« Métavers » : réalité virtuelle mais risques bien réels

Publié le 22 Nov, 2021

Le 28 octobre, le groupe Facebook a annoncé changer de nom et devient Meta, « un geste stratégique soulignant sa volonté de faire du métavers sa nouvelle priorité ». Une priorité à laquelle l’entreprise prévoit de consacrer « plusieurs dizaines de milliards de dollars par an ». Et côté recrutement, Meta doit embaucher 10 000 personnes sur le sujet en cinq ans. Uniquement pour l’Europe.

Le métavers est une « doublure digitale du monde réel », un « univers virtuel » connecté à l’univers réel. Les utilisateurs, après avoir créé leur « avatar personnalisé », pourront y « interagir en temps réel avec d’autres personnes », au moyen de « casques de réalité virtuelle munis de capteurs et de manettes », de « combinaisons haptiques permettant de ressentir les contacts physiques », ou encore de lunettes de réalité augmentée.

De nouvelles expériences

Les applications sont multiples : télétravailler, faire ses courses, ou encore « faire du sport avec un entraîneur » et « organiser une fête d’anniversaire avec des proches habitant à l’autre bout de la planète ».

« L’utilisateur va pouvoir vivre des expériences émotionnelles très fortes, qui vont bouleverser ses codes », prévient Laurence Devillers, professeur en informatique appliquée aux sciences sociales, au CNRS et à l’université Paris-Sorbonne 4, qui rappelle l’expérience de cette mère coréenne « qui a pu revoir sa fille décédée via la réalité virtuelle » (cf. Réalité augmentée : une mère coréenne entre virtuellement en contact avec sa fille morte). « Puisque nos données numériques perdurent après nous, il est possible d’imaginer la multiplication d’expériences de ce genre », estime-t-elle.

Un nouveau marché porteur ?

« En ce moment, des Gafam aux start-up, en passant par les investisseurs, tout le monde s’intéresse au métavers car ils y voient d’énormes opportunités », affirme l’entrepreneur Carlos Diaz. « Si la Silicon Valley est prête à investir massivement dans le métavers maintenant, c’est en raison de la convergence de plusieurs facteurs, explique-t-il : le perfectionnement des technologies nécessaires à sa réalisation, l’essor de la blockchain et le fait que, depuis le Covid et les confinements, les gens sont de plus en plus actifs en ligne et consommateurs de réalité virtuelle ».

De son côté Microsoft a choisi de lancer « Mesh » le 2 novembre dernier. « Une nouvelle fonctionnalité de la plateforme de travail en équipe Teams qui devrait permettre l’an prochain à ses utilisateurs d’apparaître lors de réunions sous la forme d’avatars ».

Des conséquences sur l’environnement

Créer ces « univers virtuels persistants » requiert la construction « de nouveaux centres de données partout dans le monde », pointe Manuel Bronstein, responsable produits chez Roblox, une plateforme de jeux (cf. L’intelligence artificielle, une expérience énergivore).

Et les « trois quarts de l’impact environnemental du numérique résident dans la fabrication des équipements, très loin devant le stockage des données », souligne Frédéric Bordage, créateur de Green IT et spécialiste en « sobriété numérique ». En conséquence, « demain, la réalité virtuelle et des équipements que l’on n’imagine pas encore vont accentuer la pollution liée à l’extraction et à la transformation de matériaux rares », alors que « ces composants sont aussi utilisés dans le secteur médical ». « Est-il vraiment raisonnable d’utiliser ces ressources limitées pour des casques de réalité virtuelle plutôt que des IRM ? », interroge-t-il.

Une réalité virtuelle, des risques réels

Avec le métavers « l’interaction change de nature », alerte Laurence Devillers. Elle devient « sensorielle, ressentie dans la chair ». « Il n’est plus question de données personnelles, mais de données comportementales. C’est votre corps qui réagit ».

Et alors que « les risques de manipulation émotionnelle sont bien perçus aujourd’hui, notamment les addictions aux jeux vidéo » et que des biais apparaissent déjà avec internet –« les gens interagissent sept fois plus avec les contenus négatifs », « comment être calme, posé et rationnel dans un environnement qui joue en permanence sur vos émotions, se modélise par rapport à vos interactions, où toutes les images sont manipulées ? », interroge le professeur. Et « dans ce système où vous évoluerez en tant qu’avatar, vous devrez être en mesure de savoir avec qui vous interagissez : est-ce qu’il s’agit de vraies gens ou d’artefacts ? » Il est essentiel que les utilisateurs comprennent l’enjeu de leurs interactions, savoir comment le système se modifie et s’adapte à leur personne, estime le chercheur.

Fixer des règles en amont ?

« Nombre d’anciens de la Silicon Valley expliquent que les technologies qu’ils ont créées les ont dépassés, rappelle Laurence Devillers. Ils fustigent le manque de recherche sur leurs implications. » Pour elle, « il faut changer l’essence de cette technologie ou l’arrêter ».

« Si on doit vivre ensemble sur cette plateforme, il faut absolument fixer des règles en amont. C’est pour cela qu’il faut que les gens se réveillent et participent à la réflexion », estime-t-elle. Car « sans garde-fous, le réseau ne sera piloté que par des gens qui ne cherchent qu’une chose : capter l’attention pour vendre des publicités ». Au troisième trimestre 2021, Facebook a enregistré un chiffre d’affaires de 29 milliards de dollars. En « hausse de 35% ». « De plus en plus ciblée grâce aux progrès de l’intelligence artificielle », la publicité est vendue « de plus en plus cher » et « constitue l’essentiel des revenus du groupe ».

 

Sources : La Croix, Noémie Taylor-Rosner (21/11/2021) ; Audrey Dufour (21/11/2021) ; Laurence Devillers interrogée par Pierre-Henri Girard-Claudon (22/11/2021) – Photo : iStock

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