L’« aide à mourir » exclue des directives anticipées, pour le moment

4 Juin, 2024

Vendredi 31 mai, quatrième jour de débats, l’Assemblée nationale poursuit l’examen du projet de loi sur la fin de vie.  En cette fin de semaine, Yaël Braun-Pivet, la présidente du palais Bourbon, espère terminer l’examen du titre 1 sur les soins palliatifs. Moins d’une centaine d’élus sont présents, sur les 577 que compte l’Assemblée. Devant un parterre bien vide, la cadence s’accélère. Au fil de la journée, les articles 1ter à 3 ont été tour à tour discutés, puis votés, avec un rythme soutenu (cf. Fin de vie : maisons d’accompagnements, plan personnalisé, les débats se poursuivent sur les soins palliatifs). En début de soirée, la présidente annonce que 2 628 amendements restent à examiner, et 526 l’ont été. Les députés vont désormais s’attacher à l’article 4 sur les directives anticipées. Un autre point clé des débats de cette fin de semaine.

Lever de bouclier contre la demande d’euthanasie via les directives anticipées

Dans la soirée de ce vendredi, les députés s’intéressent à la possibilité de demander l’« aide à mourir » dans les directives anticipées. Une disposition qui avait été ajoutée en commission par Frédérique Meunier (LR) contre l’avis du Gouvernement (cf. Troisième jour de débat : feu vert à l’euthanasie des personnes inconscientes).

Une levée de boucliers a lieu. 33 amendements de suppression ont été déposés comme le relève Christophe Bentz (RN).

La ministre de la Santé, Christine Vautrin, rappelle que la capacité du patient à exprimer sa volonté de façon libre et éclairée, jusqu’au moment du geste létal, est « un point clé du projet de loi ». Or, le recours aux directives anticipées suppose que le patient n’est plus en état de réaffirmer sa volonté à ce moment-là. Elle soutient la suppression proposée. Anne Bergantz (Démocrate) ajoute que l’alinéa 7 de l’article 4 générera « beaucoup de confusions » par rapport aux critères d’éligibilité prévus à l’article 6.

Patrick Hetzel (LR) souligne, quant à lui, qu’un certain nombre de comas peuvent désormais être réversibles (cf. Troubles de la conscience : augmenter les indicateurs pour améliorer le pronostic). Si ces amendements ne sont pas adoptés, « il y aura une ligne rouge supplémentaire de franchie par rapport au texte du Gouvernement » prévient le député.

Ce sera l’amendement 2489 présenté par le Gouvernement qui sera finalement adopté, avec 49 voix contre 13. Cinq autres amendements proposant la suppression de l’alinéa 7 de l’article 4 sont eux aussi adoptés : le 3139 de Christophe Bentz (RN), le 2827 de Didier Martin (Renaissance), le 887 de Thibault Bazin (LR), le 698 de Patrick Hetzel, et le 245 de Annie Genevard (LR).

Un débat qui n’est pas clos

La disposition débattue se situant dans le titre 1 du projet de loi portant sur les soins palliatifs, certains députés ont voté la suppression pour préserver « l’étanchéité totale » entre les titres 1 et 2. Un point sur lequel la ministre insiste une fois de plus. « Plaider l’étanchéité avec un texte unique est difficile et a des limites » rétorque toutefois Sophie Taillé-Polian (Ecologiste – NUPES). « D’ailleurs, vous êtes obligée d’en parler pendant des heures et d’y revenir sans arrêt » lance-t-elle.

Une partie des députés souhaite en revanche ouvrir à nouveau le débat concernant l’euthanasie des personnes inconscientes lors de la discussion de l’article 6 qui précise les conditions pour accéder à l’« aide à mourir ». « On est cohérents, on ne mélange pas les deux titres » explique ainsi René Pilato (LFI – NUPES) qui ajoute : « nous aurons des amendements qui parleront des directives anticipées, mais dans le cadre du titre 2 ». Un point qui promet de nouveaux débats mouvementés.

« On est là pour protéger les personnes »

Autre point épineux de la soirée, l’accès à l’espace numérique et la possibilité pour les proches de modifier les directives anticipées du patient. « On est en train de prendre un risque, il s’agit là d’une ligne rouge pour nous » alerte de nouveau Patrick Hetzel.

« On est là pour protéger les personnes » poursuit Thibault Bazin. « Il ne faudrait pas qu’une personne voie à son insu modifier ses volontés ». « Parfois, il y a des personnes mal intentionnées, il y a d’autres enjeux liés parfois au patrimoine » prévient-il. « Tel que c’est écrit, le risque est trop grand. » « Comment pouvons-nous être sûr qu’il n’y aura pas d’abus de faiblesse ? » interroge Patrick Hetzel.

En réponse, Didier Martin propose l’amendement 2808 afin de limiter les actions que le délégataire pourra réaliser sur l’espace numérique, et d’exclure toute possibilité d’altérer les documents enregistrés par le titulaire. Seule la personne doit pouvoir modifier l’espace numérique de santé. Après un double avis favorable, l’amendement est adopté.

« Sécuriser ce qui est probablement la donnée la plus importante et sensible »

Thibault Bazin s’interroge toutefois sur la notion « d’intégrité d’un document » évoquée par le texte. « Vous voulez vérifier que le document n’a pas été modifié sans autorisation, comment ferez-vous ? » lance le député.

