Inscrire le « droit à l’avortement » dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE : une initiative politique qui ne sert pas les femmes

Publié le 20 Mar, 2024

Le 14 mars, un débat a eu lieu en session plénière du Parlement européen à Strasbourg sur la proposition d’Emmanuel Macron : ajouter un « droit à l’avortement » au sein de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (UE) (cf. Inscrire l’IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE ? Un débat au Parlement). Cette Charte, qui dispose de la même valeur juridique qu’un traité international, s’impose au droit national de chaque Etat membre. Une telle modification de la Charte empêcherait les Etats l’ayant ratifiée de restreindre l’accès à l’avortement.

La résolution envisagée par le Parlement européen sera sans effet sur la Charte. Elle participe cependant de la campagne d’Emmanuel Macron visant à convaincre les autres Etats membres de l’UE d’ajouter un « droit à l’avortement » dans la Charte. La veille du débat, l’ECLJ a fait parvenir aux députés européens des arguments d’ordre juridique, politique et social. En effet, si le Parlement européen décide de s’en saisir une nouvelle fois, il devrait le faire de façon constructive, dans le but de recommander une politique sociale de prévention de l’avortement, afin de réduire les risques de recours à l’avortement. C’est une question de santé publique.

La résolution elle-même sera débattue en avril 2024, lors de la prochaine session plénière du Parlement européen.

Un non sens sur le plan juridique

Le fait que le Parlement européen envisage de demander encore d’inscrire un « droit » à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux n’a aucun sens sur le plan juridique.

Pour modifier cette Charte, il faudrait l’unanimité des Etats membres de l’UE. Or, de nombreux Etats s’opposent déjà à toute modification. L’avis du Parlement européen est sans effet à cet égard.

La modification envisagée est incompatible avec la Charte elle-même. L’article 51 indique que la Charte s’applique lorsque les Etats membres mettent en œuvre le droit de l’UE et ne peut pas aller au-delà des compétences de l’UE. Or, l’avortement relève des compétences des Etats membres, car la politique de santé n’est pas une compétence européenne. L’article 168 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatif à la santé publique, prévoit en son paragraphe 7, que « l’action de l’Union est menée dans le respect des responsabilités des Etats membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l’organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux ».

De plus, les Etats de l’UE ont signé et ratifié un Protocole relatif aux préoccupations du peuple irlandais concernant le traité de Lisbonne (2012), indiquant en son article 1 que la Charte ne peut affecter les législations des Etats protégeant le droit à la vie des enfants avant leur naissance.

Enfin, aucun traité ou systèmes de protection des droits de l’homme européen et international n’érige l’avortement en droit. Il existe un « droit à la vie », qui est protégé dans de nombreux traités, il existe même une protection internationale des enfants avant leur naissance, dans la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. La Cour européenne des droits de l’homme a souligné que la Convention « ne saurait (…) s’interpréter comme consacrant un droit à l’avortement ». De même, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dans l’arrêt Brüstle/Greenpeace de 2011, a rappelé la protection reconnue aux embryons humains au titre du respect dû à la dignité humaine.

A l’inverse, les Etats européens se sont engagés dans le programme d’action de la conférence internationale sur la population et le développement (CIPD) qui s’est tenue au Caire en 1994 à « réduire le recours à l’avortement » et à « prendre des mesures appropriées pour aider les femmes à éviter l’avortement ». Selon cette Déclaration, « tout devrait être fait pour éliminer la nécessité de recourir à l’avortement ». Cet engagement a été réitéré depuis, notamment dans le programme d’action de la conférence mondiale sur les femmes qui s’est tenue à Pékin en 1995.

Le déterminisme social de l’avortement

La sociologie des femmes ayant recours à l’avortement démontre le déterminisme social de l’avortement : plus une femme est pauvre et isolée, plus elle est exposée au risque de subir un avortement. Par exemple, en France, selon la DREES, les femmes seules ont un risque supérieur de 37 % à celui des femmes en couple de subir un avortement. Quant aux femmes faisant partie des 10 % les plus pauvres, leur risque de subir un avortement est supérieur de 40 % par rapport aux 10 % des femmes les plus riches, à groupe d’âge et situations conjugales identiques.

