Thérapie génique : 4 enfants retrouvent l’audition

Publié le 7 Nov, 2023

Lors de l’essai clinique d’une nouvelle thérapie génique, quatre enfants chinois atteints de surdité ont pu entendre à nouveau.

Les résultats de l’étude dirigée par Yilai Shu, chirurgien et scientifique à l’Université Fudan de Shanghai, ont été présentés le 27 octobre lors du congrès de la Société européenne de thérapie génique et cellulaire à Bruxelles. Sur les cinq enfants ayant reçu la thérapie, quatre ont récupéré de l’audition dans l’oreille traitée.

Une « première mondiale »

« Nous étions prudents, et un peu nerveux, parce que c’était une première au monde » explique le chirurgien qui a commencé les traitements sur l’homme en décembre dernier.

Les chercheurs ont utilisé un « virus inoffensif » portant l’ADN d’une copie fonctionnelle du gène de l’otoferline (OTOF [1]) qu’ils ont injecté dans la cochlée, une partie de l’oreille interne. Le gène étant de trop grande taille, les scientifiques ont dû le diviser en deux parties. Une fois dans l’oreille, les deux sections d’ADN se sont recombinées pour former un gène complet capable de produire la protéine otoferline manquante, explique le Dr Shu.

« Cette technique n’est généralement pas pratiquée cliniquement, car le processus de recombinaison peut être plutôt inefficace » indique Nicole Paulk, PDG de Siren Biotechnology et experte du type de virus utilisé. « Si les données qu’ils ont décrites [sont] vraies, alors c’est un résultat fantastique », commente-t-elle.

L’enfant chez qui la thérapie s’est révélée inefficace pourrait avoir été déjà immunisé contre le type de virus utilisé pour administrer le traitement, suggèrent les scientifiques.

« Ils peuvent entendre un discours presque normal »

Suite à la thérapie, l’ouïe de quatre enfants s’est améliorée. « Ils atteignent peut-être 60 % à 65 % de l’audition normale », indique le Dr Yilai Shu. « Avant le traitement, si vous les mettiez dans une salle de cinéma avec le son le plus fort, ils ne l’entendaient pas » précise le Dr Zheng-Yi Chen, professeur agrégé à Mass Eye and Ear, un hôpital dépendant d’Harvard qui a aidé à concevoir l’étude. « Maintenant, ils peuvent entendre un discours presque normal » ajoute le scientifique.

Leurs parents ont également noté des changements de comportement. D’après le Dr Shu, un enfant qui n’avait jamais parlé a commencé à dire « baba » et « maman » depuis son traitement. Le Dr Shu considère ainsi que les enfants devraient, idéalement, être traités vers l’âge d’un an, une étape clé dans le développement de la parole.

Une forme rare de surdité

La thérapie ne concerne qu’une forme spécifique de surdité. Elle ne s’applique en effet qu’aux personnes présentant une anomalie du gène codant l’otoferline. Ces anomalies sont à l’origine d’environ 1 à 3 % des cas de surdité congénitale.

Bien que relativement rare, ce type de surdité a été ciblé car les cellules ciliées auditives répondent relativement bien à la thérapie génique et absorbent facilement le nouvel ADN. En outre, ces cellules ne grandissent pas, et ne sont pas remplacées au cours de la vie. Lorsque le gène de « remplacement » est ajouté aux cellules, il peut ainsi rester actif toute la vie. A l’heure actuelle, les chercheurs ne savent cependant pas encore combien de temps l’effet persistera.

Une meilleure audition que les implants

Yiyi est l’un des enfants ayant bénéficié de la thérapie génique. Née totalement sourde, comme plusieurs des enfants de l’essai, elle avait jusque-là un implant cochléaire [2]. Avec son implant dans l’oreille droite, Yiyi a appris à parler. En revanche, lorsqu’elle le débranche, « elle n’entend rien du tout » explique sa maman.

Après le traitement, qui a été placé dans son autre oreille, Yiyi a pu entendre naturellement avec l’oreille traitée en moins d’un mois. « Je n’arrive toujours pas à croire que cela a fonctionné » témoigne sa maman.

Le Pr Zheng-Yi Chen pense que la thérapie génique pourrait offrir une meilleure audition que ce qui peut être obtenu avec un implant. « Les implants cochléaires sont les prothèses neurales les plus performantes jamais développées » indique-t-il, mais ils ont des limites. Jusque-là, aucun médicament, quel qu’il soit, n’a été permis d’améliorer l’audition.

