Bébés OGM : He Jiankui libéré de prison

Publié le 5 Avr, 2022

He Jiankui, le biophysicien à l’origine des « premiers enfants génétiquement modifiés » au monde a été libéré après trois ans passés dans une prison chinoise (cf. Editer le génome : des conséquences imprévisibles ?).

Une expérience condamnée

En 2018, il avait annoncé avoir modifié le génome d’embryons fabriqués par fécondation in vitro et les avoir implantés dans l’utérus d’une femme. Ce qui a conduit à la naissance de jumelles, Lulu et Nana (cf. Le manuscrit de He Jiankui confirme les risques encourus par les bébés OGM). « Un troisième enfant était né l’année suivante. » (cf. Bébés OGM : une troisième naissance en Chine ?) Son équipe de la Southern University of Science and Technology de Shenzhen avait utilisé l’outil d’édition CRISPR, pour modifier le génome des petites filles afin qu’elles résistent à une potentielle infection par le VIH. Une expérience condamnée à l’échelle internationale (cf. L’OMS dit stop à la naissance de bébés génétiquement modifiés).

En décembre 2019, un tribunal chinois avait estimé qu’He Jiankui « avait “délibérément violé” les réglementations médicales et avait “appliqué de manière irréfléchie la technologie d’édition de gènes à la médecine reproductive humaine” ». Lors de l’audience, il avait été révélé que le médecin avait versé 280 000 yuans (environ 40 000 dollars) aux couples qui ont participé à l’expérience. Rendant « leur consentement invalide ».

Mais « de nombreux autres scientifiques connaissaient le projet et l’ont encouragé ». Parmi eux, Michael Deem, ancien professeur à l’université de Rice qui a participé à l’expérience, et John Zhang, directeur d’une « grande clinique » de fécondation in vitro à New York « qui envisageait de commercialiser la technologie ».

Quel avenir pour ces enfants ?

Deux bioéthiciens chinois ont demandé qu’He Jiankui, soit rendu « financièrement, moralement et légalement responsable de la santé et du bien-être » des enfants dont il a modifié le génome.

Qiu Renzong, de l’Académie chinoise des sciences sociales de Pékin, et Lei Ruipeng, de l’Université Huazhong des sciences et technologies de Wuhan, ont également proposé que « l’université à laquelle il était affilié à l’époque soit rendue responsable des coûts, et que le gouvernement chinois mette en place un institut de recherche visant à protéger le bien-être des enfants ». Ils préconisent aussi que le génome de ces enfants soit séquencé régulièrement tout au long de leur vie « pour vérifier l’absence d’anomalies ».

Des recommandations approuvées par la communauté scientifique. « Nous ne savons pas quel type de mutations génétiques se poursuivra à l’âge adulte et sera transmis à la génération suivante », explique le Dr Gaétan Burgio, généticien de l’Australian National University à Canberra.

Un rejet définitif ?

Suite à l’expérience d’He Jiankui, un moratoire international sur l’édition d’embryons humains destinés à être implantés, a été décrété (cf. « Bébés OGM» : nouvelle tentative de moratoire ?). Aux États-Unis, une loi interdit à la Food and Drug Administration d’autoriser ce type d’étude.

Mais en France, « les scientifiques ont condamné les expériences d’He Jiankui, non pas pour des raisons éthiques ou morales, mais parce que ce “travail” n’avait pas été fait correctement, d’un point de vue technique et juridique », souligne Jérôme Santolini, administrateur de l’ONG Sciences citoyennes.

Pourtant « l’édition du génome, et plus généralement le développement de toutes les techniques de manipulation génétique du vivant, ne correspondent à aucune demande de la société, ni ne sont soutenus par un débat ouvert et global sur la légitimité, l’utilité ou les risques associés à ces nouvelles technologies », a-t-il affirmé lors de la conférence « Why Your Movement Should Oppose Designer Babies? ».

« La loi ne régit pas la science, c’est la science qui crée la loi »

En France pourtant, la révision de la loi de bioéthique « semble suivre les avancées scientifiques, se soumettre à la concurrence internationale, rechercher toujours plus d’applications médicales ou paramédicales qui constituent un marché à fort potentiel de croissance pour de nombreuses entreprises », estime-t-il. « La loi ne régit pas la science, c’est la science qui crée la loi. »

Une « frénésie biotechnologique » qui a conduit à autoriser lors de la dernière révision de la loi en 2021 « la production massive de gamètes » in vitro, la fabrication de chimères animal-homme avec transfert dans l’utérus de l’espèce animale, ou encore « l’édition du génome d’embryons humains par l’application de Crispr-Cas9 à titre expérimental, pour définir les conditions de bonne pratique » (cf. [Infographie] : ce que contient la loi de bioéthique 2021).

« Il faut le faire parce que si on ne le fait pas, la Chine le fera »

« Sous le prétexte de la non-implantation d’embryons, le législateur a autorisé la transgression ultime, celle de se substituer au hasard/nature, quel que soit le nom qu’on lui donne, et de s’arroger le droit de modifier, de contrôler, voire de créer notre propre identité génétique, corporelle et matérielle », dénonce Jérôme Santolini. « La loi a été utilisée non pas comme un outil de régulation, mais comme un outil de promotion des biotechnologies », « en agitant la Chine comme un épouvantail : “Il faut le faire parce que si on ne le fait pas, la Chine le fera” ».

« Ces lois ont été adoptées non pas au nom du bien-être ou de l’intérêt de l’humanité, mais au nom de la science », assure-t-il. Car « non seulement le choix de manipuler le vivant, le génome des plantes, des animaux et des humains se fait sans le consentement des citoyens, mais il se fait contre eux », déplore Jérôme Santolini. Et « aujourd’hui, c’est notre “humanité” qui est en jeu ».

 

Sources : MIT, Antonio Regalado (04/04/2022) ; BioNews, Jakki Magowan (07/03/2022) ; Sciences citoyennes, Jérôme Santolini (16/03/2022) – Photo : iStock

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