Avis du CCNE : « L’eugénisme n’a plus besoin de coercition »

Publié le 21 Fév, 2022

Mercredi 16 février, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) publiait son avis n°138 intitulé : « L’eugénisme : de quoi parle-t-on ? ». Jacques Testart, biologiste et l’un des « pères » du premier bébé-éprouvette français, répond aux questions de Gènéthique.

 

Gènéthique : Le CCNE définit trois critères pour caractériser l’eugénisme : « une visée d’’amélioration’ de l’espèce humaine, une politique d’état coercitive au service de cet objectif, s’appuyant sur un ‘savoir scientifique’, des critères et des procédés de sélection d’individus ». En s’appuyant sur cette définition, le CCNE déplore « une recrudescence de l’usage du terme ‘eugénisme’ apparue dans le débat public et la presse à l’occasion du débat parlementaire autour de la révision de la loi relative à la bioéthique ». Ce qui constituerait un « amalgame rhétorique ». Qu’en pensez-vous ?

Jacques Testart : Le CCNE affuble l’eugénisme d’une politique coercitive obligatoire alors que la définition de Galton, rappelée par le CCNE, y échappe (« science de l’amélioration de la race, qui ne se borne nullement aux questions d’unions judicieuses, mais qui, particulièrement dans le cas de l’homme, s’occupe de toutes les influences susceptibles de donner aux races les mieux douées un plus grand nombre de chances de prévaloir sur les races les moins bonnes »). C’est donc plutôt la mise en pratique historique de la théorie eugénique qui se trouve ici mise en définition mais rien ne montre qu’une politique eugénique doive nécessairement être coercitive.

Ce que ne dit pas le CCNE c’est que les moyens « techniques » de l’eugénisme n’ont évolué qu’à partir de 1900. Après des milliers d’années de pratiques presque exclusivement réduites à l’élimination des nouveau-nés malformés, nous avons inventé au 20° siècle la stérilisation des femmes (1900) et depuis 50 ans seulement la congélation du sperme, l’échographie fœtale, l’interruption médicale de grossesse, la FIV, les diagnostics génétiques,…Toutes ces récentes technologies décuplent les perspectives eugéniques tout en faisant inutile le meurtre des enfants et en rendant possible l’adhésion des individus concernés.

G : Toujours en prétextant cette définition, le CCNE estime que la notion d’« eugénisme privé » « renferme un contre-sens qui en invalide la pertinence », et que les politiques de dépistage prénatal n’en relèvent pas. L’eugénisme relève-t-il nécessairement d’une pratique étatique ?

JT : Bien sûr les futurs parents ne veulent pas améliorer l’espèce et, le plus souvent, les praticiens non plus. Pourtant, comme le disait le Conseil d’Etat, la convergence des pratiques individuelles peut conduire à une solution orientée comme si elle avait été décidée nationalement, pourvu que les choix individuels soient le plus souvent univoques.

G : Concernant encore la politique de dépistage prénatal française, un autre acteur est impliqué : le médecin. Dans le contexte médico-légal actuel, avec une multiplication des procès, celui-ci a-t-il encore le choix de présenter « sans pression » un diagnostic de handicap à des parents ?

JT : Il faudrait reconnaître au médecin un droit à ne pas rechercher la perfection ou plutôt à ne pas ‘mettre tout en œuvre’ pour assurer la qualité de l’enfant car c’est un exercice vain et périlleux (voir par exemple le choix d’un donneur de sperme ou l’application de la batterie entière des tests possibles pour choisir l’embryon à transplanter).

G : Alors que le Comité tente de rassurer sur le présent, il semble plus préoccupé par une possible résurgence de l’eugénisme, tel qu’il le définit, à l’avenir. « Le CCNE insiste sur l’importance d’encadrer le séquençage du génome humain et d’accompagner son accessibilité facilitée ». Il met également en garde sur l’utilisation de CRISPR sur le génome des cellules germinales, transmissible à la descendance. Quels garde-fous peut-on mettre en place dès aujourd’hui face au déploiement de ces techniques ?

JT : Il n’existe qu’un seul garde-fou : ne pas modifier gamètes et embryons, définitivement…mais la récente loi de bioéthique, à l’instigation du CCNE, encourage des recherches en ce sens. Dans quel but ?

G : A plus long terme, le CCNE évoque le transhumanisme. A ceci près que « l’objectif d’amélioration de l’espèce diffère ici de l’eugénisme en ce sens que l’augmentation dont il est question n’est pas transmissible à la descendance et doit être répliquée pour chaque nouvelle génération ». Le transhumanisme serait-il un « eugénisme technologique » ?

JT : Contrairement à ce qu’écrit le CCNE, le transhumanisme envisage aussi de modifier génétiquement les embryons humains afin de les « normaliser » ou de leur conférer des propriétés inédites. En miroir, Galton et les eugénistes classiques ne limitaient pas leur projet aux caractères hérités mais visaient aussi les conditions de vie les plus favorables à la manifestation performante de chacun, c’est très clair dans la définition de 1883. Ce n’est donc pas l’héritabilité des caractères visés qui sépare eugénisme et transhumanisme, seulement la prise en compte par le transhumanisme que des approches nouvelles (informatique, neurobiologie,…) permettent d’élargir le champ du contrôle du vivant humain.

G : Finalement, le CCNE appelle « à la plus grande humilité sur le plan scientifique ». Les chercheurs peuvent-ils selon vous être sensibles à cet argument ?

JT : C’est complètement illusoire tant que la recherche (ses thèmes, sa structure, son évaluation) seront au service de l’économie et de la compétition plutôt que du bien commun (cf. Faut-il arrêter la recherche scientifique ?).

Photo : iStock

Jacques Testart

Jacques Testart

Expert

Jacques Testart est biologiste de la procréation et directeur de recherches honoraire à l’INSERM. Il est le père scientifique du premier bébé-éprouvette français né en 1982. Il développe une réflexion critique sur les avancées incontrôlées de la science et de la technique dans ses nombreux écrits, dont L’œuf transparent, Flammarion, 1986 et Au Péril de l’humain, Seuil, 2018.

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