Vendredi 31 mai était le quatrième jour de débats à l’Assemblée nationale sur le projet de loi relatif à la fin de vie. En cette fin de semaine, Catherine Vautrin a cédé sa place, pour un temps, à Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la Santé (cf. Frédéric Valletoux, le nouveau ministre nommé à la Santé, restera-t-il fidèle à ses convictions ?). En début de journée, les députés en sont à l’article 1ter sur les crédits. L’heure est encore au débat sur les soins palliatifs et leur développement, même si euthanasie et suicide assisté ne cessent de « s’inviter » dans le débat.
« Obliger le Gouvernement à faire face à ses responsabilités »
La séance s’ouvre dès 9 heures. Les députés commencent par examiner les différents articles permettant de rendre effectifs les soins palliatifs et de les développer. « Au-delà d’une stratégie déclarée, il fait la mettre en œuvre » souligne Thibault Bazin (LR). « Obliger le Gouvernement à faire face à ses responsabilités en matière de développement des soins palliatifs », tel est l’objectif que poursuit Emmanuelle Ménard (NI). Un enjeu majeur du texte (cf. Des soins palliatifs en crise, et les belles promesses de l’Exécutif). Des soins palliatifs efficients auraient pu éviter que la question de l’euthanasie ne soit posée.
Avec 65 voix pour et 12 contre, l’article 1ter inscrivant dans la loi les crédits de paiement supplémentaire de la stratégie décennale est adopté. Selon Gilles Le Gendre (Renaissance), qui est à l’origine du texte, il servira de « boussole symbolique, mais utile, quand il s’agira de traduire en acte les orientations ».
Désireux d’arriver, enfin, à des résultats concrets, l’amendement 1447 de Paul-André Colombani (LIOT) permet d’inscrire dans la loi deux engagements annoncés par le Gouvernement dans la stratégie décennale : la création d’unités de soins palliatifs (USP) dans chaque département et d’unités de soins palliatifs pédiatriques dans chaque région d’ici 2034 (cf. Plan décennal sur les soins palliatifs : « il faudrait être naïf pour s’y fier »). Une façon de les « graver dans le marbre » pour éviter les changements de cap.
Des moyens revus à la hausse contre l’avis du Gouvernement
Malgré l’avis défavorable du Gouvernement, l’amendement 2917 d’Emeline K/Bidi (NUPES) a par ailleurs été adopté afin de « corriger » les crédits accordés aux soins palliatifs en tenant compte à la fois du retard à combler, et des nouveaux besoins liés au vieillissement de la population. Alors que « l’effort » annoncé par l’exécutif revient à demeurer à budget constant sur les dix prochaines années, voir même à réduire le budget selon ce qui est inclus dans la stratégie décennale, les députés ont prévu un doublement des crédits. Ils passent ainsi de 111 millions à 222 millions en 2034.
Ce vote est toutefois avant tout symbolique, et « n’a pas de force très contraignante » comme le reconnait Jérôme Guedj (PS). Contrairement au Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS), la loi sur la fin de vie n’est en effet pas budgétaire.
Le poids des mots
Une fois encore, les discussions sont également revenues sur la sémantique. Les mots sont particulièrement importants dans ce débat sur la fin de vie (cf. Euthanasie : « ce n’est pas le mot qui est violent, c’est bien l’acte qu’il désigne »).
L’amendement 3291 de Geneviève Darrieussecq (Démocrate) visant à renommer les « soins d’accompagnement » en « soins palliatifs et d’accompagnement » a été adopté afin de mettre le projet de loi en cohérence avec le compromis trouvé en commission (cf. Soins palliatifs, soins d’accompagnement : que retenir du premier jour de débats ?). En changeant de nom, la disposition initiale du projet de loi induisait une confusion, un manque de lisibilité dénoncé par les soignants (cf. « Soins d’accompagnement » : médecins et infirmiers opposés au changement de terminologie). Bien qu’indispensable, la dimension d’accompagnement n’est qu’une composante de la médecine palliative. De tels changements risquaient de compromettre encore un peu plus le développement des soins palliatifs, alors qu’ils sont déjà les « parents pauvres de la médecine ».
