Génome humain et droits de l’homme : Quelles suites au rapport de l’UNESCO ?

Publié le 17 Nov, 2015

Fin septembre, les 36 experts indépendants du Comité international de bioéthique de l’Unesco se réunissaient pour proposer les dernières modifications aux différents rapports rendus public le 5 octobre dernier (cf. Gènéthique du 6 octobre 2015). Gènéthique a rencontré Dafna Feinholz, Chef de la section de bioéthique et éthique des sciences de l’Unesco, pour l’interroger sur l’audience à  accorder au rapport concernant « le génome humain et les droits de l’homme ».

 

Gènéthique : Le CIB se penche depuis deux ans sur les questions liées au génome humain et aux droits de l’homme. Pourquoi ce choix ?

Dafna Feinholz : Les évènements, qui ont eu lieu cette année, notamment concernant les bébés à trois parents (mitochondries) ou encore l’annonce de la possibilité de modifier la lignée germinale de l’homme, ont montré l’urgence d’une réflexion éthique sur ces sujets ainsi que l’importance des travaux entrepris par le CIB sur ces questions. En effet, confrontée à l’avancement rapide des recherches scientifiques et médicales, à l’accélération des découvertes, la réflexion éthique est primordiale. Elle consiste à anticiper les conséquences de ces avancées, notamment au regard des droits de l’homme et des textes internationaux de la bioéthique.

 

G : L’année dernière, Gènéthique vous avait interrogé sur les travaux en cours du CIB (cf. Gènéthique vous informe du 30 septembre 2015) et, sur la question du diagnostic prénatal non-invasif. Aujourd’hui, les experts proposent un texte qui se positionne sur ces sujets. Qu’en est-il précisément ?

DF : Le rapport a souligné combien il était important d’encadrer et d’accompagner les résultats des tests[1]. Mais au-delà, il met en évidence les risques de stigmatisation et de discrimination qui peuvent exister à l’égard des femmes qui refuseraient de pratiquer les tests ou qui choisiraient de garder leur bébé quand les résultats du dépistage d’une maladie sont positifs. Il y a une tension entre le choix individuel et le respect des personnes[2]. C’est en cela, que le CIB met en garde contre les risques d’une sorte d’eugénisme dans la recherche de « l’enfant parfait »[3].

 

G : Les modifications de la lignée germinale ont fait l’objet d’un communiqué de presse du CIB autour de ce rapport. Que demandent les experts ?

DF : Les experts du CIB demandent un moratoire sur l’ingénierie du génome de la lignée germinale de l’homme[4]. Il s’agit d’une demande faite par les scientifiques eux-mêmes qui reflète l’urgence de réfléchir aux conséquences d’une modification de la lignée germinale de l’homme, ainsi qu’aux conséquences de celle-ci pour les générations futures. La position du CIB est double : il ne s’agit pas d’arrêter la recherche, mais de faire une pause et de rappeler que ces recherches doivent s’accompagner d’une réflexion éthique. Il faut s’interroger sur l’ensemble des conséquences qu’elles induisent : sociales, génétiques, culturelles, familiales, individuelles, politiques…

 

G : Pourquoi n’avoir pas élargi le moratoire à la recherche sur l’embryon ?

DF : Il n’y a pas de consensus entre les experts du CIB concernant  la recherche sur l’embryon[5], et notamment sur la question de la destruction des embryons à des fins de recherche, parce que les experts viennent de pays et de cultures différents. Ils ont des avis différents. Dans ce cas, le CIB ne prend pas de décision. Pour cette raison, le moratoire ne concerne que l’ingénierie de la lignée germinale, car les recherches ne se font pas, aujourd’hui, dans des conditions de sécurité suffisantes. Les experts alertent sur les risques évidents de voir ces manipulations modifier l’héritage génétique.

 

G : Que va devenir ce rapport ?

DF : Le CIB est composé de personnes indépendantes nommées sur la base de leur expérience scientifique ou académique. Leur tâche est d’identifier les enjeux éthiques, de donner des avis à la DG de l’UNESCO et par ce biais, aux politiques, aux scientifiques, aux cliniciens, au grand public. Ces rapports veulent notamment aider les leaders politiques ou les scientifiques, à prendre conscience des défis auxquels ces recherches les confrontent. Les experts apportent des éléments de réflexion précieux à la communauté internationale. Le Comité a une vocation au conseil en matière de questions éthiques en rapport avec leur mandat. Dès lors qu’il s’agit d’un Comité composé d’experts indépendants, l’Unesco facilite les conditions de la discussion entre les pays, mais les décisions effectives dépendent des gouvernements et des chercheurs eux-mêmes. Cependant, pour que ces réflexions, ces avis soient traduits dans des lois, les accords sont longs à négocier et risquent d’être contreproductifs. Par exemple, quelles recherches faut-il arrêter ? Sur cette question même, les réponses des experts ne sont pas claires.

 

G : Quelle peut être l’influence de la réflexion contenue dans des rapports du CIB ? Peuvent-ils susciter des prises de conscience ?

DF : L’Unesco aide des pays à mettre en place des Comités de bioéthique nationaux dans le cadre du programme d’Assistance aux Comités de bioéthique (ACB) de l’UNESCO. Les rapports servent de base à la formation donnée aux professionnels lors de la création du Comité de bioéthique national. Des formations sont aussi proposées aux chercheurs, aux personnels de santé, aux journalistes, aux juges… dans le cadre du Programme d’éducation à l’éthique (PEE) de l’UNESCO.