D’autres essais cliniques

Les scientifiques chinois ne sont pas les seuls à travailler sur ces thérapies. Akouos, une filiale d’Eli Lilly, et Decibel Therapeutics, de Regeneron Pharmaceuticals, deux sociétés de biotechnologies occidentales, ont également lancé des essais cliniques pour des thérapies géniques ciblant le gène de l’otoferline.

L’essai soutenu par Decibel a été lancé au Royaume-Uni en Octobre. Il est conduit par le professeur Manohar Bance, chirurgien de l’oreille au Cambridge University Hospitals NHS Foundation Trust. Jusqu’à 18 enfants participeront à cette étude à l’hôpital Addenbrooke de Cambridge, mais aussi en Espagne et aux Etats-Unis. Les chercheurs les suivront pendant cinq ans, mais les premiers résultats devraient être publiés en février 2024.

Bien que la thérapie génique cible actuellement une forme rare de surdité, les scientifiques pensent que ces études pourraient ouvrir la voie à la restauration de l’audition pour d’autres formes de surdité congénitale.

Complément du 23/01/2024 : Une entreprise française, Sensorion [3], a obtenu l’autorisation de tester la thérapie génique [4] qu’elle développe sur des bébés de 6 à 31 mois nés sourds. Cette autorisation a pour le moment été délivrée pour la France, l’Allemagne et l’Italie. La biotech présentera ses premiers résultats lors du congrès mondial d’audiologie qui se tiendra à Paris cette année.

Pour ces essais cliniques, Sensorion va recruter 12 enfants. « Un premier dosage sera testé sur trois enfants, puis un second dosage plus fort sur trois autres afin de déterminer le dosage à retenir pour une troisième cohorte de six enfants », précise Nawal Ouzren, directrice générale de la société.

Sensorion développe une seconde thérapie qui vise le gène GJB2. Celle-ci « concerne 50 % des surdités de naissance, soit au moins 20.000 bébés par an en Europe et aux Etats-Unis, indique Nawal Ouzren. L’objectif est de demander une autorisation d’essai clinique en 2025 ».

Complément du 25/01/2024 : Dans un communiqué du 23 janvier, l’hôpital pour enfants de Philadelphie (CHOP), aux Etats-Unis, a annoncé qu’un de ses patients, Aissam Dam, âgé de 11 ans et « né sourd profond » à cause un gène défectueux empêchant la production d’otoferline, entendait « pour la première fois de sa vie » grâce à une thérapie génique inédite. « La thérapie génique que nous avons appliquée à notre patient visait à corriger l’anomalie d’un gène très rare, mais ces études pourraient ouvrir la voie à une utilisation future pour plus de 150 autres gènes responsables de la perte auditive chez l’enfant » explique le communiqué. 

 

[1] Sans otoferline, les cellules ciliées, présentes dans l’oreille interne, ne peuvent pas transmettre les sons au cerveau.

[2] Un dispositif électronique qui utilise un récepteur et des électrodes pour stimuler l’audition en puisant directement dans le nerf auditif principal

[3] Sensorion est partenaire de l’Institut de l’Audition, « un pôle d’excellence au niveau mondial dépendant de l’Institut Pasteur »

[4] La traitement, SENS-501, sera injecté directement dans l’oreille interne de l’enfant avec une « surdité DFNB9 », liée au gène de l’otoferline.

Sources : MIT, Antonio Regalado (27/10/2023) ; BioNews, Charlotte Doré (23/10/2023) ; Les Echos, Myriam Chauvot (19/01/2024) ; APHP (22/01/2024) ; AFP (23/01/2024) – Photo : Pixabay

Partager cet article

Synthèses de presse

Fin de vie : « Les propos décomplexés faisant l’éloge de "l’aide à mourir" sont dangereux et erronés »
/ Fin de vie

Fin de vie : « Les propos décomplexés faisant l’éloge de “l’aide à mourir” sont dangereux et erronés »

Dans une tribune, un collectif de psys réagit aux propos du président de la mutuelle MGEN qui énonçait que « le ...
Ohio : mère de trois enfants, mère porteuse de huit autres
/ PMA-GPA

Ohio : mère de trois enfants, mère porteuse de huit autres

Une femme de l’Ohio a donné naissance à des bébés en 2011, 2013, 2014, 2015, 2017, 2018, 2021 et 2022 ...
Des souris dotées d’un « cerveau hybride » détectent les odeurs avec leurs neurones de rat

Des souris dotées d’un « cerveau hybride » détectent les odeurs avec leurs neurones de rat

Des chercheurs de l'Université de Columbia ont créé des souris dotées d'un « cerveau hybride - mi-souris, mi-rat » ...

Textes officiels

Fiches Pratiques

Bibliographie

Lettres