Variation ou Anomalie du Développement Génital : comment œuvrer pour le bien de l’enfant ?

Publié le 4 Mai, 2023

Parmi ses nombreuses dispositions, la dernière loi de bioéthique s’est intéressée aux personnes présentant une variation du développement génital, parfois appelées « intersexes ». Le vote de la loi a abouti à un nouvel article du code la santé publique[1], dont la constitutionnalité vient d’être interrogée par une association.

Le Professeur Emmanuel Sapin, Chef de Service en Chirurgie Pédiatrique et Néonatale au CHU de Dijon, et professeur en chirurgie infantile et néonatale à Paris, fait le point pour Gènéthique.

 

Gènéthique : Que recouvre le terme « variations du développement génital » ?

Emmanuel Sapin : Ces « variations du développement génital » (VDG) correspondent en pratique à des situations où, à la naissance, il est difficile, en examinant les organes génitaux externes (OGE) du nouveau-né, de savoir s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille. Si ce nouveau vocable est mieux adapté que ce qui était autrefois appelé ambiguïté puis anomalie sexuelle – car il s’agit de l’aspect physique des organes génitaux, et ne recouvre pas la complexité de l’identité sexuelle dans laquelle interviennent le comportement et le ressenti – il s’agit néanmoins d’une anomalie du développement biologique normal que l’on pourrait résumer, pour simplifier, en organes génitaux féminins trop virilisés ou masculins insuffisamment développés. Hormis les cas d’hyperplasie congénitale des surrénales, l’absence de traitement précoce de cette anomalie ne fait pas courir par elle-même de risque vital au petit enfant. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une anomalie dans le cours du développement normal (l’organogenèse) ayant pour conséquence une anatomie anormale des organes génitaux externes. De nombreuses « malformations » pouvant toucher tous les organes (cœur, reins, intestins …etc.) peuvent survenir durant le développement anténatal, constatées avant ou après la naissance, et requérant un traitement dans les premiers jours ou mois après la naissance. Ce n’est pas pour autant que les enfants qui en sont porteurs sont inférieurs aux autres malgré leur « anomalie » que l’on espère corriger par le traitement. En ces cas le terme anomalie ou malformation ne porte nullement préjudice à la personne qui en est sujette, sa dignité de personne humaine n’étant pas remise en cause.

G : Quelle est la prise en charge des patients présentant une variation du développement génital ?

ES : Jusqu’à l’arrêté du 15 novembre 2022 (article L. 2131-6 du code de la santé publique), lorsqu’un nouveau-né naissait sans que l’examen néonatal ne permette de déterminer s’il s’agit d’un garçon ou d’une fille à l’examen des organes génitaux externes – situation qui a pu être déjà détectée par l’échographie anténatale – les parents du nouveau-né sont informés qu’un bilan va être effectué pour en savoir davantage afin de permettre une orientation dans le sens féminin ou masculin. Une demande de report de quelques jours de la déclaration de leur enfant à l’Etat civil est faite. Après un examen attentif des OGE, ce que l’on appelle le phénotype, sorte de description anatomique utilisant des termes neutres de structures génitales non différenciées, un caryotype[2] et un bilan sanguin endocrinien sont effectués ainsi qu’une échographie des organes génitaux internes, dès les tous premiers jours après la naissance. Une fois les résultats obtenus, les différents spécialistes – endocrinologues et chirurgiens pédiatres, généticiens, auxquels sont associés un psychologue – se réunissent. Puis l’endocrinologue et le psychologue, et souvent le chirurgien, rencontrent les parents pour les informer et écouter ce qu’ils ressentent afin de les aider dans la prise des décisions qui paraissent les plus conformes au bien-être futur de leur enfant. Une prise en charge thérapeutique, médicale et/ou chirurgicale, est alors envisagée et proposée dans les premiers mois suivant la naissance. Dans certains cas, cependant, l’anomalie étant la conséquence d’un déficit hormonal qui peut toucher d’autres fonctions endocriniennes dont l’absence de traitement dès la période néonatale serait grave, un traitement médical est institué dès la naissance de l’enfant (c’est le cas d’hyperplasies congénitales des surrénales).

Depuis l’arrêté de novembre 2022, une fois le bilan effectué, le dossier du nouveau-né est présenté au Centre de Référence en réunion multidisciplinaire nationale où une décision est prise, et portée au dossier de l’enfant, hors de toute option souhaitée par les parents du nouveau-né. Seuls les cas où l’absence de traitement (médical et chirurgical) précoce mettrait en péril la santé physique de l’enfant obtiennent un avis favorable pour une thérapeutique précoce. En dehors de ces situations, l’avis du Centre de Référence est orienté vers l’abstention thérapeutique dans l’optique d’obtenir ultérieurement le consentement de l’enfant lorsqu’il sera en âge de l’exprimer. Cet enfant restera ainsi durant ses premières années sans identité sexuelle définie : ni garçon ni fille ! Cette absence de référence aura de profondes et graves répercussions sur sa construction personnelle durant l’enfance, avec une instabilité qui ne sera pas sans conséquences pour son avenir.

G : Dans sa requête auprès du Conseil d’Etat, l’association Alter Corpus invoque le principe d’inviolabilité du corps humain. Certains militants reprochent en effet au corps médical de vouloir ramener les enfants nés « intersexes » à l’un des deux sexes biologiques, quand il faudrait les laisser choisir plus tard, voire respecter cette singularité. Qu’en pensez-vous ?

