Fin de vie : promouvoir un temps du « vieillir digne »

4 Avr, 2024

Mercredi 27 mars, le Sénat a adopté le projet de loi « bâtir la société du bien-vieillir et de l’autonomie » (cf. Bien vieillir : la proposition de loi adoptée par le Sénat). Dans une tribune publiée par La Croix, Emmanuel Hirsch, professeur émérite d’éthique médicale à la faculté de médecine de l’université Paris-Saclay, considère que le temps est venu d’un « vieillir digne » dans notre société.

Être reconnu digne de droits et libre de ses choix, y compris lorsqu’ils diffèrent, l’âge venu, de ceux qu’ils auraient pu être plus jeune, constitue une évolution politique significative, même si elle doit se prolonger sans attendre dans un cadre législatif plus ambitieux (cf. Grand âge : le manque d’ambition de l’exécutif ?).

Le discours public relatif à une vieillesse assujettie aux représentations pathogènes de la vulnérabilité, de la perte d’autonomie, de la dépendance, de la charge économique, pour ne pas dire du coût et de l’inutilité sociale doit gagner en maturité et en lucidité (cf. Projet de loi sur la fin de vie : « une voie pavée de tromperies »). Nos vieillissements, ce que nos sociétés modernes ont rendu possible par des avancées de toute nature, y compris médicales, sont des conquêtes fragiles. On n’a pas encore compris la signification des possibilités et des richesses dont elles sont la promesse, ne serait-ce que pour rassurer ceux qui, dans la jeune génération, doutent aujourd’hui de leur présent et de leur devenir, parfois davantage que les vieux.

Qu’en est-il, à l’opposé des visions misérabilistes, de ceux qui parmi nous consacrent le temps de leur vieillesse à militer pour le bien commun ? Ils soutiennent et renouvellent les solidarités y compris au sein de leur famille et dans le milieu associatif, cultivent une expérience de vie et une disponibilité au service de la collectivité nationale, font lien et sens précisément parce qu’ils sont en position de transmettre à la société leur intelligence du réel façonnée à travers le temps, leur temps, celui qu’ils aspirent à poursuivre avec nous.

« Une culture de l’oubli, voire du mépris »

Vieillir en société, c’est être respecté en ce que l’on demeure membre à part entière d’une nation qui doit tout à ceux qui l’ont édifiée, et dont elle exprime parfois aujourd’hui sa fierté comme il en serait d’un héritage confié à la postérité. Nous en avons saisi la valeur lorsque le 8 mars 2024 le sceau de la République a été apposé sur la loi inscrivant la liberté d’accès à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution (cf. La France inscrit l’avortement dans sa Constitution. Et ensuite ?). Des femmes ont alors rendu hommage à celles qui avaient revendiqué ce droit dont elles-mêmes, désormais, assumaient la filiation.

Pourtant, dans une étude présentée le même jour par les petits frères des Pauvres, Cécile, âgée de 94 ans, témoignait d’un paradoxe ou d’un mépris d’autant plus inacceptable : « A qui les jeunes femmes d’aujourd’hui doivent leurs droits ? A nous, les vieilles d’aujourd’hui qu’on remarque à peine tellement nous sommes devenues invisibles ». Ce si douloureux constat interroge une nation qui ne serait plus capable de respecter sa mémoire. Ces personnes incarnent parmi nous le sens de notre histoire, et peuvent nous rappeler les repères qui s’avèrent de nos jours plus indispensables encore que par le passé. S’en désintéresser est l’indice inquiétant d’une culture de l’oubli, voire du mépris. Cela fragilise notre rapport au bien commun et notre attachement à la continuité d’une construction sociale qui nous éclaire et nous renforce.

Prévenance sociale

Vieillir personnellement, c’est refuser une vision qui déterminerait ce que l’on est et ce à quoi on aspire du point de vue de critères d’âge indifférenciés et réducteurs, alors qu’il convient de tenir compte de facteurs individuels marqués par des expériences de vie inassimilables à un profil unique. Il convient de résister à la tentation de traiter des vieux plutôt que d’une vieillesse, de renoncer à reconnaître la personnalité de celui qui vieillissant n’en est que davantage attaché aux rencontres et aux moments qui ont façonné la singularité et l’authenticité de sa vie.

À la prévention des ruptures, des pertes d’autonomie, des pathologies évitables ou contrôlables doit correspondre une prévenance sociale, pour ne pas dire citoyenne, car politique. Les risques de relégation, d’isolement, de sentiment d’indignité et de perte d’estime de soi doivent être anticipés afin de les limiter dans le cadre d’une mobilisation des attentions de chacun d’entre nous (cf. Fin de vie : « aider chacune et chacun à garder le goût de vivre »). Trop fréquemment, la perspective du vieillissement est assimilée à une dépossession contrainte de ce que l’on a été, de ce à quoi notre existence était arrimée pour y préserver un sens, une raison d’être.

Rétablir la cohésion sociale

Un autre rapport est néanmoins possible au monde, à la temporalité, une autre disponibilité rend plus accessible la réalisation et l’épanouissement de soi, la valorisation de son vécu, la disponibilité au temps à vivre. N’est-il pas dans ces enjeux une certaine idée de ce que seraient la visée et l’exigence d’un temps du « vieillir digne » ? D’une vie à poursuivre jusque dans ses derniers retranchements (cf. En fin de vie, accompagner avec « bientraitance ») ?

L’intégration sociale, la valeur et le rôle reconnus aux personnes vivant le temps de leur vieillesse, sont l’indice des équilibres de la vie démocratique, avec pour défi immédiat de rétablir la cohésion sociale en reconnaissant aux diversités – quelles que soient leurs histoires et leurs singularités – la fonction qui leur revient pour nous enrichir collectivement de ce dont elles témoignent. Elles ont tant à nous dire de leur quotidien, de leur relation à la vie, aux autres, à la société, tant à dire de ce qu’elles sont, de ce qu’elles ont accompli, de ce dont leurs vies témoignent, et qu’elles peuvent transmettre.

Inventer « un vieillir en société »

Faute d’être audibles, écoutées, intégrées à nos concertations et à nos décisions, notre collectivité nationale se rétracte dans des positions trop souvent figées, inopérantes, indignes, inattentives à leurs attentes et à leurs choix. Il nous faut donc penser et promouvoir un esprit d’ouverture et une capacité de renouveau indispensables à l’invention d’un vieillir en société. C’est dire que nous devrions envisager nos approches du vieillir comme relevant tout d’abord d’une exigence de mémoire et de reconnaissance, d’un engagement politique et de résolutions de démocrates.

Dans La Vie heureuse. La brièveté de la vie, Sénèque considère qu’« il faut apprendre à vivre tout au long de sa vie et, ce qui t’étonnera davantage, il faut, sa vie durant, apprendre à mourir ». De nos jours la préconisation du philosophe serait-elle qu’il faut apprendre à vieillir, et qu’il s’agit d’une question à la fois politique et de société ?

 

Cette tribune a été reproduite ici avec l’accord de son auteur.

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