“La constitutionnalisation de l’IVG entraînerait des conséquences désastreuses”

Publié le 10 Nov, 2022

Plusieurs propositions de loi visent à insérer un “droit à l’avortement” dans la Constitution française (cf. Inscrire l’avortement dans la Constitution ? Les propositions se multiplient). L’une a été rejetée par le Sénat le mois dernier (cf. Les Sénateurs rejettent la constitutionnalisation de l’avortement), une deuxième a été débattue le 9 novembre en commission des lois à l’Assemblée nationale (cf. IVG dans la Constitution : L’Assemblée nationale adopte le texte en commission). Nicolas Bauer, chercheur associé au European Centre for Law and Justice (ECLJ), revient en trois questions sur ces tentatives de constitutionnaliser l’avortement.

 

La gauche réussira-t-elle à insérer l’IVG dans la Constitution ?

Le Sénat a rejeté en octobre la proposition de loi de Mélanie Vogel. Il est majoritairement de droite, et les sénateurs Les Républicains (LR) ont massivement voté contre ce texte. A l’Assemblée nationale, en revanche, le rapport de force est différent. Les groupes Renaissance et Nupes disposent ensemble de la majorité absolue. Les parlementaires LR sont beaucoup moins nombreux. Quant au Rassemblement national (RN), le “clan Hénin-Beaumont” a jeté en pâture quelques “cathos tradis”, puis le groupe a fini par interdire à ses députés de déposer des amendements.

A l’Assemblée nationale, deux propositions de loi constitutionnelle ont été déposées. Concernant la première, c’est Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance, qui en a été nommée rapporteur. Pour cette cause, elle a déjà montré son acharnement dans l’Hémicycle, jusqu’à témoigner personnellement sur l’IVG. Elle s’est dite prête à revenir défendre son texte moins d’un mois après avoir donné naissance à une petite fille. La deuxième proposition de loi sera portée par Mathilde Panot, présidente du groupe La France insoumise-Nupes. Cette députée ne milite pas uniquement pour la constitutionnalisation de l’IVG mais aussi pour la suppression de la clause de conscience spécifique à l’avortement.

S’il est probable que l’Assemblée nationale adopte l’une de ces deux propositions de loi, cela ne suffira pas pour inscrire l’IVG dans la Constitution. Le texte devrait en effet être voté dans les mêmes termes par le Sénat, puis être approuvé par référendum (cf. Constitutionnalisation de l’avortement : « On ne joue pas avec la norme constitutionnelle » [Interview]). Du fait de l’opposition de la majorité des sénateurs en octobre, la Nupes et Renaissance ne devraient pas parvenir à ce résultat. Ils savent aussi qu’un référendum est risqué. Le seul référendum au monde incluant la constitutionnalisation de l’IVG a été rejeté en septembre au Chili, par 62 % de la population, malgré les sondages précédents très favorables (cf. Chili : Vers l’inscription de l’avortement dans la Constitution ?). Gabriel Boric, président chilien adulé par la Nupes, ne s’attendait pas à un tel échec.

La consécration d’un “droit à l’IVG” n’est-elle pas uniquement symbolique ?

La visée symbolique de ces propositions de loi a été dénoncée par des juristes éminents. C’est une opération d’« agit-prop » pour Jean-Éric Schoettl, un « coup d’éclat symbolique » pour Anne Levade. En l’insérant dans la Constitution, la gauche veut sacraliser l’IVG, comme une valeur au cœur du “contrat social”. De crime, l’avortement est devenu un acte médical parmi d’autres, et la gauche veut maintenant l’ériger au-dessus de tout, comme droit fondamental. La formulation des propositions de lois place même l’IVG au-dessus des autres droits fondamentaux, en en faisant un droit absolu, auquel “nul ne peut porter atteinte” et dont “nul ne peut être privé”.

