C’est en fin de journée mercredi 19, après deux heures de débats, que les sénateurs ont réitéré [1] leur refus de constitutionnaliser l’avortement par 172 voix contre 139. La proposition de loi de l’écologiste Mélanie Vogel “visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception”, est donc rejetée. Si ce refus catégorique du Sénat rassure quelque peu pour le sort des propositions de loi similaires qui seront examinées à l’Assemblée le mois prochain, on peut regretter la faiblesse du débat. Décryptage.
« Vous êtes hors sujet »
Après le discours militant mais peu convaincant de Mélanie Vogel, c’est Agnès Canayer (LR), présidente de la Commission des lois qui pose les termes du débat : « Il n’y a pas lieu de constitutionnaliser l’IVG […] c’est une réaction à l’actualité américaine […] ce débat n’est pas le nôtre ». Elle explique que cette proposition de loi est une « boîte de Pandore » et que notre Constitution n’est pas « un catalogue des droits ». Muriel Jourda (LR) confirmera un peu plus tard : « la réaction précède la réflexion ». Elle insiste : « Nous ne sommes pas des militants mais des législateurs […] ce serait une mauvaise loi car elle mettrait à mal l’ordonnancement juridique ».
Mais c’est Stéphane Ravier (Non inscrit) qui exposera l’argumentation la plus forte et osera dénoncer l’avortement en tant que tel et non pas la seule proposition de constitutionnalisation : « Vous êtes hors sujet, en réalité, il n’y a pas de sujet […] c’est anachronique de dire que l’avortement est menacé en France quand l’année 2021 compte plus de 223 000 avortements » (cf. France : 223 300 avortements en 2021 ), affirmant ensuite que l’avortement jusqu’à la veille de la naissance est un « infanticide ». Il en paiera les foudres de la quasi-totalité de l’hémicycle et le rejet total de la motion de rejet qu’il avait présentée. Elle n’aura remporté qu’une voix…la sienne (voir scrutin public en cliquant ici).
La même rengaine idéologique féministe
Les prises de parole se sont succédées au perchoir, la plupart pour exposer encore et encore les idées féministes, la nécessité de protéger « les droits sexuels et reproductifs » emportés de haute lutte par « nos mères ». L’urgence serait de « garantir un accès effectif à l’avortement » et surtout « prévenir toute régression ». Laurence Rossignol (socialiste) mène une fois encore son combat personnel : « Oui l’IVG peut être menacée en France, oui nous devons inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution. Je me battrai contre tous les intégristes et les conservateurs qui veulent nous renvoyer à l’avortement clandestin », risquant la comparaison déplacée entre « ceux qui obligent à dissimuler le corps des femmes [2] et ceux qui leur interdisent de choisir quand et avec qui elles veulent être mère ». Esther Benbassa (NI), quant à elle, évoque son avortement et invoque la libre sexualité féminine à l’instar des hommes qui eux peuvent choisir de reconnaître ou pas leur enfant… On a du mal à penser qu’elle peut convaincre ainsi.
Mais ce qui est regrettable, plus encore que ces discours habituels, c’est l’argument de la droite qui, pour éviter de s’opposer à l’avortement, ou plutôt, pour éviter d’être qualifiée d’opposant à l’avortement, explique que ce texte crée un risque « réel » : « cela pourrait, favoriser un réveil des opposants à l’avortement ». Ils en appellent donc à « l’équilibre de la loi Veil ».
Le soutien officiel du gouvernement
Le gouvernement saisit ce débat pour se positionner. C’est le Garde des Sceaux qui est chargé de confirmer l’annonce d’Emmanuel Macron : « le gouvernement répond déjà présent aujourd’hui devant vous, car il est favorable à l’inscription de l’IVG dans la Constitution ». C’est lui peut-être qui aura le discours le plus féministe : « quel plus beau message envoyé à la population française que de dire que le plus haut droit est le droit à disposer de son corps ». Pour lui, « inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution n’est pas une mesure gadget ». Il demande au Sénat « d’accepter d’avancer avec prudence et sans idéologie ».
Enfin, la ministre Isabelle Rome, tente de redorer le blason du gouvernement en listant toutes les mesures prises en quelques mois : « accès gratuit à la contraception, allongement du délai légal, tiers payant généralisé, financement augmenté du planning familial pour le lancement de son chat ». Elle réaffirme aussi la mesure de l’année prochaine : la gratuité de la pilule du lendemain pour toutes les femmes (cf. La pilule du lendemain : « cavalier budgétaire » du PLFSS 2023). Enfin, elle s’enorgueillit de la contribution de la France à l’échelle internationale qui « se hisse à 400 millions d’euros sur cinq ans pour les droits sexuels et reproductifs ».
Un danger écarté par la procédure d’une loi constitutionnelle
Le rejet ferme du Sénat en commission puis en séance laisse penser que les propositions de loi constitutionnelles présentées à l’Assemblée et discutées fin novembre ne pourront pas aboutir jusqu’au bout. En effet, pour qu’une loi constitutionnelle soit votée, il faut le vote identique des deux chambres, puis un référendum (cf. Constitutionnalisation de l’avortement : on ne joue pas avec la norme constitutionnelle [Interview de Guillaume Drago]). Puisque le Sénat rejettera vraisemblablement ces textes, le processus visant à constitutionnaliser l’avortement ne pourra aller jusqu’au bout. Mais comme l’a dit Philippe Bas (LR), ce qui était recherché « c’est un symbole ». Le sénateur Ravier l’a exprimé plus directement : « c’est un coup politique […] vous êtes dans la propagande du wokisme ». Malgré la non inscription de l’avortement dans la Constitution, il est à craindre que cette idée de « droit constitutionnel » à l’avortement n’infuse quand même…et qu’au passage certains partis politiques soient fragilisés.
[1] La Commission des lois du Sénat rejette l’inscription de l’IVG dans la Constitution
[2] cf. débat sur les femmes iraniennes peu de temps avant au Sénat