Une thérapie génique sous forme de pommade

Publié le 23 Mai, 2023

Vendredi, la Food and Drug Administration des Etats-Unis a approuvé une thérapie génique pour les patients atteints d’épidermolyse bulleuse dystrophique[1]. Cette maladie héréditaire rend la peau si fragile que les enfants qui en sont atteints sont appelés « enfants papillons ». Il s’agit de la première thérapie génique qui peut être appliquée à l’extérieur du corps du patient, ainsi que la première destinée à être utilisée sur une même personne de manière répétée.

Un traitement à renouveler

Antonio Vento a 13 ans. Son corps ne produit pas le type de collagène qui maintient les couches de la peau ensemble. Il en résulte des plaies chroniques sur toute la peau, mais aussi à l’intérieur de la gorge et parfois sur les yeux. Il fait partie des patients qui ont participé en 2022 à l’essai clinique du Vyjuvek [2] mis au point par la startup Krystal Biotech. Il introduit le « gène manquant » dans les cellules de la peau pour qu’elles puissent produire du collagène.

Le traitement a fait disparaître une grande plaie sur le talon d’Antonio, et d’autres se réduisent. Mais « ce n’est pas une guérison définitive », précise sa mère, Yunielkys Carvajal. En effet, les cellules de la peau sont constamment renouvelées et les nouvelles cellules présentent le même « défaut génétique ». Ainsi, la thérapie doit être réappliquée par une infirmière ou un médecin une fois par semaine.

La famille a continué à participer à l’étude clinique, qui s’est poursuivie dans une phase ouverte permettant aux volontaires de continuer à accéder au traitement. A chaque visite, on leur procure huit doses de pommade et ils décident de l’endroit du corps d’Antonio où l’appliquer. « Si c’était possible, nous en prendrions plus », affirme sa mère.

Ce qui se passera ensuite, lorsque le médicament devra être acheté, reste une question ouverte pour la famille. La société n’a pas encore précisé le coût du traitement. D’autres thérapies géniques ont atteint des « prix record ». Le plus élevé, pour l’hémophilie B, est de 3,5 millions de dollars (cf. La FDA approuve une thérapie génique contre l’hémophilie).

Une thérapie innovante

Cette nouvelle stratégie d’administration est déjà examinée pour traiter d’autres affections cutanées rares. Une thérapie génique à inhaler pour traiter la mucoviscidose est également à l’étude.

Depuis 2017, la FDA a approuvé cinq thérapies géniques pour des maladies héréditaires rares – celle de Krystal sera la sixième – et quelques autres pour traiter des cancers du sang (cf. Dystrophie musculaire : une thérapie génique approuvée par les experts de la FDA). Toutes ces thérapies sont administrées par injection ou en modifiant les cellules immunitaires à l’extérieur du corps.

La société Krystal a également « démontré la polyvalence de son approche » en développant une version du médicament sous forme de gouttes pour les yeux à la demande de l’ophtalmologiste d’Antonio, Alfonso Sabater, directeur du laboratoire d’innovation cornéenne à la faculté de médecine de l’université de Miami. « Je pense que c’est aussi la première fois qu’il existe une thérapie génique pour la cornée, et la première fois qu’elle est administrée sous forme de gouttes pour les yeux », a déclaré le médecin.

Des limites ?

Denitsa Milanova, fondatrice d’une jeune entreprise de Boston, Marble Therapeutics, qui travaille également sur la thérapie génique s’inquiète de « la durabilité du traitement », qu’elle estime à « environ deux ou trois mois ».

En outre, elle pense que la pommade ne fonctionne que parce qu’elle est appliquée sur des plaies à vif. « Vous ne pouvez pas appliquer cette pommade sur une peau saine, cela ne fonctionnerait pas », estime-t-elle.

« L’acheminement est le facteur le plus important en médecine génétique », souligne Maxx Chatsko, fondateur de Solt DB, une société d’investissements. Généralement, les thérapies géniques sont acheminées par un virus (cf. Acheminer CRISPR/Cas 9 sans vecteur viral ?). Dans le cas de Krystal, l’entreprise utilise le virus de l’herpès simplex (HSV-1), connu pour provoquer les boutons de fièvre. Très courant, il est « relativement sûr », et présente « l’avantage de contourner naturellement le système immunitaire ».

Un marché, pas seulement médical

Le « remplacement de gènes » pour la peau pourrait également avoir de futures utilisations lucratives dans le domaine des cosmétiques. Une filiale créée par Krystal a commencé à tester une version de la thérapie sur des volontaires, pour tenter de réduire les pattes d’oie et autres rides causées par la diminution de la production de collagène par l’organisme avec l’âge[3].

La filiale, baptisée Jeune, se présente comme une « société d’esthétique basée sur les gènes ».

Complément du 25/07/2023 : Grâce à la thérapie génique qu’on lui administre sous forme de gouttes, Antonio, qui a été aveugle d’un point de vue légal pendant la majeure partie de ses 14 ans, peut à nouveau voir.

Le jeune homme avait été opéré en août dernier de l’œil droit, après quoi le Dr Sabater a commencé à le traiter avec les gouttes oculaires. Sa vision est désormais de 20/25. Du côté gauche le traitement a débuté cette année. Son état « s’améliore régulièrement » et sa vision a atteint 20/50.

Antonio se rend à l’institut ophtalmologique pour des contrôles quasi hebdomadaires et reçoit les gouttes une fois par mois.

Selon le Dr Sabater, ces « gouttes oculaires de thérapie génique » pourraient potentiellement être utilisées pour d’autres maladies en modifiant le gène délivré par le virus. Parmi elles, la dystrophie de Fuchs qui touche 18 millions de personnes aux Etats-Unis et représente environ la moitié des greffes de cornée du pays.

 

[1] Elle touche environ 3 000 personnes aux Etats-Unis.

[2] 31 patients atteints d’épidermolyse bulleuse y ont participé, âgés de 1 à 44 ans. On a appliqué la pommade sur leurs plaies les plus graves, tandis qu’un placebo était appliqué sur d’autres plaies, à titre de comparaison.

[3] La peau normale agit comme une barrière. Dans les essais menés par Krystal pour lutter contre les rides, sa thérapie génique est injectée dans la peau à l’aide d’une aiguille.

Sources : MIT Technology review, Antonio Regalado (19/05/2023) ; Medical Xpress, Laura Ungar et Freida Frisaro (24/07/2023) – Photo : Pixabay

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