PMA avec tiers donneur : deux QPC sur les nouvelles dispositions

Publié le 2 Mai, 2023

L’association Dons de gamètes solidaires, qui défend les intérêts des donneurs, a saisi le Conseil d’Etat de deux recours pour excès de pouvoir, assortis de demandes de renvoi de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil Constitutionnel. Les procédures concernent des dispositions sur l’assistance médicale à la procréation (PMA) avec tiers donneur issues de la loi de bioéthique de 2021. Le 7 avril 2023, le Conseil d’Etat a accepté le renvoi de ces deux QPC devant le Conseil Constitutionnel.

La possibilité de contacter les anciens donneurs pose question

La loi de bioéthique du 2 août 2021 [1] a maintenu l’anonymat du don, mais elle a autorisé l’accès aux origines pour les enfants nés d’une PMA avec tiers donneur à leur majorité (cf. Promulgation de la loi de bioéthique le 2 août 2021).

En application de cette loi, le décret du 25 août 2022 [2] a défini les modalités de mise en œuvre du droit d’accès aux origines (cf. PMA : La France lève partiellement l’anonymat des donneurs). Ce texte fait l’objet du premier recours déposé pour excès de pouvoir.

L’article L 2143-6 du Code de la Santé Publique (CSP), issu du décret, précise, lui, les missions de la « commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur » créée pour répondre aux nouvelles dispositions. Si le don a été fait avant le 1er septembre 2022, il autorise la commission à contacter les personnes ayant fait un don afin de les solliciter et de recueillir leur consentement à la communication de leurs données aux personnes majeures nées de leur don.

Le président de l’association Dons de gamètes solidaires a posé la question de la constitutionnalité de l’article L 2143-6, 6° du CSP. Il invoque le « droit au respect de la vie privée du donneur et le droit au respect de sa vie familiale ».

Un nouvel équilibre entre les droits et intérêts des protagonistes

L’article L 2143-6 du CSP ne correspond pas au texte initialement prévu par la loi de bioéthique et soumis au Conseil d’Etat. En prévoyant le 6° de cet article, le Parlement est allé plus loin que le texte initial qui prévoyait que « le donneur [puisse] prendre l’initiative de manifester auprès de la commission son accord à la transmission de son identité et/ou de ses données non identifiantes ». Le Conseil d’Etat considère donc que « la question est nouvelle ».

Le législateur a défini un nouvel équilibre entre les droits et intérêts du donneur, de la personne issue d’un don, et le cas échéant de leurs familles . Il a modifié l’esprit général du droit dorénavant applicable à toutes les personnes nées après un don, et par ricochet à tous les donneurs.

La modification de la situation des anciens donneurs 

Selon le Conseil d’Etat, la question soulevée peut également être regardée comme « sérieuse ». Elle affecte la vie privée du donneur, et le cas échéant sa vie familiale, mais aussi la vie privée de celui qui cherche à obtenir des informations sur son identité personnelle. L’enjeu de la question posée est donc suffisant pour la faire trancher par le Conseil constitutionnel.

Sans être rétroactive, la loi de bioéthique a modifié, pour l’avenir, la situation des donneurs qui pouvaient avoir la conviction que leur don resterait un acte secret, ce qui pouvait être considéré comme une garantie d’être épargné par des questions de conscience. Avec la nouvelle disposition, le donneur peut subitement apprendre qu’un produit de son corps a contribué à donner la vie et que la personne en question souhaite connaitre son identité, ce qui n’est pas sans impact (cf. PMA : l’ABM en campagne). Qu’en pensera le Conseil constitutionnel ?

Une question sur la filiation

Autre point mis en cause par les procédures engagées, celui de la filiation. La loi de bioéthique du 2 août 2021 n’a pas modifié la filiation, même si l’identité du tiers donneur est révélée. L’article 342-9 du Code Civil interdit ainsi d’établir une filiation avec le donneur.

La seconde question prioritaire de constitutionnalité déposée par l’association Dons de gamètes solidaires concerne cet article. A l’appui de sa demande, son président indique qu’il « méconnaît notamment la liberté personnelle et le droit de mener une vie familiale normale au motif qu’elle ferait obstacle à la filiation adoptive ».

L’interdiction de filiation est-elle générale ?

Le Conseil constitutionnel a déjà déclaré conforme à la Constitution [3], l’article 311-19 du Code civil, devenu l’article 342-9. Lorsqu’il l’a fait, le principe de l’anonymat entre donneur et enfant né du don s’appliquait sans pouvoir le contourner. Depuis, le contexte a changé.

Compte tenu des modifications apportées au champ de la PMA avec tiers donneur, la question de la constitutionnalité de l’article 342-9 mérite donc d’être posée à nouveau selon le Conseil d’Etat.

Cet article se situe, dans le Code civil, dans le Titre relatif à la filiation et dans un Chapitre spécifique à l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur. Sa portée est de faire obstacle à ce que le don implique, par lui-même, la filiation. Cette interdiction de filiation est-elle pour autant générale ? Un lien de filiation pourrait-il s’établir, par adoption, entre le donneur et l’enfant né après utilisation de ce don ?

La réponse à cette question, sur laquelle la Cour de cassation ne s’est pas prononcée, n’est pas évidente et mérite d’être tranchée par le Conseil constitutionnel. L’interdiction posée aujourd’hui vaudra-t-elle encore demain ?

Complément du 01/06/2023 : Le Conseil constitutionnel a examiné ces QPC le 30 mai et rendra sa décision le 9 juin (Source : La Croix, Antoine d’Abbundo (30/05/2023))

 

[1] Loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique et portant modification des dispositions relatives à l’assistance médicale à la procréation

[2] Décret n° 2022-187 du 25 août 2022 relatif à l’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur

[3] décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994

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