Des chercheurs de l’université de Floride, à Gainesville, tentent de fabriquer « un grand animal » à partir de cellules souches uniquement, « sans ovule, sans spermatozoïde et sans conception » (cf. Embryons de synthèse bovins : le double langage des chercheurs).
S’ils y parviennent, « il ne s’agira pas seulement d’une toute nouvelle façon d’élever du bétail ». « Cela pourrait ébranler notre notion de ce qu’est la vie. » En effet, « il n’y a jamais eu de naissance sans ovule », explique Zongliang “Carl” Jiang, le biologiste de la reproduction qui dirige le projet.
Une technique à perfectionner
Zongliang Jiang, en collaboration avec d’autres scientifiques du Texas, a publié l’année dernière une technique visant à produire des « blastoïdes bovins », appelés de la sorte en raison de leur ressemblance avec les blastocystes, le stade de l’embryon qui convient aux procédures de FIV. « Nous pouvons générer des centaines de milliers de blastoïdes, affirme le chercheur. Il s’agit donc d’un processus industriel. »
Les vaches se voient administrer des hormones « pour faire croire à leur corps qu’elles sont enceintes ». Ensuite, les blastoïdes sont propulsés vers les oviductes de chaque animal.
Pour l’heure, les embryons fabriqués en laboratoire à partir de cellules souches ne sont « pas encore tout à fait comme les vrais ». « Ils ressemblent davantage à un embryon vu à travers un miroir déformant : les bonnes parties, mais dans les mauvaises proportions. » « Rien n’est tout à fait à la bonne place. » Les chercheurs les éliminent « au bout d’une semaine seulement », afin de vérifier leur degré de croissance et apprendre à en fabriquer de « meilleurs ».
L’un des problèmes pourrait résider dans les cellules de départ. Les chercheurs testent différents facteurs de croissance et diverses conditions de laboratoire. En effet, « la culture de cellules souches dans différents produits chimiques peut modifier le schéma des gènes activés ».
Une alternative au clonage ?
Forte d’une très grande capacité de production, la technique « pourrait révolutionner l’élevage bovin ». « J’aimerais que cela devienne le clonage 2.0 », déclare Carlos Pinzón-Arteaga, le vétérinaire qui a dirigé les travaux de laboratoire au Texas.
Les industriels commencent à s’intéresser à la technique. Ainsi, la société Genus PLC, spécialisée dans la reproduction assistée de porcs et de bovins « génétiquement supérieurs », a commencé à acheter des brevets sur les « embryons synthétiques ». Cette année, elle a commencé à financer le laboratoire de Zongliang Jiang, « en verrouillant une option commerciale sur toutes les découvertes qu’il pourrait faire ».
Les zoos sont également intéressés car « la reproduction assistée est difficile pour de nombreux animaux en voie de disparition ». En outre, cette technologie pourrait, en théorie, redonner vie à des spécimens disparus en générant des embryons qui pourraient être menés à terme par le biais d’une mère porteuse d’une « espèce sœur ».
Des progrès rapides
Une équipe a déjà cultivé un « embryon synthétique » de souris pendant huit jours dans un utérus artificiel. Chez la souris, la grossesse ne dure que trois semaines (cf. Des « embryons de synthèse » de souris développés dans un utérus artificiel).
Les bovins pourraient suivre de près. En effet, « il existe une vaste industrie de la reproduction assistée chez les bovins », avec plus d’un million de tentatives de FIV par an, dont la moitié en Amérique du Nord. « Les bovins sont plus difficiles à élever », reconnaît Zongliang Jiang, « mais nous disposons de toutes les technologies ».
Le chercheur ne peut pas dire dans combien de temps il fera naître un veau. Son prochain objectif est d’obtenir une gestation de 30 jours[1]. Si un « embryon synthétique » peut se développer aussi longtemps, il pense qu’il pourrait aller jusqu’au bout, puisque « la plupart des pertes de grossesse chez les bovins ont lieu au cours du premier mois ».
Quelles conséquences chez l’homme ?
« Si cela fonctionne chez l’animal, cela peut fonctionner chez l’homme », affirme Carlos Pinzón-Arteaga, qui travaille actuellement à la Harvard Medical School.
Des chercheurs chinois ont transplanté à plusieurs reprises des « embryons de synthèse » dans l’utérus de singes. Selon un rapport publié en 2023, ils ont pu observer des « signaux hormonaux de grossesse », bien qu’aucun fœtus de singe n’ait émergé (cf. Des blastoïdes de singe implantés chez la femelle).
Suite aux publications faisant état d’« embryons de synthèse » humains « super-réalistes » (cf. « Embryons de synthèse » humains : les annonces se multiplient), la Société internationale pour la recherche sur les cellules souches (ISSCR), « pour étouffer les spéculations », a publié en juin un communiqué déclarant que ces « embryons synthétiques » « ne sont pas des embryons » et « ne peuvent pas se développer et ne se développeront pas jusqu’à l’équivalent du stade postnatal chez l’homme » (cf. Recherche sur l’embryon : l’ISSCR joue sur les mots).
Pourtant « certains chercheurs s’inquiètent de la témérité de cette déclaration ». En effet, cette déclaration serait réfutée, d’un point de vue biologique, dès qu’un animal issu de cellules souches naîtrait. « De nombreux scientifiques de renom » s’attendent à ce que cela se produise. « Je pense qu’il existe une voie. Je pense que nous y parviendrons, en particulier chez la souris », indique Ju Wu, qui dirige le groupe de recherche de l’UT Southwestern Medical Center, à Dallas, qui a collaboré avec Zongliang Jiang. « La question est de savoir, si cela se produit, comment nous gérerons une technologie similaire chez l’homme. »
[1] La grossesse d’une vache dure 280 jours environ
Source : MIT technology review, Antonio Regalado (06/05/2024)