Aux Etats-Unis, deux bébés sont nés après une fécondation in vitro (FIV) réalisée avec un robot pour injecter un spermatozoïde [1]. Ce seraient les premiers.
L’injection du spermatozoïde à l’intérieur de l’ovule a été faite par un ingénieur « sans réelle connaissances en médecine de la fertilité ». Il a utilisé une manette de PlayStation 5 pour positionner une aiguille contenant un spermatozoïde, et a fécondé ainsi plus d’une douzaine d’ovules. Habituellement, ce processus est effectué manuellement par des embryologistes. Un travail « fastidieux et délicat ».
Après le transfert d’embryons ainsi conçus, deux patientes sont tombées enceintes et deux petites filles sont nées, indique Jenny Lu, coordinatrice du don d’ovocytes à la clinique New Hope Fertility Center de New York. Dans les deux cas, des ovocytes de donneuses ont été « fournis gratuitement » pour réaliser la FIV.
« Une première étape vers l’automatisation de la fécondation in vitro »
Overture Life, la start-up espagnole qui a développé le robot, a levé environ 37 millions de dollars auprès d’investisseurs. Elle considère que son dispositif est « une première étape vers l’automatisation de la fécondation in vitro », et qu’il pourrait rendre la procédure « moins coûteuse et beaucoup plus courante qu’elle ne l’est aujourd’hui ».
Selon cette société, l’objectif principal des FIV automatisées est simple : « faire beaucoup plus de bébés ».
Environ 500 000 enfants naissent actuellement par FIV dans le monde chaque année (cf. Suisse : de plus en plus de bébés nés par FIV). Cela pourrait être beaucoup plus. Certains investisseurs sont presque certains que l’industrie de la FIV pourrait atteindre cinq ou dix fois sa taille actuelle.
« Un petit pas » seulement ?
II ne sera toutefois pas facile d’automatiser complètement la FIV. Il s’agit en effet d’une procédure complexe nécessitant une douzaine d’étapes. Le robot d’Overture Life n’en effectue pour le moment qu’une, et seulement partiellement.
« Le concept est extraordinaire, mais c’est un petit pas » estime Gianpiero Palermo, médecin spécialiste de la fertilité au Weill Cornell Medical Center, qui note que les chercheurs d’Overture Life ont toujours recours à une assistance manuelle pour certaines tâches. « Ce n’est pas encore une ICSI robotique, à mon avis » analyse-t-il.
D’autres médecins doutent que les robots puissent, ou doivent, bientôt remplacer les embryologistes. Selon Zev Williams, directeur de la clinique de fertilité de l’Université Columbia, « les hommes sont bien meilleurs qu’une machine ». Son centre a développé un robot ayant un objectif plus limité : distribuer de minuscules gouttelettes de milieu de croissance pour que les embryons puissent y grandir. Distribuer « les mêmes gouttes encore et encore, c’est là que le robot peut briller », une façon « à faible risque » d’introduire l’automatisation, estime le chercheur.
« Il faut que ce soit moins cher »
Overture Life ne compte pas s’arrêter là, et a déposé une demande de brevet concernant une « biopuce » pour un dispositif de FIV miniature. « Une boîte où le sperme et les ovocytes entrent, et un embryon sort cinq jours plus tard », explique Santiago Munné, généticien et directeur de l’innovation de la société espagnole.
Selon lui, si la FIV pouvait être effectuée avec sa « biopuce », les patientes n’auraient peut-être pas besoin de se rendre dans une clinique spécialisée, où chacune des tentatives de grossesse peut coûter 20 000 $ aux Etats-Unis. « Il faut que ce soit moins cher. Et si un médecin pouvait le faire, ce serait le cas », déclare-t-il.
« Micro-berceaux » et système de collecte automatisés ?
La société n’est pas la seule à s’intéresser à ce domaine. Plusieurs start-ups cherchent à automatiser les différentes étapes de la FIV.
Fertilis, une start-up australienne, a ainsi levé quelques millions de dollars pour imprimer en 3D ce qu’elle appelle des « micro-berceaux ». Ils permettraient de manipuler plus facilement les ovocytes et d’être connectés à d’autres dispositifs.
