GPA : « N’en déplaise à monsieur le ministre, la souffrance est une des choses du monde les mieux partagées »

Publié le 4 Sep, 2023

Le ministre délégué chargé des Transports, Clément Beaune, s’est prononcé en faveur de la légalisation de la gestation par autrui (GPA) en France. « Cette déclaration, en soi, n’est pas un évènement, analyse Aude Mirkovic, porte-parole de l’association Juristes pour l’enfance. Elle s’inscrit dans un processus déjà bien identifié de promotion du marché de la procréation à l’œuvre au fil des lois bioéthique, de mise en place progressive du droit à l’enfant, tout en se défendant bien entendu de le faire. » Mais cette déclaration « nous envoie un coup de semonce et nous éclaire, si besoin était, sur la prétendue ligne rouge que le président de la République évoque régulièrement, sans jamais la faire respecter puisque la France importe sans sourciller les GPA réalisées à l’étranger », dénonce-t-elle.

Un positionnement loin d’être isolé

Même si Aurore Bergé, ministre des Solidarités et des Familles promet que « la GPA n’est pas et ne sera pas à l’agenda du gouvernement et de la majorité présidentielle », Clément Beaune n’est pas le premier membre de l’Exécutif à se prononcer en faveur de la GPA.

En effet, en mars dernier, Olivier Dussopt, ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion s’est déclaré favorable à une GPA « encadrée, pas forcément gratuite ». L’ancien ministre de la Santé, Olivier Véran, indiquait en juin 2021 qu’il « ne serait pas choqué qu’un jour on puisse en débattre ». En août de cette même année, Elisabeth Moreno, alors ministre déléguée à l’Egalité entre les femmes et les hommes, appelait à une GPA « très encadrée ». Enfin, en avril 2019, Gabriel Attal, devenu depuis ministre de l’Education nationale, avait déclaré qu’« il ne serait pas opposé à une “GPA éthique” en France ».

Ainsi, « plus que transgresser, Beaune prépare l’opinion », analyse le journaliste Guillaume Tabard. « Toutes les réformes éthiques ont toujours avancé de la même manière. Les promoteurs du pacs en 1999 s’indignaient de ce que leurs adversaires n’y voient qu’une étape en vue de la reconnaissance du mariage homosexuel. Puis les opposants à la loi Taubira étaient accusés de mauvaise foi quand ils alertaient sur l’inévitable ouverture à la PMA. Et, à nouveau, lorsque la PMA fut votée, l’exécutif – Macron en tête – a juré qu’il n’était pas question de faire de même avec la GPA », rappelle-t-il.

Des « arguments » « tellement éculés qu’on dirait presqu’un sketch parodique »

« Souffrance », « justice » : pour Aude Mirkovic, « les “arguments” invoqués par le ministre sont tellement éculés qu’on dirait presqu’un sketch parodique ».

Certes il y a des enfants qui souffrent, il y a des familles dysfonctionnelles, concède la juriste. « C’est triste, mais en quoi est-ce une raison pour faire souffrir d’autres enfants, en les privant délibérément de leur filiation, en les exposant au choc traumatique de l’abandon du fait de la séparation de leur mère de naissance, en faisant d’eux les objets de contrat de commande et de livraison, contraires à leur dignité d’êtres humains ? », interroge-t-elle.

« D’un côté, des foyers français divers et dysfonctionnels, générateurs d’enfants en souffrance, et, de l’autre, le pays de Candy, ce monde idyllique des candidats à la GPA, tous éligibles à la canonisation », ironise de son côté Céline Revel Dumas auteur de GPA Le Grand Bluff. « N’en déplaise à monsieur le ministre, la souffrance est une des choses du monde les mieux partagées. »

« La GPA, quelles que soient ses modalités, quels que soient les demandeurs, mariés, célibataires, couple de même sexe, de sexe différent, jeunes, vieux, emporte des préjudices pour l’enfant, rappelle Aude Mirkovic. Ce n’est pas l’intention bien sûr des personnes qui recourent à la GPA, mais c’est hélas la réalité. »

Une question de justice ?

Deuxième argument du ministre : « la justice ». Mais « il y a un tas de choses que seuls les riches peuvent se payer à l’étranger car il possible de trouver presque tout de manière “légale” quelque part sur la planète », pointe Aude Mirkovic, « des organes, de la drogue, des armes, des prostitués mineurs par exemple, est-ce une raison pour importer ces pratiques en France ? »

« Si la pratique méconnait la dignité humaine et porte atteinte aux droits de l’enfant, ce qui est le cas, le rôle de l’Etat est de dissuader ses ressortissants d’y recourir à l’étranger et de sanctionner ceux qui l’importent en France, non de l’organiser chez nous », tranche la porte-parole de Juristes pour l’enfance.

L’illusion de la GPA « éthique »

« Le terme “GPA éthique” est utilisé dès 2013 par la philosophe Elisabeth Badinter et répondrait à plusieurs critères dont celui d’un processus totalement bénévole établi dans une “logique de don” », rappelle Céline Revel-Dumas. « La philosophe s’inspire du modèle britannique qui légalise la “maternité de substitution” en 1985 et interdit toute pratique commerciale », précise-t-elle. « Le Canada a lui aussi implicitement autorisé une GPA non commerciale depuis 2004 ».

« Deux exemples en réalité bien peu flatteurs », dénonce l’auteur. Car « dans les deux pays, les dérives ne se sont pas fait attendre ». « Dès 1998, au Royaume-Uni, le rapport Brazier, commandé par le ministère de la Santé du Royaume-Uni, alerte quant aux “dépenses déraisonnables” pouvant dissimuler de véritables rémunérations ». Et de l’autre côté de l’Atlantique, « en 2018, même le président du Conseil du Trésor, Scott Brison, a eu recours à une GPA aux Etats-Unis », quand un député, Anthony Housefather, a déposé en 2018 un projet de loi visant à « décriminaliser la rémunération des “mères porteuses” ». « Les couples canadiens ne devraient pas aller aux Etats-Unis et payer pour avoir leur enfant », argumentait-il.

« Trop peu de “mères porteuses” enclines à répondre à la “demande” – sémantique commerciale à propos -, et c’est encore l’injustice », analyse Céline Revel-Dumas. « Seule solution : inciter les femmes, en les rémunérant. Le sens du progrès ? »

Car « la non-rémunération des “mères porteuses” ne constitue qu’une étape » assure-t-elle. « Le nombre de candidates à la maternité de substitution est si faible que la légalisation d’une GPA qui ne rémunère pas les femmes est une gageure ». Or ce sont « les plus précaires » qui seront mises à contribution. « Il y aura alors l’injustice et la souffrance d’un côté, et, il faut vous l’accorder, monsieur le ministre, l’amour et la justice de l’autre », conclut Céline Revel-Dumas.

 

Sources : Famille chrétienne, propos d’Aude Mirkovic recueillis par Charles-Henri d’Andigné (01/09/2023) ; Le Figaro, Céline Revel-Dumas (03/09/2023), Guillaume Tabard (01/09/2023), Tristan Quinault-Maupoil (01/09/2023) – Photo : iStock

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