Dans une étude publiée dans Science Robotics [1], Silvestro Micera, neuroingénieur à l’EPFL, et son équipe expliquent comment les mouvements du diaphragme peuvent être contrôlés « pour commander avec succès un bras supplémentaire », « ce qui revient à doter un individu en bonne santé d’un troisième bras robotique ».
L’étude fait partie du projet « Third-Arm », qui vise à développer « un bras robotique portable » « pour aider dans les tâches quotidiennes ou dans les opérations de recherche et de sauvetage ».
Mieux comprendre le fonctionnement du cerveau ?
« Si l’on demande au cerveau de faire quelque chose de complètement nouveau, on peut découvrir s’il a la capacité de le faire et s’il est possible de faciliter cet apprentissage, indique le chercheur. Nous pouvons ensuite transférer ces connaissances pour développer, par exemple, des appareils d’assistance pour les personnes handicapées ou des protocoles de rééducation après un accident vasculaire cérébral. »
« Nous voulons comprendre si notre cerveau est câblé pour contrôler ce que la nature nous a donné », décrypte de son côté Solaiman Shokur, scientifique principal à l’Institut Neuro-X de l’EPFL. « Nous avons montré que le cerveau humain peut s’adapter pour coordonner de nouveaux membres en tandem avec nos membres biologiques », affirme-t-il.
« Un continuum entre la rééducation et l’augmentation »
« Il s’agit d’acquérir de nouvelles fonctions motrices, au-delà des fonctions existantes d’un utilisateur donné, qu’il s’agisse d’un individu en bonne santé ou d’un handicapé », précise le chercheur. « Du point de vue du système nerveux, il s’agit d’un continuum entre la rééducation et l’augmentation », estime-t-il.
Pour explorer les « contraintes cognitives de l’augmentation », les chercheurs ont d’abord construit un environnement virtuel pour tester la capacité d’un utilisateur sain à contrôler un bras virtuel en bougeant son diaphragme. Ils ont constaté que le contrôle du diaphragme n’interférait pas avec des actions telles que le contrôle des bras physiologiques, de la parole ou du regard.
Un entrainement en réalité virtuelle
Muni d’un casque de réalité virtuelle, l’utilisateur visualise trois bras : outre ses deux bras et ses deux mains, un troisième bras se situe entre les deux, avec une « main symétrique à six doigts »[2].
Dans l’environnement virtuel, l’utilisateur est invité à tendre la main gauche, la main droite ou la main symétrique au milieu. Dans l’environnement réel, l’utilisateur tient un exosquelette avec ses deux bras, ce qui lui permet de contrôler les bras gauche et droit virtuels. Les mouvements détectés par une ceinture placée autour du diaphragme servent à contrôler le bras symétrique virtuel du milieu.
Le système a été testé sur 61 sujets sains au cours de plus de 150 sessions.
Un contrôle « très intuitif »
« Le contrôle du troisième bras par le diaphragme est en fait très intuitif, les participants apprenant très rapidement à contrôler le membre supplémentaire », affirme Giulia Dominijanni, doctorante à l’EPFL.
Outre le diaphragme, des muscles de l’oreille ont également été testés pour déterminer s’il était possible d’effectuer de nouvelles tâches, comme contrôler le déplacement d’une souris d’ordinateur. Ces stratégies de contrôle alternatives pourraient un jour contribuer au développement de protocoles de rééducation pour les personnes souffrant de déficiences motrices, espèrent les chercheurs.
Initialement, les études menées dans le cadre du projet Third arm visaient à aider les personnes amputées. Toutefois cette dernière recherche dépasse la réparation du corps humain pour aller vers l’augmentation (cf. Patrick Hetzel : « Les neurotechnologies doivent, d’abord et avant tout, servir à guérir et à réparer »). Les scientifiques veulent à présent explorer « le véritable potentiel de cette approche », sur des tâches réelles, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du laboratoire.
[1] Giulia Dominijanni et al, Human motor augmentation with an extra robotic arm without functional interference, Science Robotics (2023). DOI: 10.1126/scirobotics.adh1438
[2] « pour éviter tout biais en faveur de la main droite ou de la main gauche »
Source : Tech Xplore, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (13/12/2023) – Photo : iStock