« Monsieur le rapporteur, vous dites que vous allez tenter de sécuriser, ce n’est pas suffisant » considère quant à elle Nathalie Serre (LR). « Avec les risques d’attaque cyber, les 33 millions de données de la Sécurité Sociale qui se sont envolés, on ne peut pas tenter, il faut être absolument certain » (cf. Cyber-attaque : plus de 33 millions de Français concernés). « Il faut sécuriser ce qui est probablement la donnée la plus importante et sensible, en l’occurrence la donnée de santé » insiste à son tour Christophe Bentz. « Il faut protéger ces données qui sont personnelles et ne doivent être modifiées que par celui qui les rédige » poursuit Jocelyn Dessigny (RN). « Sinon, vous n’obtiendrez jamais la confiance de la population dans les directives anticipées, et personne ne voudra les remplir ». « Si vous voulez les développer, rendez les inaccessibles et sécurisées. »

« L’intelligence artificielle peut faire des choses très étonnantes »

Avec l’amendement 699, Patrick Hetzel propose ensuite de revenir sur l’alinéa 9 de l’article 7 qui prévoit la possibilité d’utiliser l’audiovisuel pour les directives anticipées. « L’intelligence artificielle peut faire des choses très étonnantes » prévient le député. « Pour être surs que c’est l’intéressé qui est à l’origine du document, il faut en rester à une forme écrite » souligne-t-il.

Jocelyn Dessigny abonde là aussi. « En trafiquant une vidéo sur l’ordinateur, on peut faire dire à n’importe qui que vous souhaitez ou que vous ne souhaitez pas l’euthanasie » (cf. Intelligence artificielle : « Des risques majeurs pour l’humanité »). « C’est quelque chose de très grave, on ne peut pas jouer avec des décisions aussi importantes. »

Didier Martin y est en revanche défavorable. « Il n’y a pas de document qui ne soit pas falsifiable, même un document écrit » rétorque le rapporteur. « Soyons modernes » lance-t-il. Au risque de la sécurité des patients ? Catherine Vautrin partage cet avis. L’amendement 699 est rejeté.

« Il y a des efforts de communication à faire »

Seuls 13 % des Français ont rédigé des directives anticipées déplore Caroline Fiat (LFI – NUPES), qui se dit pour sa part « sure et persuadée qu’il faut remplir ses directives anticipées » (cf. Sondage : 58% des personnes interrogées ne connaissaient pas la possibilité des directives anticipées) . « Il faut prévenir les gens qu’ils ont la possibilité de rédiger des directives anticipées et les inciter à le faire » insiste l’élue (cf. Directives anticipées, un risque à prendre ?). Elle propose, avec l’amendement 2123, qu’à compter de la majorité de l’assuré la CPAM de son département l’informe, par voie électronique ou postale, des dispositions en vigueur sur la fin de vie et de la possibilité de rédiger ses directives anticipées. « C’est une très bonne idée » répond la ministre de la Santé, « mais elle n’a pas sa place dans la loi » poursuit-elle. « Il y a des efforts de communication à faire » reconnait Catherine Vautrin, qui prend « l’engagement de le faire ».

Si c’est une bonne chose « adoptons l’amendement », lui rétorque Danielle Simonnet (LFI – NUPES). « Si c’est inscrit dans la loi, au moins on a la garantie que ce soit fait ». Rien n’y fait, l’amendement 2343 est finalement rejeté avec 24 voix pour et 36 contre.

En revanche, l’amendement 2892 de Didier Martin proposant que les rendez-vous de prévention aient aussi pour objectif de faire connaitre les directives anticipées est lui adopté. L’ajout de la prévention du suicide, proposée par Patrick Hetzel, en cohérence avec la politique de prévention du suicide est par contre rejetée.

L’article 4 sur les directives anticipées est finalement adopté à l’unanimité des 49 voix exprimées après un dernier scrutin public en cette quatrième soirée.

Des débats qui prennent du temps

A plus de minuit, après 11 heures 30 de débats, il reste encore 45 amendements avant la fin du titre 1. Fatigués d’avoir siégé jours et nuits, les députés plient bagages, reportant l’examen des derniers articles du titre 1 au 3 juin. 50 amendements auront été adoptés durant la journée.

Les nombreux débats ont pris du temps. Seuls 4 articles, sur les 21 que compte le projet de loi, ont été examinés en une semaine. L’examen du texte s’étire et est prolongé les 10 et 11 juin. Le vote solennel n’est plus prévu mardi 11 juin, mais le 18 juin. En conférence des présidents, Yaël Braun-Pivet souhaite que cela ne soit pas une « incitation à faire durer ».

Après une semaine de débats sur les soins palliatifs, les députés vont enfin commencer à s’attaquer au titre 2 du projet de loi qui concerne l’« aide à mourir ». Les points les plus sensibles seront débattus. Une semaine clé s’annonce. Quel sera le texte issu de la première lecture à l’Assemblée nationale ? Le Gouvernement réussira-t-il à revenir à un texte qu’il qualifie « d’équilibre » comme il le souhaite ? Les voix de l’opposition, comme celle des soignants, pourront-elles peser suffisamment pour influer les votes ?

 

Photo : Pixabay

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