Du 18 octobre au 11 novembre, l’Agence de la biomédecine lance une nouvelle campagne de sensibilisation au don de rein de personnes vivantes.
Aujourd’hui en France, une personne sur dix est atteinte d’une maladie rénale chronique. 55% de ces patients reçoivent un traitement par dialyse, les 45% autres reçoivent une greffe qui, précise l’Agence de la biomédecine, « quand elle est possible, est la meilleure option thérapeutique pour le malade ».
En quête de greffons
En 2019, en France, 3 643 greffes rénales ont été effectuées dont 510 dons du vivant (soit 14%). En 2020, à cause de la pandémie, seules 2595 greffes rénales ont été pratiquées parmi lesquelles 390 dons du vivant (soit 15%)[1] (cf. Les greffes d’organes ont chuté de 16% en 2020). Les greffons proviennent à la fois de prélèvements sur personnes décédées, mais concernant le rein, ils peuvent aussi être donnés par des proches : « le père ou la mère, le conjoint, le frère ou la sœur, le fils ou la fille, un grand-parent, l’oncle ou la tante, le cousin germain ou la cousine germaine, mais également toute personne apportant la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans avec le receveur, ou bien d’un lien affectif étroit et stable avec la personne malade, là encore depuis deux ans minimum ».
Du 18 octobre au 11 novembre, sous le slogan « Don de rein à un proche, la solution est en nous tous », l’Agence de la biomédecine lance une nouvelle campagne de sensibilisation à ce don du vivant. Dans le spot radio, l’Agence décline le thème : « On peut tous donner de soi pour rendre la vie d’un proche plus belle. Il suffit d’un rein. Don de rein à un proche, la solution est en nous tous ».
Mais est-ce si simple ? Peut-on vraiment généraliser une pratique qui relève davantage du cas par cas et mener une campagne qui banalise un acte et une décision grave ?
Un réservoir de pièces détachées ?
Certes, on vit très bien avec un seul rein. Jusqu’au jour où il déraille. Certes, les risques et conséquences post-opératoires pour le donneur semblent circonscrites et faibles. Mais « un suivi annuel est programmé et doit être réalisé, même si le donneur n’en ressent pas forcément le besoin » précise l’Agence.
Pour autant, nos corps vivants ou morts ne sont pas un réservoir de pièces détachées, nous ne sommes pas « recyclables ». Contrairement au slogan populaire, nos corps ne nous appartiennent pas, nous sommes notre corps. C’est exactement ce que veut protéger la loi quand elle invoque l’indisponibilité du corps humain (cf. GPA, don d’organes, suicide… Est-ce que mon corps m’appartient ?) et impose, a minima, la gratuité du don (cf. La gratuité des organes résistera-t-elle à la volonté de doper les dons ?). Autant de principes menacés. Nos corps font l’objet de convoitises, nos organes, nos gamètes – eux aussi don du vivant – s’échangent à prix d’or sur des marchés juteux. Nous ne pouvons pas être « la solution », l’alternative évidente qui rendra une vie quasi-normale, sous immunosuppresseurs à vie, du receveur. La solution n’est pas en nous tous.
Le prélèvement est irréversible
La course aux greffons avec son quota d’organes « à récupérer » est particulièrement inadaptée parce qu’elle met en jeu des vies humaines (cf. Don d’organes : opportunité ou opportunisme ?). Les propos en ce sens du collectif Greffes +, qui invitent « à une refondation de la gouvernance du don d’organes et de la greffe » et ambitionnent d’atteindre « 7 800 greffes par an d’ici à 2026 », déroutent[2] ou… agacent. Si certains patients craignent de suggérer à leur proches de leur faire don de leur rein, c’est bien qu’ils sont conscients qu’il s’agit d’un acte important, difficile.
Les interventions chirurgicales se pratiquent désormais dans des domaines où la vie de la personne n’est pas en jeu : esthétique, reproduction… Pour autant, intervenir sur le corps d’une personne n’est jamais sans risque, l’opération atteint son intégrité de façon violente et elle est irréversible. Une personne ne peut se réduire à son corps. Les bons sentiments ne suffisent pas.
[1] Agence de la biomédecine, Don de rein à un proche, la solution est en nous tous, 13/10/2021.
[2] Le Quotidien du médecin : Don d’organes : le collectif Greffes + livre 20 propositions pour atteindre 7 800 greffes annuelles, 14/10/2021.