Par la suite, l’amendement 2893 de Didier Martin (Renaissance), étonnement qualifié de rédactionnel par son auteur, et qui vise à supprimer à l’alinéa 1 les mots « pour le renforcement des soins palliatifs, de la prise en charge de la douleur et de l’accompagnement de la fin de vie » a également été adopté par les députés. Un amendement qui offusque pourtant Patrick Hetzel (LR). « Si vous voulez rassurer les professionnels en soins palliatifs, ce type d’amendement est à l’encontre de cela » prévient-il. Mais le Gouvernement entend-il prendre réellement prendre en compte les soignants qui ne cessent d’alerter sans être entendus ? (cf. Fin de vie : les soignants « extrêmement choqués de ne pas être entendus »)
« Des questions éthiques et morales »
Ces discussions sont également l’occasion pour Philippe Juvin (LR) de demander une estimation financière de la « mort assistée ». « Sera-t-elle incluse dans le plan de financement ? » interroge le député. Sa demande est appuyée par d’autres élus, comme Patrick Hetzel et Marc Le Fur (LR). Frédéric Valletoux esquisse une réponse. Il explique qu’« il y a une étanchéité complète entre les financements », et rappelle que la discussion porte actuellement sur la stratégie décennale des soins palliatifs. Le ministre ne répond pas pour autant à la question. Christophe Bentz (RN) s’en indigne : « vous devez à la représentation nationale une réponse » insiste le député. « C’est le minimum ».
Après le volet financier, c’est au tour du volet humain du projet de loi d’être discuté. L’article 1 quater concernant le développement de la culture palliative est adopté. Jorys Bovet (RN) profite du débat pour proposer que les étudiants qui ne souhaitent pas réaliser les formations sur l’accompagnement à la fin de vie et à l’euthanasie, pour quelque raison que ce soit, n’y soient pas obligés. « Les questions de fin de vie et d’euthanasie soulèvent des questions éthiques et morales propres à chacun. Le choix de tel ou tel étudiant d’accepter ou non de suivre ces formations doit être personnel » souligne le député (cf. 800.000 soignants s’opposent à l’euthanasie). Son amendement est rejeté.
Dans la foulée, l’article 1 quinquies est adopté, puis le 1 sexies supprimé pour être intégré dans l’article précédent.
La création des maisons d’accompagnements : « un article inquiétant »
Le débat s’est ensuite focalisé sur les maisons d’accompagnement. Après de longs débats animés, l’Assemblée nationale a adopté en fin d’après-midi, avec 46 voix contre 17, l’article 2 qui prévoit le cadre des « maisons d’accompagnement », malgré les 12 amendements de suppression déposés par des députés comme Philippe Juvin, Patrick Hetzel, ou Christophe Bentz et Emmanuelle Ménard. Sans émettre une opposition de principe, tous évoquent le flou de l’article 2, qui ne traite pas des soins palliatifs comme le relève Marc Le Fur.
Même si Thibault Bazin reconnait que le concept peut paraitre « séduisant », il souligne néanmoins que cela existe déjà, et que ce sont les moyens qui manquent. Les députés LR et RN ne croient globalement pas en ces maisons, telles qu’elles sont présentées dans le projet de loi. « C’est un article inquiétant car derrière le terme sympathique d’accompagnement, notre crainte est qu’il s’agisse en réalité de créer des maisons où se pratiqueront les actes que nous dénonçons » relève Marc Le Fur. Les députés ne sont pas dupes, ils y voient des « maisons de la mort » comme les nomme Marc Le Fur.
Maisons de vie ou maison de mort ?