En outre, l’avortement provoque souvent un traumatisme psychique, mais aussi des douleurs physiques, surtout lorsqu’il est pratiqué de façon médicamenteuse (cf. IVG : une femme témoigne « ce n’était pas “mon choix” mais “ma peur” »). Selon un sondage de l’IFOP de 2020, 92 % des femmes françaises déclarent que l’avortement laisse des traces difficiles à vivre, elles sont 96 % chez les 25-34 ans. 42 % des femmes qui ont avorté avant l’âge de 25 ans souffrent de dépression. Le taux de suicides est multiplié par 6,5 chez les femmes ayant avorté par rapport à celles ayant accouché. La moitié des femmes mineures qui ont subi un avortement souffre de pensées suicidaires.

Par ailleurs, les femmes qui ont avorté ont aussi trois fois plus de risques de subir des violences physiques, mentales ou sexuelles que les femmes qui ont mené leur grossesse à terme.

Un projet opportuniste ?

Plusieurs résolutions ont déjà été votées par le Parlement européen sur le même sujet. A moins que la nouvelle résolution ne recommande l’adoption d’une politique de prévention de l’avortement, une nouvelle résolution répétant la précédente serait un gaspillage de votre temps et de l’argent du contribuable.

Ce projet d’une énième résolution du Parlement européen est purement opportuniste. Il vise à alimenter la campagne du parti Renaissance (groupe RENEW) pour les élections européennes. Emmanuel Macron a suscité ce débat dans cet objectif, explicitement assumé (cf. Avortement : vers un « droit universel et effectif » ?). Emmanuel Macron sait pourtant que l’ajout de l’avortement dans la Charte n’aboutira pas, puisqu’il avait déjà tenté de l’obtenir pendant la présidence française de l’UE (cf. L’avortement dans la Charte des droits fondamentaux : une simple déclaration symbolique ?). Emmanuel Macron avait alors renoncé à ce projet, devant les difficultés rencontrées.

Tous les députés qui promouvront l’insertion de l’avortement dans la Charte serviront la campagne de RENEW pour les élections européennes, en particulier au niveau français.

Sur le plan européen, cette initiative a pour seul effet d’accroître la division au sein de l’Union et d’alimenter une forme de guerre culturelle entre pays de l’UE. Il n’améliore en aucune manière la situation des femmes pour qui le principal problème n’est pas l’accès à l’avortement, mais l’avortement lui-même, ses causes et ses conséquences.

Le recours à l’avortement en France est le plus élevé d’Europe

Emmanuel Macron est mal placé pour donner des leçons en la matière. Non seulement le recours à l’avortement en France est le plus élevé d’Europe, mais il ne diminue pas, à la différence des autres pays européens. La France est passée de 202 180 avortements en 2001 à 234 300 en 2022, soit un maximum jamais atteint (cf. France : 234 300 avortements en 2022). A l’inverse, le recours à l’avortement a été réduit de moitié en Italie depuis 2000, passant de 135 133 à 63 653. Il en est de même en Allemagne où il est passé de 134 609 à 94 596 selon Eurostat.

Cette baisse n’est pas due au seul vieillissement de la population, car le taux d’avortements par naissance a baissé considérablement. Selon Destatis et Istat, entre 2001 et 2021, il est passé de 151 à 119 avortements pour 1 000 naissances en Allemagne et de 265,9 à 159 avortements pour 1 000 naissances en Italie. En France, il reste autour de 300 avortements pour 1 000 naissances (INED). En Hongrie, le recours à l’avortement a été divisé par deux entre 2010 et 2021, passant de 40 449 à 21 907 avortements par an, sans que les conditions d’accès à l’IVG aient été restreintes. Cela n’est pas dû au vieillissement de la population, mais à une politique sociale. En effet, le taux d’avortement par femme en âge de procréer a baissé de plus de 42 % sur cette période, passant de 16,9 à 9,8 avortements pour 1 000 femmes.

Cette baisse est la preuve qu’une politique de prévention permet, en quelques années, de faire chuter le recours à l’IVG sans même en restreindre ses conditions d’accès légales.

 

Cet article de l’ECLJ a été initialement publié sur leur site sous le titre : Union européenne : arguments contre l’ajout de l’avortement dans la Charte. Il est reproduit ici avec l’accord de ses auteurs.

Grégor Puppinck

Grégor Puppinck

Expert

Grégor Puppinck est Directeur de l'ECLJ. Il est docteur en droit, diplômé des facultés de droit de Strasbourg, Paris II et de l'Institut des Hautes Études Internationales (Panthéon-Assas).

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