Fin de vie : « week-end difficile » à la convention citoyenne

7 Mar, 2023

La 7e session de la Convention citoyenne avait lieu ce week-end, la première de la phase d’harmonisation et de restitution des travaux. Un week-end marathon et difficile. Malgré les tensions palpables au sein de l’hémicycle, un échange intéressant a toutefois pu avoir lieu avec des soignants.

Un éclairage complémentaire sur des situations particulières

Vendredi, une audition complémentaire sur le discernement des mineurs, des personnes âgées et des malades psychiatriques, un sujet complexe et pas vraiment abordé jusque-là, était prévue. En fin de journée, les participants ont eu l’occasion d’échanger avec trois experts : un pédiatre spécialiste du cancer de l’enfant, une gériatre et une psychiatre.

Après un bref exposé, les trois intervenants ont répondu aux nombreuses questions des participants. L’occasion pour eux d’apporter un éclairage sur ces situations particulières, mais aussi de redire l’opposition des soignants et leurs craintes face à une éventuelle légalisation de « l’aide active à mourir » (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie).

Avec des réponses prudentes et nuancées, le Dr Saena Bouchez, psychiatre à l’hôpital Lariboisière a indiqué que « toutes les maladies mentales n’abolissent pas le discernement du patient ». « Certaines pathologies peuvent provoquer des troubles du discernement » qui peuvent être variables dans le temps a-t-elle toutefois précisé. En psychiatrie, les neuroleptiques n’abolissent pas le discernement, même à forte dose, indique aussi le Dr Bouchez.

Admettant les limites de sa spécialité, elle ajoute : « le seul outil diagnostic en psychiatrie est l’entretien ». Il y a des troubles psychiatriques qui résistent aux traitements et aux prises en charge. « Nous manquons encore de critères bien établis pour définir un trouble réfractaire qui pourrait justifier une demande d’euthanasie ».

Ouvrir l’euthanasie aux mineurs, c’est « un pouvoir très dangereux donné aux parents »

Le Dr Jacques Grill, pédiatre neuro-oncologue à l’Institut Gustave Roussy, est lui plus tranché dans ses propos. Il assure que les « demandes fermes, réitérées et claires » d’ « aide à mourir » de la part des enfants qui le consultent restent tout à fait « exceptionnelles ». « Ne simplifions pas trop les choses, la demande peut être ambivalente » ajoute-t-il, tout en rappelant que « la possibilité de faire, ne veut pas dire qu’il faut faire ».

Inscrire dans la loi l’« l’aide active à mourir » engendrera forcément des demandes. Dans toutes les situations où un tiers prendra la décision, notamment pour les mineurs, ce sera plus difficile, particulièrement difficile même, prévient-il (cf. “Aide active à mourir” : les pédiatres inquiets). Ouvrir l’euthanasie aux mineurs, c’est « un pouvoir très dangereux donné aux parents » qui devront vivre après avoir pris cette décision alerte-t-il. « La mort d’un enfant, c’est des parents qui survivent, ne les oublions pas ».

« Vous pouvez réfléchir à modifier la loi, à introduire des possibilités nouvelles, mais si derrière il n’y a pas de professionnels, ce sera pire » ajoute également le pédiatre. « La loi actuelle n’empêche pas l’humain, c’est le manque d’humain pour être là avec les malades » qui pose problème.

Ni les médicaments, ni une « aide à mourir » ne remplaceront l’humain

Partageant le constat du Dr Grill, le Dr Sophie Moulias, gériatre hospitalière indique elle aussi que « les demandes de mort claire et réitérée sont tout aussi rares » dans sa spécialité. Elle dit même n’avoir jamais été confrontée à une demande ferme d’« aide active à mourir ».

« Ce dont souffrent ces personnes c’est, bien sûr, des pertes sensorielles et d’autonomie dues au grand âge, mais surtout de l’isolement, de la solitude » précise-t-elle. « On rencontre beaucoup de personnes qui nous disent : “j’espère ne pas me réveiller le lendemain” (…) ou “Je n’en peux plus d’être un poids pour mes enfants” (..). Mais le passage à l’acte lui-même n’est généralement pas demandé ». Ni les médicaments, ni une « aide à mourir » ne remplaceront l’humain (cf. « La mort ne sera jamais la solution. La solution c’est la relation »).

« Dans un pays dans lequel la loi actuelle n’est pas appliquée de façon claire et équitable partout, envisager l’euthanasie serait pour l’immense majorité des soignants de gériatrie très choquant » (cf. Soins palliatifs : fermeture d’un service faute de médecin). « Les soignants n’inscrivent pas l’euthanasie comme un soin » rappelle-t-elle (cf. La SFAP s’insurge : « Donner la mort n’est pas un soin »).  Selon elle, « les soignants ne suivront pas sur l’euthanasie » (cf. L’Association médicale mondiale renouvelle son refus de l’euthanasie). « Il n’y en a déjà pas beaucoup, il y en aura encore moins » alerte-t-elle.

Interrogée sur les risques de dérives que pourrait engendrer une modification de la loi pour les personnes âgées elle ajoute « il n’y aura pas d’épidémie d’”aide active à mourir” ». Elle dénonce en revanche un autre risque, celui de « l’âgisme » qui consisterait pour des proches à vouloir « accélérer la fin de la vie » des personnes âgées. La décision doit appartenir « à la personne concernée et à elle seule » précise la gériatre.

