Utérus artificiel : bientôt un essai clinique chez l’homme ?

Publié le 18 Sep, 2023

Les chercheurs de l’hôpital pour enfants de Philadelphie, en Pennsylvanie, cherchent à faire approuver les premiers essais cliniques sur l’homme de leur dispositif d’utérus artificiel, baptisé Extra-uterine Environment for Newborn Development (EXTEND). Les 19 et 20 septembre prochains, la Food and Drug Administration (FDA) des Etats-Unis doit convoquer une réunion de « conseillers indépendants » sur le sujet pour discuter des « considérations réglementaires et éthiques » et de ce à quoi pourraient ressembler les essais sur l’homme pour cette technologie.

En 2017, les chercheurs de Philadelphie avaient testé leur système sur huit agneaux [1] (cf. Des agneaux prématurés se développent dans un utérus artificiel). En 2019, plusieurs membres de l’équipe ont rejoint une start-up, Vitara Biomedical, qui a depuis levé 100 millions de dollars pour développer EXTEND.

Aider les bébés prématurés

Les scientifiques « insistent sur le fait que cette technologie n’est pas destinée – ou capable – d’assister le développement depuis la conception jusqu’à la naissance ». Simuler « certains éléments d’un utérus naturel » augmentera le taux de survie et la santé des bébés extrêmement prématurés, espèrent-ils. La prématurité est la principale cause de décès et d’invalidité chez les enfants de moins de cinq ans.

Leur technologie d’utérus artificiel s’adresse aux bébés nés entre 22 et 28 semaines de grossesse. Axée sur la fourniture d’oxygène et l’élimination du dioxyde de carbone, elle entend remplacer les ventilateurs mécaniques. En effet, ceux-ci peuvent endommager leurs fragiles poumons en développement qui, autrement, seraient encore remplis de liquide amniotique.

Un « Biobag »

Le dispositif consisterait à placer les grands prématurés dans un « Biobag », rempli d’un liquide conçu pour imiter le liquide amniotique. Les chirurgiens connecteraient les vaisseaux sanguins du cordon ombilical à un système d’oxygénation du sang. Le cœur du fœtus continuerait à pomper le sang comme il le fait dans l’« utérus naturel ».

La connexion avec les vaisseaux sanguins du cordon ombilical est difficile à établir car les artères sont minuscules et commencent à se contracter au moment de l’accouchement. Les chirurgiens devront donc relier les vaisseaux au système en quelques minutes, ce qui implique un accouchement par césarienne.

Le dispositif développé par les chercheurs de l’hôpital pour enfants de Philadelphie est « probablement le plus proche des essais sur l’homme ». Mais de nombreuses équipes travaillent sur ce sujet en Espagne, au Japon, en Australie, à Singapour ou encore aux Pays-Bas.

De nombreuses préoccupations éthiques

Outre la question de la sécurité, la mise au point d’utérus artificiels « ouvre la voie à une toute nouvelle série de questions » pointe Anna David, spécialiste de la santé maternelle et fœtale à l’University College de Londres.

Tout d’abord, « des craintes se sont répandues selon lesquelles les utérus artificiels pourraient un jour remplacer la grossesse ». Infondées, selon les chercheurs (cf. EctoLife, ou la procréation technologiquement assistée).

Travaillant aux Etats-Unis, Alan Flake, chirurgien fœtal qui coordonne l’équipe de Pennsylvanie, et George Mychaliska, qui dirige une équipe de l’University of Michigan Health, « ont pris soin de ne pas laisser entendre qu’un utérus artificiel pourrait modifier la définition de la viabilité du fœtus » (cf. Prématurité : les limites de la viabilité repoussées). Avant l’annulation de l’arrêt Roe vs. Wade, l’avortement était autorisé au niveau fédéral « jusqu’à ce que le fœtus soit viable en dehors de l’utérus ».

De son côté, Michael Harrison, chirurgien fœtal à l’université de Californie à San Francisco, s’interroge sur les financements importants accordés à ces recherches au lieu de trouver des moyens d’améliorer les soins en anténatal, « ce qui pourrait réduire le besoin de recourir à la technologie de l’utérus artificiel sur le long terme ». Un avis partagé par Anna David qui souligne le manque de financement « pour comprendre pourquoi les femmes entrent en travail prématurément et comment l’éviter ».

Plus des fœtus, pas encore des nouveau-nés ?

Par ailleurs, selon Chloe Romanis, juriste à la Durham Law School au Royaume-Uni, « la question de savoir comment appeler les entités contenues dans ces dispositifs n’est pas simple ». « Il ne s’agit pas de fœtus au sens classique du terme, car ils ne sont plus dans l’utérus, affirme-t-elle. Et d’aucuns affirment qu’ils ne sont pas des nouveau-nés, ce qui, d’après la racine latine du mot, suppose qu’ils soient nés ».

« Le nom que nous donnons à ces nouveaux patients sans précédent a des implications sur les droits que la loi et la société accordent » rappelle Kelly Werner, bioéthicienne et néonatologiste au Columbia University Medical Center de New York (cf. Un fœtus meurt dans un accident, « à 4 jours du terme, il n’existe pas »).

Les chercheurs à l’origine du dispositif EXTEND ont proposé un nouveau terme : les « nouveau-nés fétaux »[2].

 

[1] Les agneaux sont souvent utilisés car « leur développement est similaire à celui des humains ». La gestation des moutons dure généralement cinq mois. Les agneaux utilisés par les chercheurs étaient « l’équivalent d’un fœtus humain à 23 semaines de grossesse ». En 2017, huit agneaux ont été maintenus en vie pendant quatre semaines. Au cours de cette période, « les animaux ont fait pousser de la laine et leurs poumons et leur cerveau ont atteint leur maturité ». Au bout de quatre semaines, les chercheurs ont euthanasié les animaux « afin de pouvoir étudier l’impact du système sur le développement des organes ».

[2] « Fetal neonates » en anglais, abrégé en « fetonates »

Source : Nature, Max Kozlov (14/05/2023) – Photo : Freeimages

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