Et au-delà de ces formations, ils permettent de donner des contenus pour aider les décideurs politiques. De fait, certains pays ont modifié des points de leur législation dans le sens des directions proposées par les rapports du CIB.

Par ailleurs, les rapports et les documents émis par l’Unesco, et plus particulièrement par le CIB, sont utilisés comme base de référence. La force d’utilisation de ces textes qui, au départ sont non contraignants pour les Etats, leur donne un caractère normatif : après 10 ans, la déclaration de la bioéthique est un repère à prendre en compte. Pourtant ce n’est qu’une déclaration !

 

Dafna Feinholz

Titulaire d’un doctorat de psychologie de l’université Iberoamericana du Mexique ainsi qu’un Master en bioéthique de l’université Complutense de Madrid, Dafna Feinholz mène à l’Unesco différentes activités visant à renforcer les capacités des Etats membres à gérer les défis de la bioéthique et à identifier les implications éthiques, juridiques et sociales de la science de pointe, des technologies émergentes et de leur application au développement durable. Chef de Section Bioéthique et Ethique des Sciences. Son rôle s’étend à la rédaction des rapports, elle accompagne le travail de réflexion des experts multidisciplinaires et internationaux, fait un travail de soutien, facilite les rencontres.

 

 

[1] Rapport du CIB sur la mise à jour de sa réflexion sur le génome humain et les droits de l’homme :

N° 89 : Il y a risque que les femmes enceintes avec un résultat positif n’attendent pas la validation du résultat par des diagnostics invasifs, mais choisissent immédiatement d’avorter l’embryon ou le fœtus, sans conseils adéquats sur la pertinence de l’anomalie découverte.

http://unesdoc.unesco.org/images/0023/002332/233258F.pdf

 

[2]   Rapport du CIB sur la mise à jour de sa réflexion sur le génome humain et les droits de l’homme :

N°93 : Il est donc important de développer un cadre qui, d’une part reconnaisse le droit d’un individu à faire des choix autonomes, et d’autre part garantisse ce qui est exposé par les Articles 6 et 2 de la Déclaration Universelle sur le Génome Humain et les Droits de l’Homme : que nul ne peut être soumis à la discrimination sur la base de caractéristiques génétiques et que les individus doivent être respectés dans leur singularité et leur diversité.

http://unesdoc.unesco.org/images/0023/002332/233258F.pdf

 

[3]  Rapport du CIB sur la mise à jour de sa réflexion sur le génome humain et les droits de l’homme :

 N°93 : L’ajout d’un grand nombre de choix individuels aux raisons de considérer comme « acceptables » d’avorter certains types d’embryons ou de fœtus produit un phénomène de société qui ressemble à une sorte d’eugénisme dans la recherche de « l’enfant parfait ».

http://unesdoc.unesco.org/images/0023/002332/233258F.pdf

 

[4] Il faut distinguer entre les cellules somatiques et les cellules germinales, afin de comprendre la raison pour laquelle le CIB appelle pour un moratoire sur l’ingénierie du génome de la lignée germinale de l’homme. « Chacune de nos cellules somatiques (qui constituent nos tissus et organes) contient deux copies du génome, une héritée de la mère, une du père. Les cellules germinales sont les précurseurs des gamètes (ovocytes, spermatozoïdes), ces derniers ne contiennent chacun qu’une copie de génome (copie qui est un mélange obtenu par recombinaison des génomes maternels et paternels). Seules les modifications génétiques dans la lignée germinale peuvent être transmises aux générations suivantes. » (Jean-Louis Mandel, « Améliorer l’homme par la génétique ? », Revue d’éthique et de théologie morale 2015/4 (n° 286), p. 25-34. Ainsi, il s’agit d’un appel à un moratoire sur la recherche qui vise la modification des cellules germinales, cette recherche pourrait avoir comme conséquence de modifier le génome humain des générations futures.

 

Rapport du CIB sur la mise à jour de sa réflexion sur le génome humain et les droits de l’homme :

N°118 : Dans ce contexte, le CIB réaffirme la nécessité d’une interdiction du clonage humain à des fins reproductives et recommande un moratoire sur l’ingénierie du génome de la lignée germinale de l’homme. Il n’y a aucun argument médical ou éthique pour soutenir le premier. Quant au second, les préoccupations concernant la sécurité de la procédure et ses implications éthiques sont jusqu’ici prépondérantes. Un débat particulier est soulevé par les nouvelles techniques de prévention des désordres de l’ADN mitochondrial. (…)

 

[5] Rapport du CIB sur la mise à jour de sa réflexion sur le génome humain et les droits de l’homme :

N°106 : La destruction d’embryons impliquée dans certaines de ces techniques ravive la controverse bien connue sur le principe du respect de la vie humaine et sur la question connexe du statut des zygotes, des embryons et des fœtus. Ici, le consensus est impossible à atteindre. D’une part, il y a ceux qui soutiennent que le seuil du “droit à la vie” est atteint seulement à un certain moment de l’évolution de la vie humaine, en fonction de plusieurs considérations sur l’acquisition progressive des caractéristiques essentielles, des traits et des capacités, ainsi que sur la nécessité de concilier ce principe avec une protection de l’autodétermination de la mère. D’autre part, il y a ceux qui soutiennent que le respect inconditionnel est dû dès le début, se fondant sur l’observation que le développement embryonnaire est un phénomène continu ainsi que sur une forte notion du caractère sacré de la vie. Même les religions les plus répandues ne partagent pas la même position.

 

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