Inscrire l’avortement dans la Constitution ? Les propositions se multiplient

Publié le 5 Juil, 2022

La réaction ne s’est pas fait attendre. L’arrêt Roe vs. Wade venait tout juste d’être annulé, rendant à chaque Etat des Etats-Unis sa liberté de légiférer en matière d’avortement, que quatre propositions de loi constitutionnelle étaient soumises par le Parlement français (cf. France : inscrire le « droit à l’avortement » dans la Constitution ?; Inscrire l’avortement dans la Constitution ? La salve du Sénat). Sans consensus d’ailleurs sur la façon d’inscrire l’avortement dans la Constitution[1]. Ce qui n’est pas étonnant puisque l’avortement n’étant pas un droit[2], et la Constitution pas un inventaire, il ne peut y avoir d’évidence en la matière.

La multiplication des intentions

Les Parlementaires français ne sont pas les seuls à envisager une telle mesure. En Belgique, le parti socialiste a annoncé son intention de faire inscrire ce « droit » dans la Constitution « pour le rendre moins facilement révocable »[3]. Pour ce faire, ils auront besoin d’une majorité des deux-tiers au Parlement et « travailler sur deux législatures ». Les écologistes ont quant à eux déjà déposé une proposition de loi.

Au Royaume-Uni, Stella Creasy, élue de la Chambre basse, a déposé un amendement visant à inclure l’avortement dans la British Bill of Rights[4] qui doit être bientôt votée[5]. Ce qu’a refusé Dominic Raab, vice Premier ministre et secrétaire d’Etat à la Justice, estimant qu’« il n’y a pas de raison de modifier la loi »[6].

Les députés luxembourgeois ont de leur côté adopté une « résolution » affirmant que « le cadre légal qui autorise l’avortement doit être fondamentalement protégé »[7]. Une initiative essentiellement « symbolique » qui ne suffit pas au parti déi Lénk. « Plutôt que d’assimiler ce droit à un droit constitutionnel, il faudrait directement l’inscrire dans la Constitution », estiment-ils. Un sujet qu’ils comptent porter à l’occasion de la réforme « en cours » de la Constitution luxembourgeoise[8].

A côté de ces déclarations d’intention, le Chili a franchi le pas. Le projet de nouvelle Constitution contient un article disposant que « l’État garantit l’exercice des droits sexuels et reproductifs sans discrimination (…), assurant les conditions d’une grossesse volontaire et protégée, d’une interruption volontaire de grossesse, d’un accouchement et d’une maternité ». Elle sera soumise à un référendum le 4 septembre prochain (cf. Chili : Vers l’inscription de l’avortement dans la Constitution ?).

De dangereuses velléités

« Aucune Constitution au monde ne prévoit ça », certifie Luciano Silva, membre de la Convention constitutionnelle qui est chargée de rédiger la nouvelle Constitution du Chili.

Et modifier la Constitution est « un acte majeur et grave, du point de vue juridique et plus encore, du point de vue de la cohésion nationale », prévient Guillaume Drago, professeur de droit constitutionnel à Paris II Panthéon-Assas[9]. « Nous avons besoin de stabilité juridique et de principes “clairs et incontestables qui tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous“, comme le dit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ».

Face à une décision américaine, qui ne fait que rendre aux Etats leur compétence en matière d’avortement comme le rappelle Aude Mirkovic, porte-parole de l’association Juristes pour l’enfance[10], ces réactions interrogent. Seraient-elles provoquées par l’adoption en cascade de restrictions par certains Etats ? (cf. Etats-Unis : mise en œuvre progressive de la décision de la Cour suprême) Pourtant, elles n’ont aucun impact sur la législation française. Pas plus que celle de Malte, pointe Aude Mirkovic. Et alors que « la réalité est que les femmes sont plutôt renvoyées à l’avortement ou à la solitude » – combien de femmes en effet « sont sommées par leur entourage, leur compagnon, leur mère parfois, d’avorter ou de se débrouiller ? » – la nouvelle Assemblée n’aurait-elle rien d’autre à proposer ?

Complément du 26/08/2022 : Le 2 août, un groupe de 12 sénateurs EELV a déposé un autre texte. Avec cette proposition de loi constitutionnelle, c’est cette fois l’article 1er de la Constitution qui serait « complété » par deux alinéas.

 

[1] Le texte porté par Laurence Rossignol envisage une inscription « après le 3 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 », quand le groupe communiste imagine le faire « après le dix-septième alinéa de l’article 34 de la Constitution ». De son côté, Aurore Bergé propose de « compléter » le titre VIII de la Constitution par un article 66-2.

[2] « Le premier article de la partie relative à l’interruption volontaire de grossesse (art. L 2211-1) reproduit l’article 16 du Code civil, aux termes duquel « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». Et l’article suivant (art. L 2211-2) de préciser qu’ »il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par le présent titre », titre consacré à l’interruption volontaire de grossesse : l’IVG est ainsi explicitement présentée comme une atteinte au principe du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. C’est un texte d’exception, et non un droit. », explique Aude Mirkovic, « En France, l’avortement est reconnu comme une exception, et non un droit », Aleteia (03/07/2022)

[3] RTL.be, Révocation du droit à l’avortement aux Etats-Unis: le parti socialiste veut le “bétonner” dans la Constitution en Belgique (29/06/2022)

[4] Le Royaume-Uni ne possède pas de Constitution écrite (cf. La constitution du Royaume-Uni, Cahiers du Conseil constitutionnel, 3/11/2009)

[5] The Guardian, Labour MP in bid to include right to abortion in British bill of rights (28/06/2022)

[6] The Guardian, Dominic Raab says right to abortion does not need to be in bill of rights (29/06/2022)

[7] RTL, Une résolution en faveur de l’IVG adoptée par les députés (28/06/2022)

[8] Le Quotidien, Droit à l’avortement : déi Lénk milite pour sa constitutionnalisation (27/06/2022)

[9] Aleteia, « Le droit français ne reconnaît pas de droit à l’avortement » (01/07/2022)

[10] Aleteia, « En France, l’avortement est reconnu comme une exception, et non un droit » (03/07/2022)

Photo : iStock

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