Quelle que soit l’intention de ses promoteurs, la constitutionnalisation de l’IVG entraînerait des conséquences juridiques désastreuses. Lorsqu’un droit fondamental est absolu, cela signifie qu’il ne peut pas être limité, ni par les droits ou besoins d’autrui ni par l’intérêt général. Les droits absolus sont très peu nombreux et sont en lien direct avec la dignité humaine. Ainsi, il existe un droit absolu de ne pas être soumis à la torture. Si un “droit à l’IVG” absolu est intégré à la Constitution, il écrasera tout sur son passage. Par exemple, le maintien d’un délai légal ainsi que la clause de conscience deviendraient inconstitutionnels.

D’après Aurore Bergé, une constitutionnalisation pallierait la « fragilité » de l’IVG, face à des « associations » qui s’y attaquent. En réalité, si l’IVG est “fragile”, ce n’est pas en raison des associations pro-vie, mais parce qu’elle repose sur la négation d’une réalité, celle de la vie d’un enfant à naître. L’IVG est “fragilisée” à chaque fois que cette réalité se rappelle à nous. En particulier, au moment des premières semaines d’une grossesse désirée, des parents voient leur enfant par échographie et se posent des questions sur leurs IVG passées. Même Mme Bergé a dû y songer. Il est fréquent que ce soit à une telle occasion que des femmes contactent des associations pro-vie, pour se reconstruire.

Le débat sur l’IVG dans la Constitution est-il importé des Etats-Unis ?

De fait, le déclencheur du débat actuel en France a été la décision Dobbs vs Jackson de la Cour suprême des Etats-Unis, en juin 2022 (cf. Droit à l’avortement : tout comprendre au projet de jugement de la Cour suprême des États-Unis). Cette décision a renversé la jurisprudence Roe vs Wade, qui avait en 1973 constitutionnalisé l’IVG aux Etats-Unis. Cela dit, la stratégie de la Nupes et de Renaissance pour constitutionnaliser l’IVG n’est pas calquée sur le modèle américain de Roe. Leur idée n’est pas d’interpréter la Constitution comme incluant un “droit à l’IVG”, mais d’insérer explicitement un tel droit dans la Constitution. Un seul pays l’a déjà fait : l’ex-Yougoslavie socialiste de Tito, en 1974 (cf. « Aucun État n’a inscrit un droit à l’IVG dans sa Constitution, sauf l’ex-Yougoslavie »). Il a influencé l’actuel président chilien Boric.

La méthode n’est pas libérale mais gauchiste : rallonger la Constitution pour y inclure toutes les “valeurs” de gauche. Alors que la Constitution française compte 89 articles, l’IVG était à l’article 191 sur 406 dans la Constitution yougoslave et à l’article 253.16 sur 499 dans le projet initial de Constitution chilienne. Pendant les débats sur la constitutionnalisation de l’IVG au Sénat, un article de la Voix du Nord a appelé la France à suivre le modèle socialiste yougoslave. Il a été retweeté notamment par la sénatrice Mélanie Vogel et “liké” par l’ex-ministre de l’Egalité entre les femmes et les hommes Elisabeth Moreno.

La reprise de cette référence socialiste pour défendre l’IVG est choquante. C’est par une même réforme constitutionnelle que l’ex-Yougoslavie avait ajouté un droit à l’IVG et proclamé Tito président à vie. Le régime de Tito s’était fondé sur des massacres et torturait ses prisonniers politiques. Ce dictateur assumait par ailleurs fièrement avoir dû “dompter” ses cinq (très) jeunes compagnes, dont la première avait 13-14 ans. La Nupes et Renaissance pourraient trouver des inspirations plus démocratiques et féministes.

 

Cette tribune de Nicolas Bauer a été initialement publiée dans Valeurs actuelles. Elle est reproduite ici avec l’accord de l’auteur.

Photo : iStock

Nicolas Bauer

Nicolas Bauer

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Nicolas Bauer est chercheur associé à l’ECLJ et doctorant en droit.

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