A peine les débats bioéthiques clos, le comité d’éthique de l’Inserm indiquait comment obtenir ce que le législateur venait de refuser : la sélection génétique des embryons trisomiques en éprouvette dans des parcours de PMA. Lucie Pacherie, juriste et expert Gènéthique, explique.
Dans une note publiée au mois de juin 2021, le comité d’éthique de l’Inserm justifie le tri des embryons en éprouvette en raison de leurs caractéristiques chromosomiques. C’est pourtant bien ce tri des embryons en laboratoire étendu aux aneuploïdies[1], qui a été explicitement interdit par le législateur pour des raisons scientifiques et éthiques dans la loi de bioéthique promulguée cet été (cf. La France se dote d’une 4ème loi de bioéthique). Un contournement de la volonté du Parlement et du gouvernement.
Le comité d’éthique de l’Inserm valide le tri des embryons trisomiques
C’est dans un contexte sensible, celui d’un Parlement divisé à l’issue de deux années de débats sur la loi de bioéthique, que le comité d’éthique de l’Inserm a choisi de publier une note sur L’évaluation préimplantatoire de l’aptitude au développement embryonnaire (EPRADE).
Cette note, rédigée notamment par Pierre Jouannet, biologiste de la reproduction et professeur émérite à l’université Paris Descartes, à laquelle Israël Nisand[2], professeur des universités, gynécologue obstétricien à l’hôpital américain de Paris, a contribué, vient légitimer « le tri » des embryons pour « prioriser » ceux qui sont « aptes » à l’implantation. Il s’agit de mener des études sur les embryons en éprouvette afin de déterminer les meilleurs « marqueurs biologiques », ceux qui attribueront à l’embryon les meilleures chances de s’implanter. Cette évaluation est présentée comme permettant d’identifier leur « contenu chromosomique » afin de sélectionner en premier choix les embryons « euploïdes », c’est-à-dire indemnes de trisomies. Le tout en se défendant de pratiquer une sélection eugéniste. De cette façon, le comité d’éthique de l’Inserm brouille les pistes, verrouille toute discussion parlementaire à venir sur le DPI-A et oriente sans complexe ce qui pourrait être la « médecine » de demain[3].
Un nouvel acronyme pour contourner la volonté du législateur
Le comité d’éthique prétend inventer une nouvelle technique, l’« Evaluation PRéimplantatoire de l’Aptitude au Développement Embryonnaire », l’EPRADE, qu’il prend soin de distinguer des précédentes. L’objectif est de créer une distinction artificielle avec le DPI-A et même avec le diagnostic préimplantatoire[4]. Or, il s’agit exactement de la même chose : sélectionner les embryons en fonction de leurs caractéristiques génétiques (géniques ou chromosomiques). Ce nouvel acronyme est un moyen de s’affranchir des lignes rouges établies par le Parlement. Comme en 2011, en 2021, le législateur a refusé de modifier les dispositions relatives aux DPI, pour ne pas aggraver l’eugénisme[5],[6]. Agnès Buzyn, ministre de la santé lors de la première lecture de la loi bioéthique, s’y était opposée pour des raisons scientifiques et éthiques[7]. Le statu quo a donc été voté : le DPI[8] reste limité à la seule recherche de la maladie génétique héréditaire des parents ; la recherche de maladies génétiques non héréditaires, comme les anomalies chromosomiques, demeure illégale.
Un postulat scientifique, non prouvé, mais énoncé avec force
L’exposé du comité d’éthique de l’Inserm part d’un constat, soutenu par un préjugé à visage scientifique. Le constat, c’est que la fécondation in vitro est une technique qui fonctionne mal. Aujourd’hui, « moins de 20% des embryons transférés conduisent à la naissance d’un enfant ». Aussi, il faut « identifier des marqueurs biologiques qui permettraient de mieux caractériser les embryons les plus aptes à se développer avant leur transfert dans l’utérus ». La note poursuit : « on sait que la plupart des embryons qui ne sont pas euploïdes interrompent spontanément leur développement avant la naissance », assumant au passage une contradiction : « il n’a toujours pas été démontré de manière certaine que le contenu chromosomique embryonnaire était un critère à utiliser systématiquement afin d’améliorer les résultats de la FIV dans tous les cas ». Pourtant il conclut que « les trisomies […] sont des marqueurs d’absence de réussite de transfert dans l’utérus » ou encore que l’EPRADE « est une forme d’anticipation ou de prévention d’un risque d’arrêt du développement embryonnaire ». En somme, il s’agirait de précipiter l’arrêt de la vie de l’embryon qui risque de mourir…
Au fur et à mesure de la lecture, il devient clair que, malgré l’absence de preuve scientifique, la priorité donnée aux embryons non trisomiques est justifiée par l’idée qu’elle améliorerait la FIV.
