Dîner à l’Elysée sur la fin de vie : des échanges de points de vue, mais pas d’annonces

13 Mar, 2023

En plein débat sur la fin de vie, un diner était organisé à l’Elysée jeudi soir. Une quinzaine de personnalités, représentants des cultes, politiques, philosophes et spécialistes de l’éthique, étaient réunies à l’invitation du président.

« Laisser partir la personne et non pas la faire partir »

L’avis de chacun des participants a été recueilli. « On ne peut pas définir tous les deux ou trois ans ce qu’est la vie humaine » a averti Haïm Korsia, grand rabbin de France. « Il y a un enjeu de fraternité. Il faut rejeter la souffrance. (..) Il y a une forme d’indifférence de la mort d’autrui que l’on ne peut pas entériner. Il faut choisir le cas de conscience plutôt que la bonne conscience » a-t-il prévenu. Le rabbin a également mis en garde contre la bascule vers « une rupture anthropologique ».  Quand tout a été tenté, « il faut laisser partir la personne et non pas la faire partir » a-t-il ajouté.

« Une loi crée une normalité. Faut-il, au titre de quelques situations exceptionnelles, créer la normalité du suicide assisté, voire de l’euthanasie ? » a interrogé le pasteur Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France. « Quelle valeur et quel message une telle loi adresserait à nos aînés ? Ils ont contribué à bâtir la société et, maintenant, on les abandonnerait au sentiment d’être un poids pour leur proche et la société, leur laissant comme seule optique de choisir le départ ! » s’indigne-t-il. Il propose qu’une loi de programmation pluriannuelle pour l’accompagnement du grand âge et pour la fin de vie soit établie (cf. Une proposition de loi sur le grand-âge pour oublier la promesse non tenue ?), tout en s’interrogeant sur la possibilité, « dans ces cas extrêmes », d’une « tolérance transgressive ».

On ne peut pas faire abstraction de cet appel des soignants

Le représentant de l’Union bouddhiste de France a quant à lui regretté l’absence d’Erik Orsenna, en charge du lexique sur « les mots de la fin de vie » (cf. Fin de vie : un nouveau groupe d’experts pour travailler sur les mots). « La maladie, c’est violent. La mort, c’est violent. Les mots euthanasie et suicide assisté le sont aussi mais changer ces termes serait hypocrite. Cela donnerait l’impression d’être dans une dystopie à la Orwell » a prévenu le Dr Sarah Halioui, médecin en soins palliatifs, elle aussi présente lors du diner.

Du côté politique, plusieurs ministres étaient également invités. Olivier Véran, chargé du Renouveau démocratique n’a pas caché sa volonté de changer la loi. Il a retenu de son voyage en Belgique que l’euthanasie pouvait faire partie de la pratique médicale (cf. Euthanasie : la Belgique, un « modèle » ?). A contrario, le ministre de la Santé, François Braun, s’est montré très réservé et estime que « donner la mort n’[est] pas un soin ». « On ne peut pas faire abstraction de cet appel des soignants qui demandent de ne pas être laissés seuls devant cette décision », a ajouté sur ce point le rabbin Korsia (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie).

Ambivalence des demandes

Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée des professions de santé, a quant à elle annoncé qu’elle allait se rendre en Oregon afin d’évaluer la législation sur le suicide assisté (cf. Oregon : 25 ans de « mort dans la dignité »). « 60 % des patients ne prennent jamais [le comprimé létal]. Cela a permis de discuter de l’ambivalence des demandes des malades. Le processus de l’euthanasie ne laisse pas cette place au doute » indique le Dr Halioui.

Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), a lui-aussi pris la parole pour exposer les enjeux du débat (cf. Avis du CCNE : en marche vers l’aide active à mourir ? ), et Thierry Beaudet, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE) a parlé de la convention citoyenne sur la fin de vie (cf. Fin de vie : une convention manipulée ?).

La plupart des convives étaient opposés à « l’aide active à mourir »

« La plupart des convives étaient opposés à l’aide active à mourir mais encore plus à l’euthanasie qu’au suicide assisté. Il y a une hiérarchie dans l’opposition » relève l’ancien ministre, Jean Leonetti, lui aussi invité avec Alain Claeys (cf. Alain Claeys : « En parlant d’aide active à mourir on change de paradigme »).

« Je serai pour un encadrement des cas extrêmes, sur des principes contraignants » a indiqué de son côté Frédéric Worms, philosophe et directeur de l’Ecole normale supérieure (cf. Les philosophes auditionnés sur la fin de vie). « Il faudrait faire une liste des cas exceptionnels. Cela demanderait de mettre des patients dans une case en fonction de critères et des questions d’injustice vont forcément émerger. Cette limite serait difficile à situer » lui a fait remarquer le docteur Halioui.

Le docteur Denis Labayle, administrateur de l’association Le Choix, s’est senti seul. « Une minorité des invités étaient favorables à une exception d’aide médicale et un seul, moi, a défendu la possibilité pour le malade de choisir sa fin de vie. C’était un dîner complètement déséquilibré » estime l’ancien médecin (cf. Fin de vie : deux visions s’opposent lors des auditions parlementaires).

Pas d’annonces tout de suite

Deux acteurs du débat étaient absents : l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité) et la SFAP (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs). « C’est un peu choquant. J’espère qu’il y aura d’autres dîners » s’est offusqué Jonathan Denis, président de l’ADMD.

« J’avais peur d’arriver dans un dîner où la messe était dite. Mais le président estime que le sujet doit encore se décanter, mûrir. On pouvait clairement sentir que la réflexion est toujours en cours. Emmanuel Macron a indiqué qu’il ne souhaitait pas faire d’annonce tout de suite, ni au moment où il recevrait les travaux de la convention citoyenne sur la fin de vie, le 3 avril » indique le Dr Sarah Halioui. La jeune médecin a profité de la soirée pour partager son expérience de terrain et rappeler « les doutes » qui parsèment le chemin de la réflexion.

« Bataille entre Eros et Thanatos » 

Le président de la République « a joué le rôle de chef d’orchestre pour recueillir l’avis de chacun » note le Dr Haliouli. Il a écouté, pris des notes, donné la parole, et a conclu le dîner sans annonces, mais en listant certaines pistes consensuelles comme la formation à la prise en charge de la douleur ou le développement des soins palliatifs, y compris à domicile et en Ehpad. Préférant les questions, il a évoqué la « bataille entre Eros et Thanatos » sans donner d’indices sur son intime conviction.

« On ne s’attendait pas à ce qu’il donne raison à l’un ou à l’autre ou dévoile une position. Il a défini les enjeux du débat et je pense qu’il les a compris » note Jean Leonetti. Selon le rabbin Korsia, « rien n’est encore décidé ».

Lors de la soirée, une lettre d’une personne handicapée, « Non, Monsieur le président, l’euthanasie n’est pas un soulagement »[1], a par ailleurs été remise à Emmanuel Macron qui a répondu qu’il allait la lire.

 

[1] La lettre, écrite par Marie-Caroline Schürr, a été publiée dans le magazine Ombres et lumière

Source : Le Figaro, Agnès Leclair et Jean-Marie Guénois (10/03/2023)

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