Lors de l’examen du projet de loi en commission, la ministre avait avoué que l’« aide à mourir » pourrait y être réalisée (cf. Fin de vie : les maisons d’accompagnement, « des maisons de la mort » ?). Si les patients la demandent, l’« aide à mourir » y sera possible, « comme dans tout domicile » reconnait cette fois René Pilato (LFI – NUPES). « Vous êtes dans une véritable croisade pour l’euthanasie et le suicide assisté » dénonce en retour Philippe Ballard (RN).
Sous réserve qu’elles ne se transforment pas en « maisons qui seraient destinées à pratiquer l’aide à mourir », Pierre Dharréville (GDR – NUPES) soutient la création de ces maisons, mais il s’interroge sur la possibilité de concilier soins palliatifs et « aide à mourir » dans un même endroit alors que ces deux logiques sont opposées. « C’est une question extrêmement sensible, à laquelle je ne vois pas de réponse concrète », lance-t-il à la ministre Catherine Vautrin. « Ça se passera dans la chambre du patient comme la sédation profonde et continue » répond-elle. Une réponse qui ne saurait convaincre. S’agirait-il de cacher la vérité ?
Les maisons s’intitulent par ailleurs désormais « maisons d’accompagnement et de soins palliatifs », grâce à l’amendement 2089 de Jérôme Guedj (Socialistes). Une petite victoire. En revanche, les amendements de Thibault Bazin, ou des députés RN Philippe Ballard, Jocelyn Dessigny et Christophe Bentz proposant d’exclure l’« aide à mourir » de ces maisons sont tous rejetés. « Les maisons d’accompagnement accueillent toutes les personnes, y compris ceux qui veulent finir leur vie » rétorquera Sandrine Rousseau (Ecologistes – NUPES).
« La mort ne peut être dans le monde du marché »
Lors de l’examen de la commission spéciale, un amendement avait été adopté le 14 mai afin d’interdire que des opérateurs du secteur privé lucratif puissent figurer parmi les porteurs de projets.
L’amendement 3003 déposé par le rapporteur Renaissance Didier Martin, fait polémique dans l’hémicycle en proposant de revenir sur cette interdiction, et de permettre au secteur privé lucratif de gérer ces établissements. « Avis favorable » de la ministre Catherine Vautrin qui indique que des unités de soins palliatifs ou des établissements socio-médicaux sont déjà gérés par le secteur lucratif et tente de donner des garde-fous.
Sandrine Rousseau s’indigne quant à elle : « la mort ne peut pas être dans le monde du marché. Votre amendement est indigne. (..) cela n’est pas éthique, c’est une ligne rouge ». Elle n’est pas la seule sur sa position. Jocelyn Dessigny la rejoint : « On ne peut pas se faire de l’argent sur la mort des gens » alerte-t-il à son tour. Il considère en outre que c’est un « aveu de l’impuissance » du Gouvernement « à mettre en place les moyens pour créer ces maisons ».
Pierre Dharréville déplore lui aussi cet amendement, « qui va [lui] faire regretter [sa] position et [son] soutien au dispositif ». « La puissance publique doit assumer ses responsabilités et en votant cette loi, se donner les moyens d’assurer une réponse publique à ces besoins » affirme-t-il.
Cécile Rilhac (Renaissance) ajoute à ces arguments l’exemple de l’auto-conservation des gamètes, pour laquelle « on a exclu le privé non lucratif parce qu’on a considéré qu’on ne pouvait pas faire du profit sur des produits du corps humain » dans les lois de bioéthique. Elsa Faucillon (GDR – NUPES), reprend l’argument, et n’hésite pas à souligner, pour sa part qu’il a fallu attendre 3 ans après l’interdiction des lois de bioéthique avant qu’Emmanuel Macron décide récemment d’ouvrir le secteur aux structures privées pour faire face à l’allongement des délais (cf. PMA : le retour du marché, mais pas (encore) du père ?).
