« L’enfant né de GPA sait qu’il a un lourd prix sur sa tête »

Publié le 29 Avr, 2024

Alors que le Parlement européen vient de voter en faveur de la révision de la directive européenne de 2011 sur la traite des êtres humains pour y inclure « l’exploitation de la gestation pour autrui » à la liste des actes que les Etats doivent sanctionner, puisque relevant de la traite des êtres humains (cf. “Exploitation de la GPA” : une forme de traite des êtres humains selon le Parlement européen), les réactions autour d’un tweet de Marion Maréchal, tête de liste Reconquête pour les prochaines élections européennes, ne cessent de se multiplier.

S’opposer à la GPA : une preuve d’« homophobie » ?

« Où est la maman ? », avait-elle posté sur X en réponse à l’annonce le 22 avril de la naissance de jumeaux par Simon Porte-Jacquemus, un couturier français, en couple avec Marco Maestri.

« Jamais la dernière pour un propos dégueulasse, sur une famille et des enfants…», a réagi le député Renaissance Clément Beaune[1]. Comme l’ancien ministre du Travail Olivier Dussopt, il s’était déclaré en faveur de la légalisation de la gestation par autrui (GPA) (cf. GPA : « N’en déplaise à monsieur le ministre, la souffrance est une des choses du monde les mieux partagées »).

« Aujourd’hui nous fêtons les 11 ans de l’adoption du Mariage pour Tous, une grande victoire pour l’égalité, a de son côté commenté Prisca Thevenot, porte-parole du Gouvernement, sur X. Continuons à nous mobiliser contre toutes formes de discriminations et pour garantir les droits de tous les citoyens ». Un rappel historique instructif, alors que le mariage pour tous était, à l’époque de sa légalisation, présenté comme déconnecté de toute question de filiation (cf. Mariage homosexuel: La PMA, abandonnée ou reportée? ; Le mariage pour tous, une porte ouverte à la PMA et à la GPA pour tous).

A l’occasion du Conseil des ministres, le 24 avril, Prisca Thevenot, a enfoncé le clou, affirmant que la « ligne est claire » : « La GPA n’est pas autorisée en France », mais « une autre ligne est claire : l’homophobie est un délit aussi ».

Pour Jean-Philippe Tanguy, député RN, « ce n’est pas de l’homophobie ». « Voir Mme Thevenot, porte-parole du gouvernement, se féliciter qu’on enfreigne une loi qui existe, c’est complètement surréaliste », dénonce-t-il.

Un sujet pour les prochaines élections européennes ?

A la veille des élections européennes, la GPA pourrait faire partie des thématiques de campagne. Raphaël Glucksmann, tête de liste socialiste, a déclaré être favorable à la GPA, « quand elle n’est pas commerciale » [2].

Radicalement opposé à la pratique quant à lui, François-Xavier Bellamy, eurodéputé LR, a été à l’initiative de la directive votée il y a quelques jours. « Quand l’Europe a mis à jour sa directive contre la traite des êtres humains, j’ai déposé des amendements pour y inclure la GPA », explique-t-il [3]. « Cette pratique consiste à louer le corps d’une femme, et à faire de l’enfant l’objet d’un marché : c’est bien d’une situation de traite qu’il s’agit », analyse le député européen. « Si elle veut être fidèle au principe de la dignité absolue de la personne humaine, qui est au cœur de notre civilisation, l’Europe ne peut pas tolérer qu’on fasse de nouveau d’une vie l’objet d’un contrat ».

Dans le sillage de cette récente directive, Fabien di Filippo, député LR, indique qu’il va prochainement déposer une proposition de résolution visant à la transposer dans le droit français. Le texte demandera la criminalisation de la pratique de la GPA, qu’elle ait lieu en France ou à l’étranger, et l’inscription de son interdiction dans la Constitution française.

Le leurre de la GPA « éthique »

« Cachée derrière les mots de progressisme et d’égalité, il y a une industrie qui tire des milliards d’euros de cette exploitation indécente » dénonce François-Xavier Bellamy. En effet, évalué à 14 milliards de dollars en 2022, le marché mondial de la maternité de substitution devrait atteindre 129 milliards de dollars d’ici 2032 [4] selon une étude de Global Market Insights parue fin 2022 [5].

« Tant qu’on parlait de mère porteuse, l’expression était en soi “préventive” contre le développement du phénomène », analyse Danielle Moyse, philosophe, professeur et chercheuse associée à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux. Mais « dès qu’on parle de gestation pour autrui (GPA), on désigne une action philanthropique qui pourrait emporter l’approbation » (cf. « L’être humain est devenu d’une légèreté criminelle à l’égard du vivant »).

En effet, d’aucuns s’insurgent contre la GPA dite « commerciale », tout en promouvant une GPA qui serait « éthique ». Une distinction qui pourtant est vaine (cf. « Il n’y a pas de GPA éthique, c’est un terme marketing »). « Jamais le mot “éthique” ne pourra correspondre à la femme utilisée – ou louée – comme incubateur ou à l’enfant né d’un contrat », affirme Olivia Maurel, elle-même née suite à une GPA [6].

