Euthanasie en Belgique : après 20 ans de dépénalisation, le constat d’un échec

Publié le 24 Mai, 2022

Il y a quelques jours le Journal International de Médecine interrogeait : en matière de fin de vie, un débat apaisé est-il possible ?[1] En guise de réponse, et alors que la nomination de Brigitte Bourguignon inquiète le milieu des soins palliatifs[2], l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) occupe l’espace médiatique. « Euthanasie: la loi belge permet “un accompagnement à la mort serein” » titrait l’AFP aujourd’hui, consacrant la dépêche à un entretien avec la présidente de l’ADMD. Une dépêche accompagnée d’une seconde : « Vingt ans après la loi sur l’euthanasie, un médecin belge raconte le “soin final” ». La mort, devenue un « soin » ?[3]

Une dépénalisation toujours plus large

A cette communication, l’Institut européen de bioéthique veut opposer de l’information. Avec la publication d’un dossier intitulé « L’euthanasie, 20 ans après : Pour une véritable évaluation de la loi belge », il propose une analyse factuelle de la situation en Belgique (cf. Euthanasie : la Belgique, un « modèle » ?).

Le Parlement belge a dépénalisé l’euthanasie en 2002 pour les personnes majeures. Avec un double objectif selon les auteurs de la loi : « offrir une solution d’exception aux patients atteints d’une affection “grave et incurable” provoquant chez eux une “souffrance constante, inapaisable et insupportable », et « mettre un terme aux euthanasies clandestines alors pratiquées ». L’euthanasie reste une exception à l’interdit de tuer, aucun « droit à l’euthanasie » n’a été instauré.

Dès son adoption en 2002, l’euthanasie est autorisée pour cause de souffrance psychique, que celle-ci soit associée ou non à une souffrance physique. Ce qui pose la question de la compatibilité d’une telle pratique avec les politiques publiques de prévention du suicide mises en place par les autorités, pointe l’Institut européen de bioéthique (cf. Tine Nys : la loi euthanasie devant la Cour constitutionnelle). En 2014, les mineurs sont autorisés à recourir à l’euthanasie, dès lors qu’ils sont « dotés de la capacité de discernement ». Et en 2020, la loi contraint les établissements de santé à accepter que soient pratiquées des euthanasies en leur sein.

Pour parvenir aux objectifs fixés par la loi, les moyens sont de deux ordres : « autoriser exceptionnellement un médecin à mettre fin à la vie de son patient à sa demande, dans le respect de conditions strictes, tant du point de vue de l’état du patient que de la procédure à suivre », et « garantir le respect de ce cadre légal à travers un contrôle systématique et rigoureux par la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie ».

Une dérive tous azimuts

Vingt ans après, le constat est clair. Alors que l’euthanasie devait relever de l’exception, le nombre d’euthanasies a été multiplié par plus de dix depuis 2003, première année d’application complète de la loi. L’année dernière, un décès sur 40 en Belgique était le résultat d’une euthanasie.

Et alors que l’euthanasie devait s’adresser « aux patients atteints d’une affection “grave et incurable” », pour 16% des personnes euthanasiées en 2021, le décès n’était pas attendu à « brève échéance ». Un nombre d’euthanasies qui a doublé sur les dix dernières années.

D’ailleurs, « le patient a le droit de refuser un traitement de sa douleur (y compris palliatif), et de demander dans le même temps l’euthanasie en raison du caractère inapaisable de sa souffrance », pointe l’Institut européen de bioéthique.

Les patients euthanasiés alors qu’ils souffrent d’affections psychiatriques telles que la dépression ou l’autisme sont au nombre de plusieurs dizaines chaque année. Quand de nombreux psychiatres remettent en cause la notion de « caractère définitivement incurable » de telles pathologies.

Un contrôle inopérant

Plusieurs études montrent un « décalage important » entre la proportion d’euthanasies déclarées et la proportion d’euthanasies de fait, ainsi qu’entre la part d’euthanasies consenties et non consenties. 26 % des euthanasies réalisées en 2013 en Flandre n’étaient pas consenties[4] et 35,5% des euthanasies réalisées en 2013 dans la même région n’ont pas été déclarées à la Commission[5].

En outre, « l’appréciation du caractère “volontaire, réfléchi et répété” de la demande d’euthanasie, telle que le prévoit la loi belge, peut en réalité s’avérer délicat en pratique, s’agissant en particulier de la vérification de l’absence de “pression extérieure », souligne l’Institut européen de bioéthique. Car il existe un risque « non négligeable » que « la demande d’euthanasie trouve son origine dans une perte d’estime de soi voire une dévalorisation de sa propre existence par la personne malade et/ou en fin de vie ». Des sentiments qui « peuvent être notamment liés à l’accent – explicite ou implicite – mis par la famille, les proches, le corps médical ou la presse (à travers la médiatisation de certaines affaires) sur le lien entre le choix de l’euthanasie et la préservation de la dignité de la personne, pointe l’Institut. Se forme alors l’idée, chez le patient, que rester en vie et mourir naturellement constituerait un choix indigne, voire égoïste, ainsi que le sentiment d’être une “charge” pour ses proches ».

Vingt ans après, le constat d’un échec

Ainsi, « vingt après son adoption, le bilan de la loi belge sur l’euthanasie conduit à un double constat d’échec » conclut l’Institut européen de bioéthique. Le contrôle du respect des conditions légales par la Commission fédérale est « défaillant », et le nombre d’euthanasies clandestines n’a pas baissé et reste « préoccupant ». « Les arguments fournis en 2002 pour justifier la dépénalisation de l’euthanasie sont donc aujourd’hui caduques », résume l’Institut.

Et la loi a des effets collatéraux. Puisque « la pratique extensive de l’euthanasie en Belgique a aujourd’hui rendu impossible la mise en œuvre d’une véritable politique d’accompagnement des patients en fin de vie à travers les soins palliatifs, affirme l’Institut européen de bioéthique, en particulier dans un contexte où la disponibilité de ces soins reste contrainte budgétairement. » (cf. Euthanasie : des enjeux financiers)

 

[1] JIM Fin de vie : un débat apaisé est-il possible ?, Léa Crébat (21/05/2022)

[2] Le Figaro, Favorable à une «exception d’euthanasie», la nouvelle ministre de la Santé inquiète le milieu des soins palliatifs, Agnès Leclair (23/05/2022)

[3] La Haute Autorité de Santé définit un acte de soins comme « un ensemble cohérent d’actions et de pratiques mises en œuvre pour participer au rétablissement ou à l’entretien de la santé d’une personne ».

[4] K. Chambaere et al., « Recent Trends in Euthanasia and Other End-of-Life Practices in Belgium », The New England Journal of Medicine, 2015, vol. 372, p. 1180.

[5] S. Derickx et al., « Drugs Used for Euthanasia: A Repeated Population-Based Mortality Follow-Back Study in Flanders, Belgium, 1998-2013 », Journal of Pain and Symptom Management, 2018, vol. 56, n° 4, pp. 551-559.

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