L’opposition l’emporte finalement, l’amendement 3003 est rejeté par 62 voix contre et 12 pour.
A 18h30, les articles 2 et 2 bis sont finalement adoptés.
Mauvais tempo du plan personnalisé d’accompagnement
En fin de journée, les débats se poursuivent avec une autre mesure du projet de loi : la création d’un « plan personnalisé d’accompagnement » prévu à l’article 3 du texte.
Sandrine Dogor-Such (RN) considère que ce plan n’apporte rien de nouveau. Elle craint en revanche qu’il ne vise à informer le patient de la possibilité d’une « aide à mourir », dès l’annonce du diagnostic d’une maladie grave. Un tempo que dénoncent également Patrick Hetzel et Thibault Bazin qui proposent tous deux des amendements de suppression de l’article 3.
Patrick Hetzel souligne que le plan personnalisé d’accompagnement méconnait le processus psychologique, et qu’il est de nature à créer « un traumatisme chez le patient ». « Est-ce que nous avons collectivement conscience que l’on annonce une maladie grave à quelqu’un, et que dans le prolongement de tout cela, on lui propose de rédiger des directives anticipées et de désigner une personne de confiance ? », interroge-t-il. De surcroît, il pointe le « hiatus » de ce dispositif, car une maladie grave n’est pas forcément incurable rappelle le député.
Le tempo inchangé, mais l’article 3 complété
Le rapporteur et la ministre sont défavorables à ces amendements de suppression. Catherine Vautrin croit pouvoir répondre en soulignant la dimension « personnalisée » du dispositif. Est-ce réellement suffisant ? Quoi qu’il en soit, les amendements de Patrick Hetzel et Thibault Bazin sont rejetés. Tout comme celui d’Annie Genevard (LR) qui a proposé avec l’amendement 267 de reporter la formalisation du plan personnalisé d’accompagnement à un entretien ultérieur.
Alors que Geneviève Darrieussecq s’est dite « gênée » par l’obligation de proposer un plan personnalisé d’accompagnement qui pèserait sur les médecins, Thibault Bazin propose avec l’amendement 36 de laisser aux professionnels de santé la liberté de déterminer la temporalité adaptée aux patients. Rien n’y fait, sa proposition est là encore rejetée.
Si le tempo est inchangé, l’article 3 est en revanche complété par différents sous amendements. Ainsi, le sous-amendement 3472 de Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés) précise que, lors de l’élaboration du plan, les besoins spécifiques des patients particulièrement vulnérables ou ayant des difficultés d’accès aux soins, tels que les personnes en situation de handicap, incarcérées, précaires devront être pris en compte. Le sous-amendement 3473 de la députée prévoit en outre que les aidants seront associés à l’élaboration et à l’actualisation du plan personnalisé d’accompagnement
Enfin, suite aux sous-amendements 3475 de René Pilato, le plan personnalisé d’accompagnement pourra être soumis au patient sous forme écrite, ou par tout autre moyen compatible avec son état afin d’en garantir la pleine accessibilité.
« Le titre 1 est un faire-valoir du 2 »
Dans la soirée, les débats se poursuivront avec l’article 4 sur les directives anticipées. En attendant, alors que le titre 1 est considéré par les députés comme primordial et indispensable avant de légiférer sur l’euthanasie et le suicide assisté, les mesures adoptées au cours de la journée laissent perplexes. Même si la ministre de la Santé, Catherine Vautrin, a plusieurs fois rappelé sa volonté de marquer une « étanchéité totale » entre les deux parties du projet de loi, la porosité entre « soins d’accompagnement », euthanasie et suicide assisté est évidente.
« Le titre 1 est un faire-valoir du 2 » souligne Thibault Bazin au cours des débats. Conçu par l’exécutif comme le pendant indispensable du titre 2 du projet de loi, le titre 1 semble en réalité être avant tout la « caution morale » pour permettre la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté.