Des politiques de dépistage prénatal à leur mise en œuvre, différentes approches sont développées en fonction des pays avec comme corollaire, le plus souvent, l’attente d’un « bébé conforme ».
Le dépistage prénatal est multiforme. Echographies, dosage des marqueurs sériques maternels, voire dépistage non invasif (DPNI) et amniocentèse si « nécessaire » : le fœtus est sous haute surveillance. Dernier arrivé dans la politique de dépistage anténatal, le DPNI est utilisé en France depuis 2013. Il vise à dépister les potentielles anomalies chromosomiques du fœtus à partir de son ADN circulant dans le sang de la mère. Un test dont la diffusion « massive et rapide » en France, « n’est pas sans lien avec la diminution constante de son coût de réalisation », analysent Laurence Brunet, Christine Noiville et Elsa Supiot, dans un article récent des Cahiers Droit, Sciences & Technologies [1]. Le test est très facile à mettre en œuvre – une prise de sang suffit – et s’inscrit dans une tendance à vouloir dépister « une quantité de plus en plus vaste de variations génétiques ». Le tout sous la pression de l’industrie, avec la perspective d’importantes retombées financières, le DPNI étant remboursé [2]. Aujourd’hui il intervient après le dépistage combiné [3], mais certains pays, comme la Belgique [4], le proposent à toutes les femmes enceintes.
Comme le soulignent les chercheuses, le législateur français est « toujours resté en retrait concernant le DPNI ». Il est en effet absent de la dernière loi de bioéthique (cf. [Infographie] : ce que contient la loi de bioéthique 2021), alors qu’elle a voulu encadrer d’autres tests génétiques, notamment à visée généalogique. Le cadre normatif s’est focalisé sur le dépistage de la trisomie 21 en particulier. Pas par hasard, estiment-elles. « Parmi les aneuploïdies, c’est la seule qui se révèle à la fois très grave et viable avec une espérance de vie longue, et donc un coût économique et médical important pour la collectivité ».
Une pratique avec une philosophie différente en fonction des pays ?
Devenu un test de « routine », le consentement des femmes est-il vraiment recherché ? Est-il encore possible de le refuser simplement ? Et la recherche systématique de ces aneuploïdies [5], associée à l’autorisation d’avorter quel que soit le stade de la grossesse, n’amène-t-elle pas à stigmatiser et à discriminer les personnes porteuses de trisomie ? Avec un impact potentiellement négatif sur le soutien apporté aux femmes dont l’enfant en est atteint.
Les Dr Ruth Horn et Adeline Perrot se sont intéressées à l’approche éthique mise en œuvre dans trois pays différents : la France, l’Angleterre et l’Allemagne [6]. Tous trois financent le DPNI pour le dépistage des trisomies 13, 18 et 21. En Allemagne, le « risque » est déterminé individuellement. « Un risque statistiquement accru n’est pas considéré comme un critère suffisant pour rembourser le test ».
L’approche anglaise se veut, elle, axée sur une « information non biaisée » et « non directive ». Ce sont l’exactitude des informations et le respect de la décision des femmes qui sont mis en avant. En France, les chercheuses estiment que c’est sur le contenu de l’information que l’accent est mis, plutôt que sur la manière dont elle est délivrée aux femmes. L’approche se veut « protectrice ».
L’Allemagne se démarque nettement. En effet, c’est le « droit de ne pas savoir » qui est mis en avant, impliquant ainsi le droit de refuser des tests. Par ailleurs, afin que la femme puisse prendre une décision en toute connaissance de cause, on suggère qu’elle puisse être mise en contact avec des associations ou des familles dont un membre est porteur de trisomie. La dignité de la femme est mise en balance avec celle du fœtus, même si cette dernière peut être « suspendue » au profit de la première.
Les Dr Ruth Horn et Adeline Perrot projettent d’analyser comment ces différentes approches se traduisent sur « les attitudes et les expériences des professionnels et des femmes ».
L’attente d’un « bébé conforme »
Le déploiement du dépistage conduit à développer l’attente, voire l’exigence, d’un « bébé conforme ». Dès lors, les recours en justice se multiplient lorsqu’une pathologie ou un handicap n’a pas été détecté in utero par le praticien. Récemment, des parents ont ainsi poursuivi un gynécologue pour n’avoir pas dépisté la trisomie de leur fils. La justice l’a condamné à de la prison avec sursis, et à indemniser les parents, les grands-parents, la sœur et la tante de ce garçon désormais âgé de 11 ans (cf. Trisomie : un gynécologue condamné après une “erreur de diagnostic”)[7]. Le gynécologue n’aurait pas eu les diplômes requis pour pratiquer ce type d’échographie.
