A Marseille, une petite fille entre la vie et la mort : soin ou acharnement thérapeutique ?

Publié le 18 Nov, 2016

A l’hôpital de la Timone, à Marseille, des parents refusent que les médecins débranchent le l’appareil respiratoire qui assiste, Marwa leur petite fille d’un an. Admise le 25 septembre pour un virus foudroyant, la santé de l’enfant, placé en coma artificiel est précaire. Les parents interprètent les mouvements de leur bébé comme des autant de signes d’une amélioration de son état. Ils estiment que leur petite fille est consciente, qu’elle bouge et les reconnait. Informés de la décision des médecins, apprise par téléphone, d’arrêter les traitements de l’enfant, ils ont saisi la justice. L’expertise de 3 médecins qui devront statuer sur l’état de santé de l’enfant a été ordonnée : « De nombreuses incertitudes demeurent sur la pathologie initiale de l’enfant, sur les séquelles dont elle est atteinte, sur les examens pratiqués et sur son état actuel ». Le professeur Emmanuel Sapin  est Chef de Service en Chirurgie Pédiatrique et Néonatale au CHU de Dijon, et professeur en chirurgie infantile et néonatale à Dijon. Pour Gènéthique, il donne des clés de lecture pour comprendre la situation.

 

Gènéthique : Que peut-on dire de cette situation médicale complexe ?

Emmanuel Sapin : Il me semble tout d’abord que les parents n’étaient visiblement  pas prêts à recevoir l’annonce d’une telle décision, quelque chose d’aussi définitif. Dans ces situations extrêmement difficiles, il est important qu’ils aient part aux discussions autour de leur enfant, qu’ils puissent donner leur avis et qu’une décision aussi lourde de conséquences soit l’objet d’un consensus pour que tous, équipe soignante et parents, puissent sereinement l’accepter et la mettre en œuvre. Or, il semble que la décision leur a été signifiée par téléphone, ce qui est choquant. Il y a matière à un préjudice psychologique qui rend la décision difficile à accepter. Or les textes de loi de 2005 et 2016 visent à favoriser l’exercice de la parentalité pour que l’information fournie aux parents, leur écoute, permettent qu’ils s’impliquent dans le processus de la décision qui sera prise pour leur enfant.

Dans ce contexte, comment la communication a-t-elle été établie et entretenue avec les parents ? L’information dispensée par l’équipe soignante a-t-elle été claire, appropriée, loyale et cohérente par rapport à ce qui avait déjà été dit ? Dans cette situation éprouvante, qu’ont-ils compris, qu’ont-ils été en capacité de comprendre de ce qui leur a été dit ? Ils estiment aujourd’hui que l’état de santé de leur fille s’améliore, et ils déplorent que cette évolution ne soit pas prise en compte.

 

G : Où s’arrête le soin et quand commence l’acharnement thérapeutique ?

ES : Quatre critères éthiques permettent, selon Beauchamp et Childress, de juger d’une situation : la bienfaisance, la non malfaisance, le respect de l’autonomie et l’équité. Concernant cette dernière, l’équité, il s’agit d’évaluer la mobilisation des moyens d’un service de soins dans une situation critique sans perspective d’évolution favorable, moyens qui pourraient faire défaut à d’autres patients (par ex. pas de lit pour accueillir une urgence ?) dans un espace de soin qui est désormais limité en moyens humains et financiers ? L’organisation d’une réanimation doit aussi prendre en compte ce redoutable critère économique, tant matériel qu’humain.

 

G : Peut-on estimer être en situation d’acharnement thérapeutique ?

ES : Il faudrait avoir des précisions sur l’état neurologique de Marwa pour savoir si la garder plus longtemps en ventilation artificielle n’est pas disproportionné. Alors, proposer une trachéostomie n’est-ce pas entrer dans une obstination déraisonnable ? Quelles sont les certitudes ou seulement les craintes sur l’évolution de la santé de Marwa ? Du côté de l’équipe médicale, quelle est la vision de la prise en charge de cette enfant ? Il semble que ces parents soient prêts à accueillir cette petite fille qui, si elle survit, sera très probablement handicapée et il est important que l’équipe soignante puisse l’entendre dans une société française où le climat ambiant est plus enclin à favoriser des décisions eugénistes. Il est important que ne soit pas prise une décision hâtive par crainte d’un lourd handicap. Nous sommes ici dans une situation exactement inverse à celle de Poitiers où les parents accusaient le CHU de ne pas avoir arrêté assez tôt les traitements de leur bébé, d’avoir prolongé sa souffrance (cf. Les parents de Titouan attaquent le CHU de Poitiers).

Emmanuel Sapin

Emmanuel Sapin

Expert

Chef de Service en Chirurgie Pédiatrique et Néonatale au CHU de Dijon, et professeur en chirurgie infantile et néonatale à Paris, Emmanuel Sapin a effectué en 1991 à l'Hôpital Saint Vincent de Paul, à Paris, avec Frédéric Bargy et Yann Rouquet, la première opération in utero sur un fœtus avec succès pour une hernie diaphragmatique avec foie intra-thoracique. Il s'agit, dans cette forme particulièrement grave, d'une première mondiale, car la seule équipe au monde ayant, précurseur, fait de la chirurgie fœtale alors était à San Francisco aux USA (équipe du Pr Mickael Harrison). Mais aucun fœtus porteur d'une hernie diaphragmatique avec foie intra-thoracique n'avait survécu auparavant. En 2010, le Collège National de Chirurgie Pédiatrique publie son ouvrage "Malformation Congénitales de la Paroi Abdominale de Diagnostic Anténatal".

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