Il ne s’agissait au départ que d’un article scientifique. Publié dans la revue Theoretical Medicine and Bioethics, le Dr Anna Smajdor, professeur de philosophie à l’université d’Oslo, y évoquait la possibilité d’avoir recours à des mères porteuses en état de mort cérébrale (cf. Des mères porteuses en état de mort cérébrale ?). Après que l’Association médicale colombienne l’avait ensuite mentionné sur son site internet, une vive polémique a enflé sur les réseaux sociaux, avant de trouver un écho dans tous les média les plus divers aux quatre coins de la planète.
Une pratique acceptable, et acceptée, dans le futur ?
Dans un article publié hier [1], la philosophe se défend de toute « proposition politique » ou « projet de recherche actif ». Elle indique avoir voulu « explorer » la question du « don gestationnel du corps entier » dans un contexte où « la technologie moderne ouvre de nouvelles perspectives et possibilités extraordinaires ».
Même si le concept est « perturbant » reconnaît Anna Smajdor, « la gêne seule ne suffit pas à démontrer que quelque chose est contraire à l’éthique », estime-t-elle. La philosophe rappelle que l’idée de la fécondation in vitro ou des greffes d’organes avaient elles aussi, en leur temps, suscité une levée de boucliers. Un argument d’ailleurs évoqué à l’occasion de la parution d’une étude qui indique que de futurs parents seraient prêts à trier « leurs embryons », voire à les éditer génétiquement, si cela pouvait augmenter les chances de leur enfant d’intégrer une université prestigieuse (cf. Trier les embryons pour réussir à l’université ?). « Les développements technologiques ont tendance à entraîner des changements dans ce qui est perçu comme moralement acceptable », pointe la philosophe.
Une question de consentement seulement ?
« En présentant l’idée du don gestationnel de corps entier, mon objectif était de démontrer qu’il s’agit d’une extension logique d’activités devenues habituelles dans de nombreuses régions du monde », explique Anna Smajdor. Elle relève notamment que de plus en plus de pays adoptent une politique de consentement présumé en matière de don d’organes (cf. Etape ultime pour le consentement présumé au don d’organes). Pourquoi ne pas alors envisager de donner son « corps entier » ? L’argument est déjà utilisé dans le cadre de l’euthanasie. Il s’agirait de « donner du sens » à sa mort, en « sauvant des vies » (cf. Québec : 15% des donneurs d’organes ont été euthanasiés).
Pour la philosophe, la question est essentiellement celle du consentement qui doit être explicite. Ce avec quoi Ana-Luana Stoicea-Deram et Marie-Josèphe Devillers, coprésidentes de la Coalition internationale pour l’abolition de la GPA (CIAMS) et signataires d’une tribune[2] en réponse à la philosophe, sont vigoureusement en désaccord.
Pour les coprésidentes du CIAMS, elle fait ainsi « le choix d’ignorer la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (Convention d’Oviedo), qui stipule que «l’intérêt et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science» ». Or, « l’intérêt et le bien d’une femme ainsi utilisée, quand bien même elle serait en état de mort cérébrale, sont considérés comme inexistants, ou moins importants que ceux des personnes commanditaires ».
Par ailleurs, Ana-Luana Stoicea-Deram et Marie-Josèphe Devillers rappellent que la grossesse est un processus physiologique. Elle ne peut donc « pas être donnée (ni cédée, ni transférée) » et « tenter de le suggérer par une formule faussement métaphorique est intellectuellement malhonnête » soulignent-elles. « D’ailleurs, les commanditaires d’enfants par GPA ne commandent pas une gestation, mais un enfant ».
En outre, en utilisant le terme de « don », on « laisse à croire que le corps entier d’une femme est donné, ce qui reviendrait à affirmer qu’il appartient (que la femme appartient) aux commanditaires ». « Sauf qu’un être humain ne peut appartenir à un autre, si ce n’est en tant qu’esclave », rappellent les coprésidentes du CIAMS.
Vers une remise en cause de la GPA en général ?
Susciter l’indignation avec la « GPA post-mortem » est une façon de « banaliser » la « GPA classique » estime de son côté la journaliste Gabrielle Cluzel [3]. On peut s’interroger au passage sur l’expression de « GPA post-mortem » qui sous-entend que les femmes auxquelles on aurait recours sont mortes. Or la notion de mort cérébrale fait encore débat (cf. Vers une définition universelle de la « mort cérébrale » ?).
Le 3 mars prochain, à Casablanca, une initiative d’experts issus des cinq continents demandera aux Etats de s’engager pour l’abolition universelle de la GPA [4]. Tout court.
[1] BioNews, Beyond the sound and fury: Whole body gestational donation, Anna Smajdor (13/02/2023)
[2] Le Figaro, Au profit de la GPA, allons-nous faire accoucher des femmes mortes ?, Ana-Luana Stoicea-Deram et Marie-Josèphe Devillers (13/02/2023)
[3] Famille chrétienne, Gabrielle Cluzel : comment la « GPA post mortem » banalise sournoisement la « GPA classique » (13/02/2023)
[4] Déclaration de Casablanca pour l’abolition universelle de la gestation pour autrui (13/02/2023)