Autre région, autre histoire. Un couple de Valenciennes, Ophélie et Maxime Vogt, sont les parents de la petite Louise, âgée de 3 ans [8]. Louise souffre d’une maladie génétique rare, le syndrome Ring 14. Les parents fatigués – Ophélie a dû quitter son emploi et Maxime aménager son emploi du temps –poursuivent le centre hospitalier de Valenciennes pour ne pas avoir dépisté la maladie de Louise avant sa naissance. Un dépistage « qui aurait pu donner lieu à une interruption médicale de grossesse ». Le couple a saisi la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) des accidents médicaux du Nord Pas-de-Calais, et demandent réparation à l’hôpital de Valenciennes. La commission leur a déjà donné raison, exigeant que l’hôpital fasse une proposition d’indemnisation aux époux. Leur avocat, Me Riglaire, la juge « ridicule ». L’affaire doit être tranchée l’année prochaine par la justice.
Vers un changement de la loi ?
La loi Kouchner de 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, prévoit déjà la possibilité d’un préjudice moral pour les parents « lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée ». Pour les sénateurs Marc-Philippe Daubresse (LR) et Olivier Henno (UDI), cela ne suffit pas. Alors que la loi précise que la « compensation » du handicap « relève de la solidarité nationale », les deux sénateurs entendent soumettre un texte début 2023 pour étendre l’indemnisation à l’équipement nécessaire à la vie de l’enfant.
Cependant, l’« erreur médicale » ne conduit pas toujours à une naissance. Ainsi, en janvier 2019, une femme enceinte s’est présentée aux urgences obstétricales du centre hospitalier intercommunal de Saint-Aubin-lès-Elbeuf [9]. Elle se plaignait de douleurs, l’équipe soupçonne alors une grossesse extra-utérine. Elle se voit donc injecter du méthotrexate pour arrêter développement de l’embryon. Mais, dix jours après, l’hôpital d’Evreux découvre un embryon vivant dans son utérus. Elle fait une fausse couche quelques jours plus tard. La patiente réclame 10 534 euros pour le préjudice subi, et 2 500 euros pour les frais de procédures. Le centre hospitalier reconnaît la faute, mais estime l’indemnité trop élevée. Le rapporteur public du tribunal administratif de Rouen propose un montant de 3 600 euros de préjudice moral pour la patiente [10].
Au vu de ces affaires, la naissance d’un enfant constitue un « préjudice » plus important. Qu’en pensent les législateurs ?
[1] Laurence Brunet, Christine Noiville et Elsa Supiot, « Le dépistage prénatal non invasif ou le poids de la technique sur une politique de santé publique », Cahiers Droit, Sciences & Technologies [En ligne], 15 | 2022, mis en ligne le 04 novembre 2022, consulté le 13 décembre 2022. URL : http://journals.openedition.org/cdst/6352 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cdst.6352
[2] Depuis 2019 en France
[3] Le dépistage combiné du premier trimestre tient compte des mesures de la clarté nucale et de la longueur cranio-caudale ainsi que du dosage des marqueurs sériques maternels.
[4] Joris Vermeesch, « Entretien avec Joris Vermeesch sur le contexte scientifique et économique belge », Cahiers Droit, Sciences & Technologies [En ligne], 15 | 2022, mis en ligne le 04 novembre 2022, consulté le 14 décembre 2022. URL : http://journals.openedition.org/cdst/6469 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cdst.6469
[5] Caractérisée par un nombre anormal de chromosomes
[6] Dr Ruth Horn et Dr Adeline Perrot, « Le(s) paysage(s) éthique(s) du dépistage prénatal non invasif en Angleterre, en France et en Allemagne : résultats d’une analyse documentaire comparative », Cahiers Droit, Sciences & Technologies [En ligne], 15 | 2022, mis en ligne le 14 novembre 2022, consulté le 13 décembre 2022. URL : http://journals.openedition.org/cdst/6398 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cdst.6398
[7] Chacun des parents recevra 60.000 euros. Quant aux grands-parents, à sa sœur et à sa tante, ils recevront chacun 20.000 euros.
[8] Le Journal du Dimanche, Plana Radenovic, Pourquoi les parents de Louise veulent faire changer la loi (11/12/2022)
[9] Paris Normandie, Une erreur de diagnostic du CHI d’Elbeuf au tribunal, Mélanie Bourdon (09/12/2022)
[10] Le délibéré sera rendu sous trois semaines