Les philosophes auditionnés sur la fin de vie

7 Mar, 2023

Après une brève interruption, les auditions de la mission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti ont repris hier. Quatre philosophes ont été auditionnés : Jacques Ricot (cf. “Ne dévoyons pas les soins palliatifs”), Damien Le Guay (cf. Euthanasie : « Une nouvelle morale s’instaure : celle de l’abnégation sociale, de ma mort au profit du collectif »), Frédéric Worms (cf. Evolutions de la loi de bioéthique : justifier l’injustifiable ?) et Raphaël Enthoven.

L’euthanasie n’est pas un soin

Jacques Ricot témoigne de ses 30 ans d’expérience du sujet. Les dix premières années il a choisi de se taire. Aujourd’hui il veut rappeler les fondamentaux : « le soin médical c’est guérir quand c’est possible, c’est soulager toujours ». L’euthanasie arrête l’accompagnement. « Elle ne soulage pas le patient, elle le supprime », rappelle le philosophe. Dès lors il conteste qu’on puisse la qualifier de soin.

Au contraire, pour Raphaël Enthoven : « exaucer la volonté de quelqu’un est un soin donc l’euthanasie est un soin ». Suffirait-il que quelqu’un demande quelque chose pour que ce soit un soin ?, s’étonne Jacques Ricot.

Introduire une exception ?

« Un acte humain qui provoquerait délibérément la mort doit être interdit sauf exceptions. » En matière d’euthanasie, Frédéric Worms est favorable à l’introduction d’exceptions, ou plutôt de cas « extrêmes », faciles à définir estime-t-il, donnant le concept de la légitime défense en exemple.

Mais « face à ces cas tragiques et ces demandes extrêmes, comment faire qu’une loi ne tombe pas dans les dérives ? » Impossible pour Damien Le Guay qui rappelle ce qui peut être observé en Belgique (cf. L’euthanasie en Belgique, ou le véritable contre-modèle à proscrire).

En outre, « le droit pénal n’a pas qu’une fonction répressive mais aussi expressive et symbolique ». « Il traduit les valeurs d’une société », rappelle Jacques Ricot. « Quel message enverrait-on aux personnes âgées sur la valeur de leur dignité ? Comment cette loi sera-t-elle comprise par les personnes qui souhaitent se suicider ? », questionne Damien Le Guay. Et à terme qui serait amené à décider ? interroge-t-il, pointant le risque d’une « tyrannie de la majorité ». Rappelant la position des mutuelles favorables à l’euthanasie, il avertit : « la question économique va-t-elle apparaître ? » (cf. « Parler d’”aide” pour le suicide ou l’euthanasie est un dévoiement de la solidarité »).

La loi est toujours générale, souligne Jacques Ricot qui conteste la formulation de la question posée à la Convention citoyenne (cf. Convention citoyenne sur la fin de vie : le CESE se dote d’un “comité de gouvernance”). « La loi ne doit pas être adaptée aux différentes situations. Pour cela il y a l’instance judiciaire et l’éthique », tranche-t-il. D’ailleurs on ne peut pas éliminer les euthanasies clandestines. Il y aura toujours des « zones grises », comme le démontre l’« exemple » de la Belgique.

Remplacer 800 000 soignants ?

Se plaçant toujours dans la perspective d’une future loi, Jacques Ricot insiste sur la nécessité d’une « vraie » clause de conscience, c’est-à-dire qui soit spécifique à l’euthanasie et qui protège soignants comme établissements sanitaires et médico-sociaux.

Damien Le Guay rappelle le « bloc de résistance de ceux qui sont sur le terrain » (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie). Méconnaitraient-ils la situation de leurs patients ? Pourrait-on envisager de remplacer 800 000 soignants ? Il ajoute qu’on ne mesure pas les effets du suicide assisté et de l’euthanasie sur l’entourage. Comment guérir d’un « chagrin », après avoir consenti à l’acte qui en est la cause ?

Un refus du tragique ?

Avec l’euthanasie ou le suicide assisté, que voulons-nous écourter ?, interroge Damien Le Guay. « La mort ne sera jamais maîtrisée. »

Pour Raphaël Enthoven, ce sont deux conceptions de la vie qui s’affrontent : une vision chrétienne qui voit la vie comme un don de Dieu, et une vision grecque qui défend la valeur relative de l’existence. « La mort volontaire n’est pas la suppression de la vie mais son achèvement », estime-t-il. « La vie n’est pas sacrée, et c’est négliger la vie que d’en faire un sanctuaire ».

Le philosophe regrette que certains de ses pairs aient utilisé le concept de dignité. Il juge le mot « ambivalent » car la dignité peut « être revendiquée des deux côtés ». Raphaël Enthoven veut placer la question sur le terrain de la liberté (cf. « Est-on vraiment libre, quand la mort est préférable à la vie ? »).

La question de la fin de vie en prison

Après les philosophes, c’est justement Dominique Simonnot, contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui est auditionnée.

« Nul ne devrait mourir en prison », estime-t-elle, indiquant que chaque année on y recense 250 décès dont 120 suicides. Le contrôleur ne souhaite pas qu’il y ait des soins palliatifs en prison. « Mon institution souhaite que les gens meurent libres », explique-t-elle, indiquant que le mode de vie en prison « hâte » la fin de vie.

En milieu carcéral, la loi Kouchner est appliquée de manière hétérogène, précise Dominique Simonnot, « selon l’avis du médecin sur la dangerosité du détenu ». La loi Claeys-Leonetti, elle, ne s’applique que lorsque les patients sont transférés en unité hospitalière sécurisée. « Le problème en prison, c’est que l’accès aux soins est très souvent entravé », souligne le contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Le sujet de l’euthanasie ou du suicide assisté n’est pas abordé explicitement lors de cette dernière audition. Envisagera-t-on d’autoriser les détenus à y recourir ? En Espagne, un braqueur blessé dans une fusillade a été euthanasié, mettant un terme aux poursuites judiciaires (cf. Espagne : un homme accusé de tentatives de meurtre euthanasié avant son jugement). La semaine dernière, en Belgique cette fois, une femme qui avait tué ses cinq enfants a été euthanasiée, seize années après le jour « anniversaire » de son crime[1]. Une peine de mort auto-administrée pour échapper à la sanction décidée par la société ?

 

[1] Le Soir, Belga, Geneviève Lhermitte a été euthanasiée, 16 ans après avoir tué ses cinq enfants (02/03/2023)

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