Des cellules souches « furtives » qui doivent encore faire leurs preuves

Publié le 1 Mar, 2024

Des scientifiques cherchent à doter les cellules souches de propriétés d’« évasion immunitaire » en recourant à l’édition génétique. Ces cellules « furtives » pourraient, en principe, être à la base d’un large éventail de thérapies cellulaires [1], et des « milliards de dollars » ont été investis dans ces travaux au cours des cinq dernières années.

Passer de la théorie à la pratique

Jusqu’à présent, seul un petit nombre de personnes s’est vu administrer une forme quelconque de thérapie cellulaire dérivée de cellules souches ayant fait l’objet d’une « édition immunitaire ». Et aucun résultat clinique n’a encore été divulgué publiquement. Toutefois, d’autres produits de ce type devraient être testés sur l’homme dans le courant de l’année.

« Nous savons en théorie que cela fonctionnera », s’avance Torsten Meissner, immunologiste au Beth Israel Deaconess Medical Center de Boston. Car « les tumeurs l’ont compris. Les virus l’ont compris. La grossesse est un autre exemple ». Dès lors, « il ne reste plus aux sociétés de biotechnologie qu’à trouver le moyen d’imiter les mêmes tactiques à des fins thérapeutiques ».

Des stratégies diverses

Les stratégies diffèrent. Cependant, les chercheurs s’accordent à dire que certaines modifications génétiques doivent être à la base de toute « thérapie universelle dérivée de cellules souches ». En outre, il existe « un large consensus sur le fait que le produit optimal devrait incorporer le moins de modifications possible, à la fois pour minimiser le potentiel de conséquences génétiques involontaires et pour optimiser la fabrication et l’approbation réglementaire ».

Au-delà, la communauté scientifique est divisée. « Les complexités du système immunitaire ont alimenté des débats animés sur les manipulations génétiques exactes nécessaires pour créer une thérapie cellulaire capable à la fois de contourner les défenses immunitaires et d’apporter des bénéfices significatifs pour la santé ».

De premiers résultats

Dans la plupart des cas, le processus commence par la perturbation d’« au moins une partie » du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH)[2] de la cellule, « un groupe de protéines qui fonctionne comme une carte d’identité moléculaire ». « Cette modification prive la cellule transplantée de son identité d’ennemi, ce qui lui permet de se fondre dans son nouvel environnement et d’échapper à la détection des lymphocytes T ». En revanche, elle devient susceptible d’être attaquée par les cellules natural killer (NK) [3].

Avec trois modifications, la société Sana Biotechnology est parvenue à « protéger des cellules de singes rhésus contre leur système immunitaire »[4]. Elle a également montré que des cellules humaines, modifiées de la même manière, pouvaient améliorer le diabète lorsqu’elles étaient transplantées dans un modèle souris [5]. En novembre, Sana a annoncé qu’elle avait le feu vert pour commencer à tester, chez l’homme, des cellules pancréatiques humaines ainsi éditées.

De son côté, Deepta Bhattacharya, immunologiste à l’université de l’Arizona à Tucson, privilégie une approche différente. En effet, il préconise d’évaluer les produits destinés à un usage chez l’homme sur des souris dont le système immunitaire est intact. Si les thérapies cellulaires peuvent passer ce test inter-espèces, elles devraient pouvoir être transplantées chez n’importe quel receveur humain, estime le chercheur. Au début de l’année, lui et ses collègues ont publié une étude dans laquelle des cellules souches humaines, dont 12 gènes avaient été modifiés, sont parvenues à survivre chez des souris pendant des mois, sans aucun signe de reconnaissance ou de rejet immunitaire [6].

Une étude clinique sur le diabète

Une première étude clinique de ce type de traitement est menée pour le diabète. Développé par ViaCyte en collaboration avec CRISPR Therapeutics, le VCTX210 a été conçu pour aider les personnes atteintes de diabète de type 1 à produire leur propre insuline. Le produit compte quatre modifications génétiques destinées collectivement à améliorer l’évasion immunitaire et à renforcer la survie des cellules. Une version ultérieure de cette thérapie, appelée VCTX211, comprenait deux modifications supplémentaires, chacune visant à renforcer la robustesse et la fonctionnalité des cellules.

Mais l’efficacité de ces thérapies pour contourner la détection immunitaire et améliorer le contrôle du diabète de type 1 reste incertaine. L’entreprise Vertex, qui a racheté ViaCyte en 2022 mais qui travaille désormais sur des thérapies cellulaires distinctes, et CRISPR Therapeutics, qui détient désormais la totalité des actifs de VCTX210 et VCTX211, ont refusé de commenter leurs programmes de thérapie cellulaire dans le domaine.

Des thérapies sures ?

On ne sait pas non plus si des problèmes de sécurité sont apparus au cours de ces essais. Or « la manipulation du génome de cellules à des fins thérapeutiques suscite des inquiétudes, en particulier lorsque l’objectif est de les doter d’une cape d’invisibilité qui pourrait s’avérer problématique si les cellules devenaient dangereuses pour le receveur », alerte Timothy Kieffer, endocrinologue de l’Université de la Colombie-Britannique à Vancouver et ancien directeur scientifique de ViaCyte.

Dans les essais ViaCyteCRISPR-Therapeutics, les entreprises ont pris la précaution d’encapsuler leurs cellules dans de « petits sachets » qui sont ensuite implantés sous la peau du patient. Ces dispositifs poreux permettent aux vaisseaux sanguins d’entrer, fournissant de l’oxygène et des nutriments aux cellules actives à l’intérieur, mais les empêchent de « s’échapper ». Si des problèmes surviennent, « ils peuvent être rapidement récupérés avant que les cellules rebelles ne causent des dommages importants ».

Une autre possibilité consiste à intégrer des « dispositifs génétiques de sécurité » dans les cellules modifiées elles-mêmes. Il s’agit notamment de « gènes suicidaires » qui peuvent être activés par l’administration d’un « médicament relativement bénin ». Les chercheurs dotent également les cellules modifiées de protéines de surface qui peuvent être ciblées par des anticorps. Ce qui permet de détruire les cellules au cas où les greffes deviendraient cancéreuses « ou poseraient d’autres problèmes ».

 

[1] Deux autres alternatives existent : adapter les thérapies au patient ou les fabriquer à partir de cellules de donneurs. Mais, dans ce cas, « ces traitements “allogéniques” prêts à l’emploi nécessitent l’administration de médicaments immunodépresseurs ». « Une stratégie qui augmente le risque de complications telles que l’infection et le cancer ».

[2] On parle d’antigène HLA chez l’être humain

[3] « Pour contrer cette vulnérabilité, certains chercheurs réintroduisent des gènes qui codent pour des antigènes spécifiques du CMH – des antigènes qui permettent à la cellule de tempérer les cellules NK sans susciter de réponses des cellules T. D’autres insèrent des gènes qui expriment la signature du CMH dans les cellules NK. D’autres introduisent des gènes qui expriment des protéines “checkpoint”, des molécules conçues pour freiner directement l’activité des cellules NK. »

[4] Hu, X. et al. Nature Biotechnol. https://doi.org/10.1038/s41587-023-01784-x (2023)

[5] Hu, X. et al. Sci. Transl. Med. 15, eadg5794 (2023)

[6] Pizzatto, H. A. et al. Stem Cell Rep. 19, 299–313 https://doi.org/10.1016/j.stemcr.2023.12.00 (2024)

Source : Nature, Elie Dolgin (28/02/2024)

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