Pourtant, des études scientifiques montrent que cette sélection n’est pas gage de meilleure réussite de la FIV (cf. DPI-A : une étude démontre son invalidité). L’autocorrection des embryons, les erreurs de diagnostic, la nocivité du diagnostic préimplantatoire, ou encore les études scientifiques sur les fausses couches et le DPI-A sont autant de données scientifiques[9] que le comité d’éthique n’aborde pas, et qui pourtant invalident ce qui s’apparente à un parti pris.
C’est pour cette raison que le nouveau ministre de la santé, Olivier Véran, favorable au DPI-A, a proposé une solution de compromis pour satisfaire les promoteurs de la médecine génomique et de la PMA, et s’est rallié à un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) : « L’Identification d’aneuploïdies sur biopsie de trophectoderme améliore-t-elle le taux de naissances après Fécondation in Vitro ? », financé à hauteur de 1 059 795 €. « On ne sait pas dire aujourd’hui, même sans certitude, si le mosaïcisme, les mosaïques chromosomiques, produit assurément des anomalies de nombre chromosomique lorsque l’embryon se développe, expliquait Olivier Véran lors des débats de la loi de bioéthique, et on ne sait pas dire si l’enfant sera porteur d’une trisomie ou d’une autre forme de maladie, ou si la fausse couche est certaine »[10]. Pourtant favorable au DPI-A, le ministre avait donc incité les députés à abandonner la voie législative pour favoriser le PHRC, c’est-à-dire la voie réglementaire. Ce changement de tactique traduisait une méfiance vis-à-vis du Parlement que le comité d’éthique de l’Inserm prolonge dans sa note.
Le rejet de toutes contestations éthiques
« Instrumentalisation des embryons », « attitude eugéniste », « pente glissante ou fatale », « dévalorisation certaine des personnes handicapées », le comité d’éthique de l’Inserm prend le soin de contredire chacune des « objections » à l’EPRADE, les mêmes que celles opposées au DPI-A, et souligne les « bienfaits » de cette technique. Il s’approprie la dissociation artificielle d’« eugénisme libéral » et d’« eugénisme étatique ». Pour se défendre de toute « sélection », il opte pour un vocabulaire plus acceptable, cherchant à susciter l’adhésion automatique : le « choix » plutôt que le « tri ». Il conclut : « Ces objections soulèvent des questions éthiques importantes, mais elles n’affectent pas l’EPRADE, notamment parce que l’EPRADE n’évalue pas les caractéristiques intrinsèques des embryons, mais seulement leur aptitude à l’implantation et au développement ».
Pour les auteurs, « choisir un embryon en fonction de ses chances de développement et de naissance ne revient pas à le réifier ou à le traiter comme un objet […] Une telle procédure [EPRADE] implique un tri car certains embryons seront priorisés, mais c’est la conséquence inévitable et moralement peu problématique de tout choix ».
Il insiste en expliquant que la recherche de la trisomie n’est pas réalisée pour éliminer en tant que tel l’embryon trisomique, mais seulement pour prioriser ceux qui seraient plus aptes à l’implantation[11]. Le comité précise lui-même que les embryons porteurs de trisomies ne sont pas « incompatibles avec la naissance d’un enfant vivant »… Les pratiques eugénistes de la médecine prénatale (96% des fœtus diagnostiqués trisomique 21 sont éliminés), et les arguments des promoteurs du DPI-A lors des débats parlementaires, ou encore ceux de certains lobbys sont explicites : implanter un bébé trisomique est considéré comme une « maltraitance »[12] faite au couple, car il donnera lieu à diagnostic prénatal et à un avortement. Ce qui contraindra le couple à reprendre un processus de FIV lourd et difficile, sans garantie de succès. L’enfant trisomique dans tout cela ? Il n’est pas un sujet. Dans aucun des sens du terme. La préoccupation de ce qui n’est plus de la médecine, c’est d’obtenir un bon résultat de FIV, d’être efficace, ce qui suppose des embryons aptes à une bonne implantation en vue de « produire » des enfants indemnes de maladies.
De nouvelles « valeurs » « éthiques » : augmenter la réussite des FIV, respecter le choix du couple
Enfin, le comité d’éthique de l’Inserm distille tout au long de sa note la « valeur » bioéthique émergente qui consiste à « améliorer les chances de grossesse [par FIV] et donc de satisfaire le désir d’enfant du couple ». Il explique que l’EPRADE « est source de bienfaits pour le couple », qui verra ses traitements et ses « souffrances non-nécessaires » diminuer.