Travaux en groupe et votes en cascade

La journée du samedi était réservée à une réflexion en groupes. Les citoyens ont avant tout travaillé à la formulation des propositions relatives à l’amélioration de l’accompagnement de la fin de vie dans le cadre légal actuel. Alors que la phase de « synthèse » est entamée, de nouvelles propositions ont malgré tout continué d’être émises.

Des travaux sur l’« aide active à mourir » étaient également prévus, même si la question n’était, pour une fois, pas la priorité de cette session. Répartis en groupes d’opinions, les citoyens ont pu affiner leurs arguments et contre-arguments sur une éventuelle ouverture de l’accès à l’« aide active à mourir ». Le vote décisionnel sur ce point est prévu pour la session 8, mais un vote de travail s’est néanmoins tenu, sans pour autant que ses résultats soient cette fois publics (cf. Convention citoyenne : un week-end clef pour la fin de vie en France ?).

Dimanche matin, à l’issue de la session, un vote sur les propositions formulées le samedi pour améliorer le cadre actuel de la fin de vie, le « quoi qu’il en soit » en matière d’accompagnement, était prévu.

Pour « éviter toute forme de contestation », Claire Thoury a proposé au préalable un vote sur le vote. La majorité des participants y étant favorables, un vote en rafales, toutes les quinze secondes, et pas plus, a pu avoir lieu. Plus de 100 propositions ont été examinées.

67 propositions retenues pour améliorer le cadre actuel

Avant de retenir les « propositions clés », les participants ont à nouveau indiqué, à 82%, que le cadre actuel d’accompagnement de la fin de vie n’est pas adapté selon eux aux différentes situations rencontrées, et, pour 97% d’entre eux, que le cadre actuel doit être amélioré, quelle que soit leur opinion sur l’« aide active à mourir ».

67 propositions concernant différents thèmes ont ensuite finalement été retenues. Peu de surprises parmi celles-ci, qui concernent pour beaucoup des propositions attendues, et même sollicitées en dehors de la Convention afin de favoriser les soins palliatifs et leur diffusion.

Il a ainsi notamment été retenu de « renforcer globalement le budget dédié aux soins palliatifs, donner les moyens nécessaires à une mise en œuvre effective de la loi et appliquer le principe du “quoi qu’il en coûte” » ou de « développer les prises en charge palliatives et l’accompagnement de la fin de vie à domicile par l’intervention de l’HAD et d’équipes mobiles de soins palliatifs ». « Développer la formation initiale des professionnels de santé sur les soins palliatifs, la prise en charge des douleurs et de la fin de vie » et « soutenir et développer la Recherche & Développement sur la souffrance et les remèdes futurs pour guérir les malades et lutter contre les douleurs réfractaires » sont aussi parmi les mesures adoptées.

Certaines propositions attirent plus l’attention comme : « faire prévaloir les choix du patient, respecter son libre arbitre et sa volonté concernant l’accompagnement de sa fin de vie, même si celle-ci va à l’encontre de la volonté du médecin », ou « inscrire dans la loi un droit opposable à l’accompagnement à la fin de vie et aux soins palliatifs afin de garantir un accès équitable pour tous ».

« Organiser et développer des campagnes d’information et de sensibilisation des différents publics » a encore été retenue. Une idée actuellement mise en œuvre par la SFAP avec sa campagne Osons vivre. Les différentes mesures spécifiques visant à sensibiliser les jeunes ont en revanche été rejetées. « Inscrire dans la Constitution le droit pour chacun de disposer de sa fin de vie » a même été évoqué (cf. Constitutionnalisation de l’avortement : le texte entame sa navette), mais la proposition a toutefois été, elle-aussi, écartée.

« Il y a trop de votes »

Afin de commencer à « stabiliser » le fond, les participants se sont enfin penchés ce week-end sur la forme du rapport final émis par la Convention

« Il y a trop de votes » s’insurge un citoyen. Malgré les protestations de certains qui sollicitaient plus de temps, les 3 propositions de plan du rapport ont été rapidement examinées, ainsi que certains aspects du « livrable ».

A quelle personne adresser le rapport ? Faut-il utiliser le « nous » (nous les citoyens), ou le « elle » (la Convention) ? Il y a débat. Les citoyens voudraient-ils prendre de la distance par rapport au futur rapport de la Convention dans lequel ils craignent de ne pas se retrouver ?

Un rapport spécifique pour les citoyens et une synthèse pour les soignants sont par ailleurs prévus. Rien pour les parlementaires en revanche ont décidé les conventionnels.

« Méfiez-vous de ceux qui pensent savoir mieux que vous »

« C’était un week-end difficile » conclut Claire Thoury, présidente du Comité de Gouvernance de la Convention citoyenne, à l’issue de la session.

« Méfiez-vous de ceux qui pensent savoir mieux que vous (..). Vous êtes légitimes », veut-elle rassurer. « Je suis fatiguée de la condescendance de la part de certains d’entre vous vis-à-vis de l’exercice que vous êtes en train de vivre qui m’agace », ajoute la présidente. Ferait-elle notamment référence à la lettre de contestation adressée par certains des citoyens (cf. Fin de vie : une convention manipulée ?) ?

La Convention se réunira encore pendant deux week-ends pour se prononcer sur l’accès à une éventuelle « aide active à mourir » et poursuivre ses travaux afin d’aboutir au document final. Sa date de fin a été reportée au 2 avril.

Un sujet complexe, une tache qui semble faramineuse. Il reste peu de temps et beaucoup de travail. La réponse à la question du Premier Ministre pourra-t-elle être adaptée et refléter ce que pensent les citoyens ?

Photo : Pexels de Pixabay

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