Auditions parlementaires sur la fin de vie : du ministère au chevet des patients

9 Fév, 2023

Une nouvelle audition de la mission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti avait lieu hier. Ministère, aides-soignants et auteurs ayant recueilli des témoignages de personnes en fin de vie se sont succédé au Palais Bourbon.

Un manque d’information, de diffusion

Comme la plupart des personnes qui sont passées devant les parlementaires, les administrations se joignent au chœur des voix qui déplorent l’« imparfaite » information quant aux directives anticipées, ou à la personne de confiance, et le manque de soins palliatifs. Tout en reconnaissant qu’à l’issue du plan actuel tous les départements n’en seront peut-être pas encore dotés. Elles soulèvent aussi des « problématiques spécifiques » : l’accès aux soins palliatifs en Outre-Mer, pour les populations précaires, le développement des soins palliatifs pédiatriques.

La direction générale de l’offre de soin a présenté ses « trois orientations stratégiques » : que chacun connaisse ses droits en matière de fin de vie, puisse être pris en charge de façon précoce, et de façon coordonnée et adaptée sur son lieu de vie[1].

Le ministère annonce beaucoup de « communication » sur le sujet.

La place des différents soignants

Après le discours quelque peu convenu du ministère, Guillaume Gontard, président de la Fédération nationale des associations d’aides-soignants (FNAAS) était heureux d’être entendu. Avec les infirmiers, ce sont eux qui sont au chevet des malades. Et « le soignant n’est pas un robot », rappelle-t-il, témoignant par exemple que la sédation profonde et continue est « émotionnellement » « lourde ».

Peut-être au contraire des médecins, « dans les écoles, les étudiants apprennent à ne pas réanimer coûte que coûte », explique Guillaume Gontard. « Le soignant est dans une démarche d’aide jusqu’à la fin », affirme-t-il.

La parole aux malades ?

Après les aides-soignants, la mission entendait donner la parole aux personnes malades. Ce qui est une « grande difficulté », explique son président Olivier Falorni, précisant que des déplacements seront prévus pour les rencontrer.

Pour le moment, ce sont trois auteurs ayant recueilli des témoignages de personnes en fin de vie qui ont dû les représenter : Erwan Le Morhedec, auteur du livre Fin de vie en République, Avant d’éteindre la lumière (cf. « La fin de vie n’est pas avant tout un sujet de liberté individuelle mais de solidarité collective »), Catherine Vincent, qui a écrit La mort à vivre, Quatorze récits intimes, et Elsa Walter, auteur du livre A vous je peux le dire.

Cette dernière, bénévole dans un service d’oncologie, acquiesce : les personnes malades « sont insuffisamment écoutées dans ce débat sur la fin de vie ».

Le tabou de la mort

Peut-être parce que « le tabou de la mort infuse toute la société », estime Elsa Walter qui affirme que les situations « les plus tristes » correspondent aux « fins de vie non verbalisées ». Il existe des chimiothérapies « pour ne pas dire », assure-t-elle.

Erwan Le Morhedec, avocat, chroniqueur, essayiste, et aussi bénévole en soins palliatifs, abonde : « La mort est tabou », « on voudrait l’éluder, l’éviter ». On voudrait « mourir avant de dépérir ».

La sédation, une euthanasie sans le dire ?

Pour l’éviter, faudrait-il dormir ? Catherine Vincent qui « a aidé sa mère à mourir » estime que « la sédation profonde et continue est une euthanasie lente ». Elle précise témoigner à titre de « proche, de journaliste et de citoyenne ».

Une position qui fait réagir Erwan le Morhedec : « il est inacceptable d’entendre certains marteler qu’avec la sédation en phase terminale, on laisse voire on fait mourir les patients de faim et de soif », « c’est une insulte faite aux soignants ».

Car « l’intention n’est pas un critère éthique anecdotique, c’est aussi dans notre droit un élément fondamental », rappelle l’avocat.

Derrière la maladie de Charcot, les personnes âgées

Lors de son audition, la direction générale de la santé a identifié deux enjeux. Le premier est selon elle « le contexte d’un fort accroissement du nombre de personnes très âgées et de personnes affectées de maladies chroniques [qui] va rendre critique l’application des soins palliatifs ».

