Lundi, la sémantique était encore au menu des discussions des députés examinant le projet de loi relatif à la fin de vie. Dans la soirée, ils se sont attaqués au titre II, relatif à l’« aide à mourir », qui compte 17 articles sur les 21 du texte. En rejetant tous les amendements de suppression du titre II, par 90 voix contre 64, les députés présents sur les bancs toujours clairsemés ont confirmé leur volonté de légaliser l’« aide à mourir ».
Il faut dire la vérité aux Français. Tel était le leitmotiv des députés hier. Encore faudrait-il qu’ils se mettent d’accord sur la vérité à ne pas cacher. « Dans la sédation profonde et continue, où la personne finit par mourir d’une autre cause que sa maladie initiale : n’est-ce pas une forme d’euthanasie ? » interroge François Gernigon (Horizons et apparentés), alors que Annie Genevard (LR) dénonce, elle, le « mensonge par omission » de l’« aide à mourir ».
Pousser vers la sortie dès l’entrée en EHPAD ?
Lundi 3 juin, les débats commencent par de la question des directives anticipées lors de l’entrée d’un résident en EHPAD. « Il ne faut pas avoir une frilosité à parler de fin de vie », estime Jérôme Guedj (Socialistes et apparentés).
Le député écologiste Sébastien Peytavie considère qu’à l’entrée d’un nouveau résident, il serait nécessaire de remettre « un livret de sensibilisation facile à lire et à comprendre sur les droits en matière de soins d’accompagnement et de fin de vie et une information sur la possibilité de rédiger ses directives anticipées ou de les actualiser ». Un « manque total d’humanité » pour Annie Genevard (LR).
Les amendements visant à rendre systématique l’information et l’actualisation des directives anticipées à l’entrée en EHPAD sont finalement rejetés.
Une commission de contrôle pour les sédations profondes et continues
« Le grand acquis de la loi Claeys-Leonetti c’est la collégialité », affirme Patrick Hetzel (LR). Ainsi différents députés insistent pour faire préciser dans la loi la procédure de collégialité des médecins, avant une décision d’arrêt de soins ou de sédation profonde et continue. Des amendements LR font ajouter la notion de « pluridisciplinarité » de l’équipe de soignants.
Contre l’avis du rapporteur Renaissance Didier Martin et de la ministre de la Santé Catherine Vautrin, qui estime que « l’avis de la famille intéresse », mais « ne peut pas contribuer à une appréciation médicale », un amendement visant à associer l’avis du médecin traitant et de la famille est adopté.
A l’occasion du vote d’amendements entendant introduire une procédure de « médiation » quand une personne n’est « pas en état d’exprimer sa volonté » et que sa famille « désapprouve la décision motivée de la procédure collégiale de l’équipe médicale », l’affaire Vincent Lambert est évoquée (cf. Emmanuel Hirsch : L’affaire Vincent Lambert, « un échouement éthique et politique dont nous devrions tirer quelques leçons »). Christophe Marion (Renaissance) fait adopter en début de soirée un amendement visant à créer une commission de contrôle et d’évaluation dans le cadre d’un recours à une sédation profonde et continue.
Un nouveau débat sémantique sur l’« aide à mourir »
« Ça ne veut rien dire l’aide à mourir. Tous les soignants aident à mourir (…) sans provoquer la mort », s’indigne, une fois de plus, et comme tant d’autres députés, Philippe Juvin (LR). Astrid Panosyan-Bouvet (Renaissance) interroge ainsi : « De quoi avez-vous peur de ne pas nommer les choses ? Quand on regarde les législations voisines, on parle de suicide assisté, d’euthanasie. Pourquoi voudrait-on s’inventer des termes de fin de vie à la française ? » Dominique Potier (Socialistes et apparentés) affirme quant à lui avec force : « Le métalangage est l’ennemi du langage, qui doit être l’ami de la démocratie. On a un devoir de clarté dans la démocratie, c’est d’utiliser les bons mots ». Le député en profite pour rendre hommage aux deux ministres de la santé, de gauche, François Braun et Claude Evin, qui ont récemment pris position contre l’« aide à mourir »[1] (cf. Remaniement : les deux ministres réticents face à l’euthanasie quittent le Gouvernement).
Emmanuelle Ménard (NI) décrypte : « Emmanuel Macron n’a pas utilisé le mot euthanasie pour ne pas hystériser le débat. L’expression aide à mourir vise à ne pas effrayer les Français, pour garder cette pseudo-adhésion à un projet de loi qui est en réalité très peu connu ».
Le débat dure plusieurs heures et Natalia Pouzyreff (Renaissance) s’agace : « Nous avons eu maintes fois cette discussion sémantique : votre insistance nous questionne sur votre volonté de voir aboutir ce texte ». Sur un sujet aussi grave, la clarté du débat n’est-elle pas pourtant indispensable ?
Un « droit » à mourir rejeté
Bruno Millienne (Démocrate) coupe court : « Ceux qui veulent avoir le choix se foutent complètement de la sémantique, je le dis du plus profond de mon cœur. Et moi aussi je m’en fous ».
De son côté Emeline K/Bidi (GDR – NUPES) va jusqu’à proposer de consacrer un « droit » à l’« aide à mourir ». Le groupe LFI la soutient. « On a entendu parler d’un basculement anthropologique : je ne suis pas d’accord », affirme Maxime Laisney (LFI – NUPES). « On est plutôt dans une légalisation encadrée de ce que font déjà de nombreux médecins, avance-t-il. Le législateur va entériner une évolution sociale, de sortir des pratiques de l’illégalité, et donner un droit nouveau à chacun de disposer de son corps. Ça me fait penser au débat sur l’IVG. » « Dans la loi actuelle, il n’y a qu’une seule option philosophique reconnue. Nous proposons qu’il y ait un droit à une option supplémentaire : que le patient puisse choisir d’éteindre la lumière », conclut le député. Sans convaincre, car l’amendement 2129 est rejeté.
Entre suicide et suicide assisté, les soignants face à une injonction paradoxale
Emilie Bonnivard (LR) alerte : « Vous allez mettre l’hôpital dans une situation d’injonction paradoxale qui est incompréhensible : obligation de réanimer les suicidés, et euthanasier et permettre le suicide ». S’étant écartée du lexique « autorisé », elle est rappelée à l’ordre par François Gernigon (Horizons et apparentés) : « Il faut faire attention aux mots qu’on utilise. Le mot suicide est un mot violent, une décision solitaire. Et il y a des suicides à l’hôpital. C’est sûr que la famille préfère l’aide à mourir à un suicide ». Le député semble sûr de lui. Pourtant, le recours au suicide assisté n’est-il pas aussi la conséquence d’une « décision solitaire » ? En outre, un suicide est bien sûr traumatisant pour les proches, mais le sera-t-il vraiment moins s’il est « assisté » ? D’autant plus qu’on pourra leur demander d’y contribuer. Les députés l’ont d’ailleurs admis en commission, en votant un accompagnement psychologique pour les proches (cf. Euthanasie, suicide assisté : la commission spéciale adopte le projet de loi « le plus permissif au monde »).
Olivier Falorni, le rapporteur général du texte (Démocrate), intervient en censeur : « Assimiler suicide assisté et suicide, c’est exactement ce que nous ne voulons pas faire. L’aide à mourir, c’est une personne qui veut mourir parce qu’elle va mourir, parce qu’elle a une maladie grave et incurable, parce que son pronostic vital est engagé, parce que cette personne souffre horriblement ». « Nous sommes autant que vous attachés à la prévention au suicide », tente-t-il de faire valoir. Il refuse également que soit évoqué le sujet des personnes vulnérables : « Nous ne voulons pas entendre ces comparaisons malsaines » enjoint-il. Mais Annie Genevard refuse qu’il y ait des « débats interdits ».
Des députés ne s’en sont d’ailleurs pas privés. Emmanuelle Ménard a ainsi fait adopter un amendement destiné à renforcer les dispositions du Code de la santé publique en donnant aux personnes qui ne peuvent pas parler les moyens d’exprimer leur consentement, leur avis et leurs préférences dans les décisions concernant leur santé. Elle cite en particulier les personnes souffrant d’un trouble autistique et les personnes porteuses de trisomie 21. Une évocation saisie par Marc Le Fur (LR) pour mentionner le succès du film Un petit truc en plus et le talent des personnes handicapées.
« C’est à nous d’assurer collectivement cette protection des plus fragiles, assurer les verrous les plus solides », souligne Geneviève Darrieusecq (Démocrate). « Claeys-Leonetti, c’est accompagner et soulager, c’est un soin. Et l’aide à mourir ce n’est pas un soin. La différence doit se faire. ». Elle est rejointe par Soumya Bourouaha (GDR – NUPES) : ce texte « me pose véritablement question sur la société qu’on veut laisser à nos enfants et petits-enfants, déclare la députée. J’ai du mal à imaginer un monde où on autoriserait cette aide à mourir ». Les groupes sont divisés.
L’« aide à mourir » inscrite dans le Code de la santé publique
Soutenu par Dominique Potier, Patrick Hetzel veut expliciter qu’« il n’existe pas de continuum entre les soins palliatifs et le suicide assisté », mais son amendement est rejeté.
L’article 4 quater vise à inscrire l’« aide à mourir » dans le Code de la santé publique. Pour Annie Genevard, cela viendrait en opposition frontale avec la logique du soin qui commence par « primum nocere : d’abord ne pas nuire ». D’ailleurs, comme le souligne Philippe Juvin, l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas, l’Espagne, le Luxembourg n’ont pas fait inscrire l’euthanasie le Code de la santé publique.
Didier Martin veut arbitrer avec des arguments qui laissent perplexe : « L’aide à mourir est un acte, ce n’est plus un soin. C’est au-delà du soin. Un acte qui requiert des compétences médicales. Il faut admettre qu’il n’y a pas que des soins dans la pratique médicale ». Il évoque également les patients qui vont à l’étranger et sont pris en charge par la sécurité sociale.
Finalement, l’article 4 quater est adopté sans modification.
Une définition de l’« aide à mourir » qui pose problème
A 23 h, Monique Iborra (Renaissance) ouvre les discussions autour de l’article 5. Son inquiétude : que les personnes inconscientes ne puissent accéder à l’« aide à mourir ». Radicalement opposé à cette proposition, Christophe Bentz (RN) juge que le projet du Gouvernement est « une loi de rupture avec la grande tradition de soin de notre pays ». « Nous ne pouvons pas légiférer tant que les soins palliatifs ne sont pas accessibles partout pour tous », fait-il valoir (cf. Pas de nouvelle loi avant de développer les soins palliatifs ?). « La Belgique montre que l’euthanasie s’est développée au détriment des soins palliatifs. Il nous faut rester uniquement sur cette voie-là », encourage-t-il.
Pour Annie Genevard (LR), l’article 5 qui se présente comme une définition de l’« aide à mourir » pose trois problèmes. Tout d’abord, il prétend définir l’« aide à mourir », mais sans donner le nom de ce qu’il définit. Elle pointe en outre deux contradictions. L’administration de la substance létale l’est par une personne « désignée » et qui « se manifeste pour le faire », or on ne peut pas être à la fois désigné et se manifester pour le faire. Enfin, alors que la règle se veut le suicide assisté, l’euthanasie étant l’exception, l’article 8 laisse le choix au patient et n’établit pas cette hiérarchie. Ce sera l’euthanasie qui prendra le pas, estime l’élue.
Des enjeux d’humanité
Face à la grandiloquence d’Hadrien Clouet (LFI – NUPES) qui déclare : « Nous entamons la grande tâche historique du mouvement des Lumières qui est de réconcilier ce que l’individu veut de lui avec ce que la loi l’autorise, dès lors que cela correspond à l’intérêt général et que cela ne nuit pas à aucun tiers », Pierre Dharréville (GDR – NUPES) rappelle les vrais enjeux avec gravité. « Nous sommes au point de bascule, après lequel on ne sait plus où s’arrêter. De nombreuses limites ont été dynamités, dénonce-t-il. Il y a des soins qui permettent de faire face aux difficultés de la fin de vie. Mais le débat actuel ne porte pas essentiellement sur les ultimes moments de la vie. La loi initiale était déjà bien au-delà, elle ne concerne plus que ceux qui vont mourir, ceux qui en expriment la volonté. Le débat porte sur notre rapport collectif à la vie. C’est l’ensemble du corps social qui est ici convoqué. »
Dès lors, « il est indispensable d’accepter les interrogations, et c’est l’honneur d’un député de le dire s’il pense qu’on s’engage dans une mauvaise voie, poursuit-il. Il ne s’agit pas simplement de traiter des requêtes individuelles en se disant qu’aux autres cela n’enlèverait rien. Chacun est concerné par la question posée, par le sort de l’autre. Sinon nous ne sommes plus vraiment ensemble, l’humanité ».
Serge Muller (RN) dénonce un texte qui « est un échec de la loi Claeys-Leonetti », à moins que le Gouvernement ait « volontairement décidé de cet échec pour aboutir à ses rêves les plus profonds : libéraliser toujours les fondements de notre société ». Elsa Faucillon (GDR – NUPES) prend la parole « devant les craintes qu’[elle a] entendues sur les personnes vulnérables ». « Agissons sur la solidarité dans notre pays », interpelle-t-elle.
De son côté Emmanuelle Ménard souligne que « la peur de la douleur est au cœur de nos débats » (cf. Souffrir ou mourir, est-ce vraiment la question ?). « Cette peur a son pendant : la façon dont on l’accueille », affirme-t-elle. « Toutes les vies sont dignes, rappelle la députée, notre honneur à nous les biens portants, c’est de tout faire pour que ce soit la souffrance qui soit supprimée et non la personne. » « Vouloir le contraire pour notre société, c’est manquer de courage, d’ambition, de cœur. C’est pourtant dans cette direction que nous entraîne l’article 5, en faisant du suicide assisté et de l’euthanasie une réponse acceptable endossable pour une société qui se refuse à sortir les grands moyens pour faire des soins palliatifs notre grande cause nationale », dénonce l’élue.
Au terme de la séance lundi, il restait encore 2172 amendements à examiner par les députés. Le vote solennel a été repoussé d’une semaine. Cela suffira-t-il ? Sur ce sujet si grave, il semble que les parlementaires veuillent prendre le temps du débat.
[1] Libération, L’aide à mourir «à la française» : une rupture démocratique et éthique (01/06/2024)