Une prise de parole déséquilibrée

Alors que les témoignages de commanditaires sont largement relayés dans les médias (cf. GPA dans les médias : le coup de gueule !), ceux des mères porteuses ou des enfants nés de cette pratique se font bien plus rares.

Voir des parents commanditaires faire témoigner de jeunes enfants ou promouvoir la pratique peine Olivia Maurel. « L’enfant né de GPA sait qu’il a un lourd prix sur sa tête, explique-t-elle. Ce conflit de loyauté envers ses parents ne lui permet pas de les affronter. Ça serait prendre le risque de les perdre ». « Je pouvais me le permettre parce que j’étais très encadrée par des psychologues et soutenue par mon mari, mais ce n’est pas le cas de tout le monde », témoigne Olivia Maurel. Désormais, elle « n’a plus de contacts avec ses parents ».

Plusieurs enfants nés de GPA ont pris contact avec elle, « au point de constituer un “réseau” ». Toutefois, « l’immense majorité reste anonyme ». « Quand on a déjà subi un premier abandon par notre mère biologique, on se sent incapable d’en vivre un second par ses parents d’intention », analyse Olivia Maurel.

Une « ligne rouge » ou un autre « marqueur sociétal » du quinquennat ?

Emmanuel Macron s’est plusieurs fois opposé à la légalisation de la GPA en France (cf. GPA : Emmanuel Macron réaffirme « les lignes rouges ». Et en pratique ? ; Fin de vie, GPA… : Emmanuel Macron précise son programme en matière de bioéthique). Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, continue à affirmer cette ligne. « Je suis une mère, j’entends évidemment la souffrance de ceux qui ne peuvent pas avoir d’enfant, déclare-t-elle. Et deux hommes comme deux femmes peuvent évidemment être de bons parents estime la ministre. Mais j’ai été enceinte : une grossesse ne se règle pas par contrat, tout ne peut pas se prévoir, s’anticiper ». « La GPA, c’est d’abord une question éthique, une question de dignité humaine », conclut Aurore Bergé [7].

Mais la ligne est-elle si « claire » comme l’affirme Prisca Thevenot ?

Sarah El Haïry, également membre du Gouvernement en tant que ministre déléguée en charge de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles, a déclaré samedi dernier qu’elle souhaitait que le débat sur la question de la gestation pour autrui puisse avoir lieu en France afin de mettre fin à l’« hypocrisie » [8]. Le débat « n’est pas clos », la rejoint le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti [9]. « Ils ne le sont jamais sur les grands débats sociétaux » assure-t-il. « Moi, à titre personnel, ce qui me gêne, c’est une possible marchandisation du corps de la femme », indique le ministre de la Justice. Pourtant, devant les lettres d’association signalant ce type de pratique sur le sol français, le garde des Sceaux s’est illustré par son inaction (cf. Salon Désir d’enfant : quand l’État français encourage par son silence et son inaction l’odieuse exploitation du corps des femmes et la vente d’enfants; GPA : la « complaisance » de la France ?).

L’hypocrisie ne serait-elle pas de prétendre affirmer des lignes rouges tout en laissant faire ? Des illégalités fécondes qui préparent la prochaine évolution de la loi.

Complément du 02/05/2024 : Les personnalités politiques continuent à prendre position sur le sujet de la GPA. Mardi, François Bayrou, le président du MoDem, a ainsi affirmé que la GPA est interdite en France « pour de très bonnes raisons ». « On n’achète pas un corps humain » rappelle-t-il, indiquant toutefois souhaiter que l’« on prenne en compte les enfants nés de GPA » à l’étranger. De son côté le député Louis Boyard (LFI) a déclaré que « la marchandisation du corps des femmes » ne lui paraît pas « acceptable ». (Sources : BFMTV, (30/04/2024) ; AFP (30/04/2024))

 

[1] Le Figaro, «Où est la maman ?» : après ses propos sur la GPA, Marion Maréchal prise à partie par des membres de la majorité, Eloïse Cimbidhi (24/04/2024)

[2] BFMTV, Raphaël Glucksmann sur la GPA: “Quand elle n’est pas commerciale, je suis pour” (26/04/2024)

[3] Le JDD, François-Xavier Bellamy au JDD : « La GPA doit être interdite à l’échelle mondiale », Propos recueillis par Élisabeth Caillemer (28/04/2024)

[4] Washington examiner, Surrogacy overcomes legal hurdles as market booms, Elaine Mallon (29/04/2024)

[5] Global Market Insights, Surrogacy Market size to exceed $129 Bn by 2032 (22/11/2022)

[6] Le JDD, Olivia Maurel, née par GPA : « Je suis née, et j’ai été vendue », Philippine Farges (28/04/2024)

[7] Le JDD, Porno, prostitution, agressions, GPA… Aurore Bergé sur tous les fronts, Florian Anselme (28/04/2024)

[8] BFMTV, « Sortir de l’hypocrisie » : Sarah El Haïry souhaite que la réparation au débat sur la G¨PA en France « puisse se faire », Jeanne Bulant (27/04/2024)

[9] BFMTV, GPA : “Moi, ce qui me gêne, c’est une possible marchandisation du corps de la femme”, Éric Dupond-Moretti (28/04/2024)

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