Le 9 mai, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et le Comité national pilote d’éthique du numérique (CNPEN) ont rendu public un avis commun relatif aux plateformes de données de santé [1]. En effet, « dans un cadre réglementaire encore balbutiant », le sujet pose de « nombreuses questions éthiques ». Les instances s’en sont auto-saisies.
Car de Doctolib à Mon Espace santé, les plateformes de données de santé (PDS) font désormais partie du quotidien des Français. Et suscitent l’intérêt des investisseurs.
L’exemple de la radiologie
« Après les cliniques privées, les EHPAD, et plus récemment les plateformes de biologie, largement acquis par des groupes financiers relevant de fonds d‘investissements internationaux, les radiologues du secteur libéral, avec leurs plateaux techniques d’imagerie médicale font l’objet de propositions d’acquisition massive par des investisseurs, dont l’offre financière attrayante masque bien des incertitudes et des risques. » Ce constat inquiète les comités d’éthique.
En effet, ces contrats, « à multiples étages sur le fond et la forme », induisent « une dérèglementation des professions réglementées avec des risques avérés de perte d’autonomie décisionnelle et d’orientation d’activités vers des examens rentables, simples et modélisés ». Dès lors les professionnels peuvent-ils rester indépendants ? En outre, ces contrats mettent aussi en jeu le libre choix des patients « par la signature de clauses d’exclusivité entre le groupe et certaines cliniques privées ou plateformes de téléradiologie (y compris à l’étranger) ». « Les patients pourraient ne plus avoir accès à un spécialiste qu’ils ont choisi ou que leur conseille leur médecin », pointe l’avis.
En matière de données, le CCNE et le CNPEN alertent : « la propriété des données massives d’imagerie de patients possiblement interprétées, stockées et exploitées à l’étranger (dans le cadre de réseaux de téléimagerie) » doit être clarifiée. Car elles pourraient « échapp[er] à tout contrôle, malgré le financement par les fonds publics de l’Assurance Maladie de ces examens, et compte tenu de la sensibilité des données diagnostiques et thérapeutiques personnelles qu’elles contiennent ».
La question du consentement
Mais le premier contrôle n’est-il pas à exercer par le patient lui-même ?
En France, l’Assurance maladie a choisi une « stratégie opt-out » en matière de consentement. Autrement dit, l’adhésion explicite des personnes n’est pas requise : « tant qu’elles ne disent pas non, on peut considérer qu’elles sont d’accord ».
C’est aussi cette « stratégie » qui a été adoptée par Mon espace santé (cf. « Mon espace santé » : le lancement du dossier médical numérique sous consentement présumé). Alors que l’initiative qui l’a précédé, le « Dossier Médical Partagé (DMP) »[2], se fondait, elle, sur un consentement explicite[3].
« Il apparaît que de nouvelles formes de consentement dynamique sont nécessaires dans la mesure où les données stockées dans les plateformes sont susceptibles d’être utilisées à d’autres fins que celle pour laquelle la personne a initialement donné son consentement », relève l’avis. Ainsi, sur ce sujet, les comités d’éthique recommandent de « promouvoir une forme consentement qui préserve le lien entre la personne qui donne son consentement et celle qui le reçoit, de façon que la personne puisse consentir en confiance à des types de projets (et non pas des projets spécifiques) en étant informée de manière transparente et régulière sur les projets et les partenariats qui utiliseront ses données » (cf. « Mon Espace Santé » s’ouvre au secteur privé). Mais aussi d’« accompagner la mise en œuvre de l’altruisme en matière de données de santé ».
21 recommandations
Au total, les deux comités formulent 21 recommandations : en matière de partage des données, de leur anonymisation, mais aussi de souveraineté ou encore d’impact environnemental (cf. L’intelligence artificielle, une expérience énergivore).
Le CCNE et le CNPEN insistent sur le fait que « les données de santé ne sont pas des biens marchands mais des attributs des personnes et que par conséquent elles ne peuvent faire l’objet d’un commerce à moins d’être anonymisées » (cf. Données de santé : le patient devenu produit). « Sachant qu’actuellement aucun procédé d’anonymisation n’est certifié », relèvent-ils.
Le sujet est complexe, les enjeux, notamment financiers, importants. Et la population « peu sensible à ces questions ». Pour le moment ?
[1] Plateformes de données de santé : enjeux d’éthique. Avis commun du CCNE et du CNPEN, Avis 143 du CCNE, Avis 5 du CNPEN. Février 2023.
[2] Mon espace santé remplace le DMP depuis le 1er juillet 2021.
[3] stratégie opt-in