Jeremy Thompson, l’embryologiste qui a fondé la société, espère qu’un jour, lorsque les médecins prélèveront des ovocytes dans les ovaires d’une femme, ils seront déposés directement dans un « micro-berceau » et, de là, seront « maternés par des robots jusqu’à ce qu’ils deviennent des embryons en bonne santé ». « C’est ma vision », explique-t-il.
Une autre entreprise, AutoIVF, a remporté plus de 4 millions de dollars de subventions fédérales pour développer un système de collecte d’ovocytes appelé « OvaReady ». Des documents suggèrent que la société teste un dispositif capable de repérer et d’isoler les ovocytes, puis de les « nettoyer », ce qui est actuellement fait manuellement par un embryologiste.
De son côté, pour aider les médecins à « choisir le bon spermatozoïde », Alejandro Chavez-Badiola, un médecin spécialiste de la fertilité basé au Mexique, a créé IVF 2.0, une entreprise qui a développé un logiciel de reconnaissance d’images pour classer et analyser les spermatozoïdes. « Nous ne prétendons pas que c’est mieux qu’un homme, mais nous prétendons que c’est tout aussi bon. Et il ne se fatigue jamais » fait remarquer le médecin. De tels logiciels seront « les cerveaux qui commanderont les futurs laboratoires automatisés », avance-t-il.
Réduire les coûts
La plus récente de ces start-ups est Conceivable Life Sciences. Jacques Cohen, un embryologiste qui a récemment rejoint l’entreprise, envisage de créer, d’ici la fin de l’année, une « station de travail » robotique capable de féconder des ovules et de cultiver des embryons. Il admet toutefois que l’automatisation pourrait prendre un certain temps pour devenir réalité. « Cela se fera étape par étape » précise-t-il.
Aux Etats-Unis, la naissance d’un bébé après une FIV coûte en moyenne 83 000 $. L’objectif de Conceivable Life Science est de réduire les coûts de 70%, ce qui pourrait être atteint en augmentant les taux de réussite, espère l’entreprise.
Il n’est cependant pas certain que la robotisation réduira le coût de la FIV, ni que les économies seront ensuite répercutées sur les patients (cf. Le business de la FIV : les ovocytes humains devenus une marchandise). En outre, l’automatisation ne résoudra pas tous les problèmes pour lesquels les FIV échouent, notamment celui du vieillissement des ovocytes.
De dangereuses perspectives
« Nous allons voir une évolution de ce qu’est un embryologiste » prédit Kathleen Miller, scientifique en chef d’Innovation Fertility, une chaîne de cliniques. « À l’heure actuelle, ce sont des techniciens, mais ils vont devenir des spécialistes des données ».
Il existe aussi des perspectives encore plus dangereuses. L’automatisation de la FIV pourrait accélérer l’introduction de techniques controversées comme l’édition du génome (cf. Edition du génome : un troisième sommet international). Même si son directeur de l’innovation, Santiago Munné, affirme qu’Overture Life n’a pas l’intention de modifier le génome des enfants à naître, il admet qu’il serait simple d’utiliser un robot dans ce but.
Les « appareils de fertilité » pourraient aussi progressivement évoluer vers des utérus artificiels (cf. Des chercheurs développent un utérus artificiel géré par une IA). « Je crois que nous allons y arriver », annonce d’ailleurs Jeremy Thompson. « Il existe des preuves crédibles que ce que nous pensions impossible n’est pas si impossible » (cf. Du concept à la pratique, de la dystopie à la réalité). Certains imaginent même pouvoir créer un jour une nouvelle société d’êtres humains sur de lointaines planètes en envoyant dans l’espace ces nouvelles machines…
Complément du 07/09/2023 : Les chercheurs d’Overture Life et du New Hope Fertility Center ont publié leurs travaux dans la revue Reproductive BioMedicine Online. Pour la rédactrice en chef de la revue, Mina Alikani, la prochaine étape sera « l’automatisation complète non seulement de l’ICSI, mais aussi d’autres procédures de laboratoire, dans un souci de cohérence, de normalisation et d’élargissement de l’accès ».
[1] Il s’agit d’un type particulier de FIV : l’ICSI, injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde, dans lequel un seul spermatozoïde est injecté dans l’ovule.
Sources : MIT Technology Review, Antonio Regalado (25/04/2023) ; Bioedge, Michael Cook (06/09/2023)