Des chercheurs de l’Institut du Cerveau et de l’Hôpital Pitié-Salpêtrière, coordonnés par Lionel Naccache (Sorbonne Université / AP-HP), Jacobo Sitt (Inserm) et Benjamin Rohaut (Sorbonne Université / AP-HP) ont montré qu’une approche « multimodale » permet de réaliser de meilleurs pronostics pour les patients admis en réanimation à cause d’un « trouble de la conscience »[1]. Ce type d’approche combine des indicateurs cliniques, électrophysiologiques, comportementaux, et de neuroimagerie. Ils ont publié leurs travaux dans la revue Nature Medicine [2].
Réduire les incertitudes
Afin d’évaluer les capacités de récupération cognitive de patients atteints d’un trouble de la conscience, un pronostic neurologique est « habituellement » obtenu à partir de plusieurs indicateurs, dont l’examen des « mesures standard de l’anatomie du cerveau » (scanner et IRM) et de son fonctionnement (électroencéphalogramme). Or, « même avec ces informations en main, il demeure souvent une part d’incertitude dans le pronostic, qui peut impacter les prises de décision médicales », souligne le neurologue-réanimateur Benjamin Rohaut, premier auteur de l’étude. Et ces patients « sont souvent très fragiles et exposés à de nombreuses complications, ce qui pose à chaque fois la question de l’intensité des soins », pointe-t-il.
En outre, « les médecins observent parfois une dissociation entre le comportement de la patiente ou du patient et son activité cérébrale ». Ainsi « certains patients en état végétatif semblent comprendre ce qu’on leur dit, mais sont incapables de le faire savoir aux soignants » (cf. Conscience minimale : de nouveaux résultats pour évaluer l’activité cérébrale, et l’améliorer).
Une approche qui ne « garantit pas une prise de décision exempte de biais »
Pour caractériser l’intérêt clinique d’une approche « multi-modale »[3], les médecins ont « suivi et évalué » 349 patients de réanimation entre 2009 et 2021. Après chaque « évaluation multi-modale », ils ont formulé un pronostic pouvant être « bon », « incertain » ou « défavorable » [4]. Aucun des patients ayant reçu un avis « défavorable » n’avait recouvré la conscience un an plus tard. En revanche, les patients avec un « bon » pronostic « ont présenté une évolution de leurs capacités cognitives bien plus favorable » que les autres.
Les scientifiques ont en outre observé que l’augmentation du nombre d’indicateurs permettait d’augmenter la précision du diagnostic et, en conséquence, « la confiance de l’équipe en ses propres évaluations ».
Ces travaux viennent « valider empiriquement les recommandations récentes des académies européenne et américaine de neurologie », indique Jacobo Sitt. Toutefois, cette approche ne « garantit pas une prise de décision exempte de biais » (cf. Emmanuel Hirsch : L’affaire Vincent Lambert, « un échouement éthique et politique dont nous devrions tirer quelques leçons »). L’accès aux outils d’évaluation, « qui sont coûteux et nécessitent des expertises spécifiques », est en outre un problème pour sa mise en œuvre.
[1] DoC en anglais pour Disorder of consciousness. Ils regroupent les comas, les états « végétatifs », ou les états « conscience minimale »
[2] Rohaut, B., Calligaris, C., Hermann, B. et al. Multimodal assessment improves neuroprognosis performance in clinically unresponsive critical-care patients with brain injury. Nat Med (2024). https://doi.org/10.1038/s41591-024-03019-1
[3] Elle combine PET scan, algorithmes d’analyse multivariés de l’EEG, IRM fonctionnelle, « potentiels » cognitifs (des réponses électriques à des stimulations sensorielles), et d’autres outils.
[4] Respectivement 22%, 45,5% et 32,5% des cas
Source : Inserm, CP (30/05/2024)