L’AMP pose de nouvelles questions éthiques

Publié le 29 Jan, 2008

Alors que l’Agence de la Biomédecine présente aujourd’hui le bilan 2002-2005 de l’assistance médicale à la procréation (AMP), La Croix consacre un dossier aux "nouveaux dilemmes des médecins de l’infertilité".

Les "médecins de l’infertilité" sont de plus en plus souvent confrontés à de nouvelles demandes auxquelles les textes législatifs n’apportent pas toujours de réponse claire. La loi du 6 août 2004 prévoit que l’AMP soit accessible à un couple formé d’un homme et d’une femme "vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans".

Pour Nicolas Foureur, médecin du Centre d’éthique clinique de Paris, "il y a plusieurs raisons à ces nouvelles demandes" : "l’amélioration des techniques bien sûr, qui ouvre le champ des possibles, mais aussi une appréhension différente de la place du patient qui, notamment depuis la loi du 4 mars 2002, a davantage son mot à dire".

Ces demandes "hors normes" relèvent principalement de l’âge des demandeurs : comment interpréter la condition "en âge de procréer" posée par la loi ? Pour les femmes, "il existe un relatif consensus pour ne pas aller au-delà de 43 ans", témoigne Jean-Marie Kunstmann, responsable du Centre d’études et de conservation des œufs et du sperme (Cecos) de Cochin. Si techniquement le don d’ovocytes rend possible des grossesses tardives, la Sécurité sociale ne prend plus en charge la fécondation in vitro (FIV) au-delà de 43 ans.

Concernant les hommes, la question est plus difficile à trancher : "depuis quelques années, ils sont un nombre croissant à demander une congélation de leur sperme vers 60 ou 65 ans" et "aujourd’hui, on se dit qu’il est possible de refaire sa vie après 60 ans, y compris avec un projet parental", explique le Dr Kunstmann.

Que répondre à un couple où l’homme et la femme sont tous deux atteints de mucoviscidose ? A un couple en situation de précarité économique ? De clandestinité ? "Qui peut juger de l’intérêt de l’enfant à naître", s’interroge Nicolas Foureur.

René Frydman, gynécologue obstétricien présenté comme le "père" d’Amandine, premier "bébé éprouvette" français, considère que "l’élément dominant, c’est le risque que présente une éventuelle grossesse, notamment après un certain âge". "Pour le reste, je m’interdis d’entrer dans ce qui fait le désir d’enfant", poursuit-il.

Jean-Noël Hugues, médecin à Bondy, préfère s’en remettre à une décision collégiale prise après un échange entre collègues. D’autres sollicitent volontiers l’avis du Centre d’éthique clinique. Pour tous, "cette aide est précieuse car on se sent souvent seul face à ces questions qui dépassent notre compétence", souligne Jean-Marie Kunstmann. "Dès lors que la technique permet de transgresser les repères naturels, c’est aussi à la société de dire jusqu’où il faut aller."

C‘est ce qui devrait être fait au cours de la prochaine révision des lois de bioéthique, prévue en 2009. Parmi les questions qui devraient être débattues, il y a celle de l’accès à l’assistance à la procréation. La Croix a interrogé Véronique Fournier, médecin et responsable du Centre d’éthique clinique de Cochin et à Sophie Marinopoulos, psychanalyste au CHU de Nantes, sur le sujet.

Pour Véronique Fournier, "cette ouverture éventuelle pose la question importante du financement". Notre système de santé reposant sur des financements publics, la société dispose d’un droit de regard sur ce qu’elle finance et donc sur ce que, en le finançant, elle cautionne. "Si on ouvre largement l’accès à l’AMP, cela signifiera-t-il que la société cautionne cette ouverture et qu’elle est prête à l’assumer financièrement ?" "C’est la logique qui a été retenue jusque là : payer également pour tous à condition qu’ils respectent les règles publiques, sous-entendu les règles de la "moralité" publique." Mais aujourd’hui, pour Véronique Fournier, il est plus difficile de discerner ce qu’il est possible ou non d’imposer au nom de la "moralité" publique : "sur quels arguments éthiques refuser les demandes d’AMP ?", s’interroge-t-elle. "Mais si l’on ouvre l’accès aux AMP, la demande va exploser." "Sommes-nous prêts à l’assumer "moralement" jusqu’à la financer ?" "La question est celle de savoir ce qu’il est "juste" de dépenser au plan éthique pour l’AMP, comparativement aux autres dépenses de santé", conclut-elle.

Sophie Marinopoulos juge que "nous n’aurons pas le choix de nous opposer à un tel élargissement, car il est déjà possible, au-delà des frontières, pour qui le veut, d’obtenir une AMP". Elle propose concrètement d’instaurer une forme d’agrément, comme dans un processus d’adoption. "Assumons donc une position adulte et arrêtons de vouloir, comme les enfants, que tous nos désirs se réalisent. Disons plutôt : "Non, tout n’est pas possible", et créons un espace de réflexion pour les personnes qui ont des demandes hors norme", conclut-elle.

Le quotidien livre enfin le point de vue de l’Eglise catholique qui, depuis Donum Vitae en 1987, s’inquiète de la dissociation entre sexualité et procréation engendrée par l’AMP. "En substituant un acte technique à l’étreinte des corps, on pervertit la relation à l’enfant : celui-ci n’est plus un don mais un dû", explique Mgr Jean-Louis Bruguès, secrétaire de la Congrégation romaine pour l’éducation catholique. Autre dissociation dénoncée par l’Eglise : celle des parentés, lorsque l’on fait appel à un tiers donneur de cellule sexuelle. L’insémination artificielle avec donneur (IAD) "lèse les droits de l’enfant, le prive de la relation filiale à ses origines parentales, et peut faire obstacle à la maturation de son identité personnelle". "Il n’est pas indifférent, pour la personnalité de l’enfant, d’avoir été engendré dans une éprouvette", souligne le Père de Longeaux, théologien et prêtre parisien qui anime des sessions pour couples sans enfants.

L‘Eglise met par ailleurs en garde contre "la perte de valeur de l’embryon", du fait de la "réduction embryonnaire" (avortement sélectif pour ne laisser qu’un embryon se développer après en avoir implanté plusieurs) et de la congélation et utilisation des embryons dits "surnuméraires". "Tout se passe comme si l’embryon qui n’est pas porté par un "projet parental" n’avait pas de valeur", remarque le Père de Malherbe, enseignant en bioéthique à l’Ecole Cathédrale. Or, l’embryon est un être humain à part entière et, dès sa conception, "on doit lui reconnaître les droits de la personne, parmi lesquels le droit inviolable à la vie".

La Croix (Marine Lamoureux, Claire Lesegretain, Marianne Gomez) 29/01/08

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