Ainsi, alors que la maladie de Charcot est citée à l’envi comme l’exemple type d’une situation à laquelle la loi actuelle ne répondrait pas de manière satisfaisante, les personnes âgées sont bel et bien dans le viseur. Catherine Vincent estime qu’il n’y a pas de « solution » aujourd’hui pour « les personnes très âgées très dégradées ». « La loi actuelle laisse de côté les personnes âgées qui n’en peuvent plus de vivre. »

Erwan Le Morhedec confirme qu’elles sont déjà concernées dans les pays ayant légalisé l’euthanasie. Il évoque une femme qui n’était pas en fin de vie mais souffrant de DMLA, « terrifiée » d’aller en maison de repos. Elle a été euthanasiée en Belgique. Une autre, au Québec cette fois : « on peut mourir pour ne pas déranger ».

Les avertissements de l’étranger

Les parlementaires ont demandé aux directions un comparatif avec les pays voisins. Sans obtenir satisfaction devant les réponses vagues. Cécile Lambert, de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) indique qu’Agnès Firmin Le Bodo visite actuellement différents pays européens « pour s’inspirer, et adapter les moyens avec le système français ». Son récent séjour en Suisse semblait plus focalisé sur la question du suicide assisté que sur les soins palliatifs (cf. Fin de vie : « voyage d’observation » en Suisse).

Voulant parer aux critiques, Catherine Vincent prétend que les demandes d’euthanasies en Belgique sont « stabilisées », que seules augmentent celles qui émanent de personnes âgées. Le nombre d’euthanasies a été multiplié par 10 depuis sa légalisation, en hausse de plus de 10% en 2021, établissant un nouveau « record » (cf. Belgique : les euthanasies en hausse de 10,4% en 2021). Les chiffres sont officiels (cf. Euthanasie en Belgique : après 20 ans de dépénalisation, le constat d’un échec). Où la journaliste a-t-elle puisé ses données ?

Elle critique en revanche le « modèle » de l’Oregon que d’autres plébiscitent (cf. Convention citoyenne : l’« aide active à mourir » monopolise le programme). Un « suicide assisté sans assistance », estime-t-elle. « Inhumain ».

De son côté Erwan le Morhedec évoque le Canada. « On meurt aussi de précarité et de manque d’accès aux soins », affirme-t-il, rappelant différents cas récents. Ainsi celui de Jennyfer Hatch : « sa souffrance a été validée au point d’être agréée pour l’euthanasie mais pas pour lui accorder des ressources supplémentaires », dénonce-t-il. « On ne l’a pas aidée à vivre, mais on l’a aidée activement à mourir. » (cf. « Tout est beauté » : une enseigne de mode fait la promotion de l’euthanasie)

Les jeux sont faits ?

« La direction générale de la santé apportera son appui à une éventuelle réforme sur la fin de vie », affirme son directeur général adjoint, le Dr Grégory Emery.

« “Lorsque vous serez amenés à légiférer”, ai-je dit, car je ne me fais pas d’illusions, c’est votre volonté, regrette Erwan Le Morhedec. Lorsque vous serez amenés à légiférer, donc, vous voudrez poser des conditions. » « Pensez-vous pouvoir poser des conditions qui se maintiennent, alors qu’elles ont, toujours, été abandonnées législativement ou dépassées par la pratique, dans les pays qui ont légalisé l’euthanasie ? », interpelle-t-il.

Pour Catherine Vincent, en cas de dérives, « possibles, probables même », « on affrontera la question pour voir s’il s’agit vraiment de dérives ou d’un nouveau choix de société ». Le « strict encadrement » avancé pour faire voter une nouvelle loi semble promis à une fin de vie prochaine.

La France est devant un choix de société. Et « en tablant sur la liberté des personnes on se donne bonne conscience sur notre devoir de fraternité », juge Erwan Le Morhedec. « L’autodétermination que l’on met en avant vire à l’abandon. »

 

[1] C’est le « parcours de soins gradués de proximité »

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