités permise par le DPI – diagnostic pré-implantatoire – qui permet de choisir nombre des futures caractéristiques de l’enfant à naître : la couleur de ses yeux, son sexe, sa taille, et son quotient intellectuel (la technique a été développée en Chine). L’horizon qui se dessine pourrait devenir bien sombre si nous ne limitons pas les expérimentations hasardeuses permises par la complicité de la Science et du Marché. Aux inégalités naturelles, résorbables grâce à la culture et l’éducation, pourraient alors se substituer des inégalités existentielles accessibles grâce aux capacités financières des futurs parents. Aux plus aisés la puissance intellectuelle et physique décuplée. Aux plus précaires les velléités dominatrices des hommes augmentés. Pour éviter de telles conséquences, les lois, et particulièrement les lois bioéthiques, doivent non encadrer ou limiter les biotechnologies, mais bien les interdire lorsqu’elles excèdent ce qui sert les besoins de l’homme. La GPA ne le sert pas. Mettre à disposition son corps avec les risques que cela comporte, qui plus est pour de l’argent, ne sert pas la femme. Séparer un enfant de sa mère non plus. Ne nous y trompons pas. Une « GPA éthique » est un leurre, une porte grande ouverte sur l’eugénisme et la négation des besoins de l’être humain. Non au service de l’homme, mais bien de son asservissement.

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