L’autre « valeur » mise en avant est le respect du choix du couple. Le comité explique que s’il est « moralement souhaitable que soient transférés en priorité les embryons les plus aptes », les critères de classement doivent être exposés aux futurs parents pour qu’ils puissent donner leur avis sur le choix des embryons à transférer. Mais là encore le raisonnement « éthique » est vicié : quels futurs parents demanderont l’implantation en priorité d’un embryon qu’ils savent trisomique alors que d’autres sont à disposition sans pathologies ? Quelle sera la nature de leur consentement ? Dans la balance, les personnes trisomiques sont inévitablement discriminées.
Des « bonnes pratiques » pour rendre effective l’EPRADE sans passer par le législateur
Pour atteindre ses objectifs, le comité d’éthique de l’Inserm préconise l’établissement de recommandations de bonnes pratiques « pour la mise en œuvre de l’EPRADE dans les programmes de FIV ». Ces recommandations de bonnes pratiques relèvent d’un encadrement règlementaire. Il en existe déjà pour la PMA de manière générale. Aussi, l’autorisation de trier des embryons en éprouvette à partir du décompte de leurs chromosomes pourrait ne pas repasser par le Parlement mais être intégrée aux « bonnes pratiques » parce que l’accent est mis sur la technique de la PMA et non plus sur le diagnostic de l’embryon. Le législateur n’aurait plus son mot à dire : l’EPRADE suggère d’édicter un dispositif réglementaire sans base légale afin d’économiser un débat qui avait déjà suscité l’indignation.
La note du comité d’éthique de l’Inserm pourrait sembler anodine et ne traduire que les intérêts particuliers de quelques individus. Elle s’inscrit au contraire dans une morale technicienne d’efficacité parfaitement en ligne avec le marché très lucratif de la procréation humaine. Tout est bon pour améliorer la productivité de la filière procréative, y compris de faire croire que la trisomie est responsable des échecs de la PMA.
[1] Anomalies du nombre des chromosomes.
[2] Tous deux connus pour leurs positions en faveur de la recherche sur l’embryon humain, la PMA et l’avortement.
[3] Le comité d’éthique de l’Inserm s’est toujours positionné en faveur de la recherche sur l’embryon humain (cf. https://www.genethique.org/toujours-plus-le-leitmotiv-du-comite-dethique-de-linserm-pour-la-recherche-sur-lembryon/). Il avait aussi stratégiquement proposé un nouveau régime de recherche sur l’embryon humain pour les besoins de l’AMP, régime adopté par la loi santé de 2016 (cf. https://www.genethique.org/inserm-et-recherche-sur-lembryon-vous-avez-dit-ethique/).
[4] On peut lire dans la note : « L’EPRADE doit être distinguée du diagnostic préimplantatoire (DPI) […] Bref, si l’EPRADE devait être l’objet d’un encadrement réglementaire spécifique, il devrait être différent de celui prévu actuellement en France pour le diagnostic préimplantatoire».
[5] https://www2.assemblee-nationale.fr/scrutins/detail/(legislature)/15/(num)/2852
[6] https://www.facebook.com/watch/?v=937595496611041
[7] https://www.genethique.org/audition-des-ministres-sur-la-loi-de-bioethique-un-ton-apaise-des-derives-ethiques-majeures/ – Madame Buzyn est restée fermement opposée à cette mesure malgré la détermination des promoteurs du DPI-A dont l’un vociférait au perchoir : « Il faut traquer, oui je dis traquer, les embryons porteurs d’anomalies chromosomiques qui engendrent toujours plus de fausses couches, plus d’interruptions médicales de grossesse plus de souffrances pour les femmes » – Philippe Vigier, président du groupe Libertés et territoires, lors du vote solennel du projet de loi bioéthique, 15 octobre 2019.
[8] Article L 2131-4 du code de la santé publique.
[9] Cf. La taque aux malformations de l’embryon.
[10] Examen en séance de la 2ème lecture à l’Assemblée nationale – 31 juillet 2020.
[11] « Les trisomies ne sont pas recherchées en tant qu’elles permettent de prédire en partie le destin de la personne qui naîtra, mais en tant qu’elles sont des marqueurs d’absence de réussite de transfert dans l’utérus ».
[12] Audition par la mission d’information parlementaire sur la révision de la loi relative à la bioéthique du Pr. Nelly Achour Frydman, responsable de l’UFR Biologie de la reproduction à l’hôpital Antoine Béclère de Clamart, Jeudi 18 octobre 2018.