ES : L’objectif du médecin, il ne faut pas l’oublier, est d’être au service de la personne souffrante et non d’exercer un pouvoir. En médecine, avant toute interprétation, il y a l’observation avec la description de l’anomalie (ou variance, pour certains), guidant son choix thérapeutique, qui peut être l’abstention. Ce choix sera orienté par ses connaissances scientifiques et la situation du patient et, dans le cas d’un enfant, de sa famille. Certes, le médecin n’est pas infaillible et, des situations complexes peuvent faire recourir à une réflexion éthique. Le médecin doit être à l’écoute de son patient ou, dans le cas de petits enfants, à l’écoute des parents, qui veulent le bien de leur enfant. A côté des progrès dans les connaissances et des techniques, il existe une évolution de la société qui fait que ce qui paraissait satisfaisant à certaines époques ne l’est plus à une époque ultérieure. Il y a, en outre, un désir bien plus poussé d’informations de la part des patients qui souhaitent être écoutés et participer au choix thérapeutique proposé, évolution que les différentes lois sur les droits des patients protège.

Ainsi, le médecin confronté au problème d’une VDG, considérant que cette variation correspond à un trouble du développent biologique est amené, comme devant chaque patient qui le consulte à répondre à ces 3 questions : « Qu’est-ce que j’ai ? Est-ce que c’est grave ? Qu’est-ce qu’on fait ? ». Pour ce qui concerne le sujet qui nous occupe, il ne s’agit pas de « ramener » les enfants nés “intersexes” dans l’une des 2 catégories, garçon/fille, mais d’essayer de savoir ce qui s’est passé et de voir quelle solution est la plus adaptée pour cet enfant, compte-tenu de tous les critères analysés. Dans la prise en charge qu’il proposera, le médecin doit échanger avec les parents de l’enfant pour trouver ensemble la solution la meilleure. Et, s’il est de très rares cas où la solution est très complexe, on pourrait dire « non binaire », dans la très grande majorité des cas, un choix thérapeutique peut être proposé avec de grandes chances d’œuvrer réellement pour le bien de cet enfant.

G : Dans son arrêt daté du 14 avril 2023, le Conseil d’Etat a rejeté la requête de l’association Alter Corpus. En refusant de renvoyer la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel, il assure que les dispositions de l’article incriminé par Alter Corpus « n’ont ni pour objet, ni pour effet, contrairement à ce que soutient l’association requérante, de poser un principe d’intervention thérapeutique sur ces enfants ou d’autoriser des interventions qui ne répondraient pas à une nécessité médicale ». Il affirme en outre que « les enfants présentant des variations du développement génital sont dans une situation différente de ceux qui ne présentent pas de telles variations ». La décision du Conseil d’Etat vous semble-t-elle justifiée ?

ES : Alors que le rôle des parents dans les choix thérapeutiques des enfants a été renforcé, évoluant d’une attitude paternaliste à une information plus complète avec explications pour une demande de consentement, voire une implication plus grande dans le processus décisionnel, l’application du décret par les Centres de Référence en matière de VDG exclut les parents du processus décisionnel considérant qu’ils sont concernés mais non impliqués, ce qui, à mon avis, est une profonde erreur. Pourquoi en ce domaine des VDG, l’avis des parents de ces enfants n’est pas pris en compte, comme il l’est pour d’autres anomalies (car les VDG sont des troubles du développent biologique) requérant un traitement ? Les parents qui ont la responsabilité de leur enfant, qui veulent son bien, doivent recevoir une information claire, adaptée, loyale et cohérente, être écoutés et accompagnés. Ils pourront ainsi rester acteurs, en discutant le bienfondé du choix thérapeutique proposé, comme ils le sont pour tout ce qui touche au bien-être de leur enfant, en exerçant leur parentalité (cf. Genre, IVG, santé : protéger l’enfant). Ils ont cette compétence. Pour que le développement psychologique et affectif de l’enfant se passe dans les meilleures conditions pour lui, il est indispensable que les parents vivent cette épreuve au mieux. Le refus, émis par le Centre de Référence, de toute prise en charge thérapeutique active précoce (médicale et/ou chirurgicale), et de prise en compte de ce que ressentent et souhaitent les parents pour le bien-être de leur enfant, laissera ces parents dans une incertitude permanente qui ne favorisera pas la construction de la personne, ballotée au gré des sensations psychiques et hormonales fugaces durant toute son enfance. Or, ce que vise la loi pour accepter une thérapeutique précoce comme « nécessité médicale » est vu de manière restrictive par les Centres de Référence, sans considérer l’impact du vécu des parents sur le développement harmonieux de l’enfant. Or la qualité du vécu parental sur le bien-être de l’enfant est aussi une nécessité médicale !

 

[1] article L. 2131-6 du code de la santé publique

[2] Analyse des chromosomes du noyau de la cellule

Photo : iStock

Emmanuel Sapin

Emmanuel Sapin

Expert

Chef de Service en Chirurgie Pédiatrique et Néonatale au CHU de Dijon, et professeur en chirurgie infantile et néonatale à Paris, Emmanuel Sapin a effectué en 1991 à l'Hôpital Saint Vincent de Paul, à Paris, avec Frédéric Bargy et Yann Rouquet, la première opération in utero sur un fœtus avec succès pour une hernie diaphragmatique avec foie intra-thoracique. Il s'agit, dans cette forme particulièrement grave, d'une première mondiale, car la seule équipe au monde ayant, précurseur, fait de la chirurgie fœtale alors était à San Francisco aux USA (équipe du Pr Mickael Harrison). Mais aucun fœtus porteur d'une hernie diaphragmatique avec foie intra-thoracique n'avait survécu auparavant. En 2010, le Collège National de Chirurgie Pédiatrique publie son ouvrage "Malformation Congénitales de la Paroi Abdominale de Diagnostic Anténatal".

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